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mercredi 15 avril 2015
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par Vyvy le 16 octobre 2007
paru le 30 novembre 1970 (Parlophone / EMI)
4, 3, 2, 1. 1970, les Beatles ne sont plus. 1, 2, 3 albums solos sortent. McCartney, pour Paul, John Lennon/Plastic Ono Band pour le John, et, venons en au point, All Things Must Pass pour George.
Pour ses anciens confrères, la consécration (Ram/Imagine) se fera en 1971. 1970 est à George, et, comme s’il en était conscient, c’est une œuvre gigantesque qu’il livre à ses contemporains. 1, 2, 3 vinyles, le premier triple album de l’Histoire. L’album des ex-4 fabuleux qui se vendra le mieux aussi, n’en déplaise à la légende autour d’Imagine, dont la chanson titre reste l’une des chansons passant le plus sur les ondes. Les choses étant bien faites, John et George sont rentrés dans le panthéon des titres les plus joués à la radio, l’un niant Dieu Imagine there’s no heaven/It’s easy if you try/No hell below us l’autre le louant à tue-tête dans le best-seller My Sweet Lord.
C’est donc des louanges, de Dieu, de la vie, qu’Harrison nous entretient ici. Si les sonorités indiennes, celles que l’ont pensait la marque déposée d’Harrison, sont curieusement absentes, la spiritualité du sous-continent est ici omniprésente. Spiritualité, oui, mais pas celle rebutante d’un rock chrétien. Tranches de vies marinées à l’indienne, avec des instruments bien de chez lui, à grand renfort d’amis venant de l’autre côté… de l’Atlantique. Voyons plutôt.
1970. Harrison fonde la Krishna Pop. Harrison fout une grosse claque dans la gueule de tous ses détracteurs (la question brûlante, à savoir, en avait-il beaucoup ? ne sera pas abordée ici). Ilexplose le format, explose le hit-parade américain (numéro un au Billboard, il y reste 38 semaines) et british (numéro 4, mais numéro un - le seul que dégotera un ancien scarabée outre-Manche - avec My Sweet Lord), explose enfin les critères de ce qu’on peut décemment mettre sur un album, en rajoutant un troisième disque de jams et autres impromptus. Harrison explose donc, comme un artiste à part entière. Citons ici Richard Williams (journaliste à Melody Maker), qui en quelques mots résume bien le sentiment général : "All Thing Must Pass est perçu comme the rock equivalent of the shock felt by pre-war moviegoers when Garbo first opened her mouth in a talkie : Garbo talks ! — Harrison is free !" (le rock équivalent au choc que ressentirent les fans de Garbo quand celle-ci ouvrit pour la première fois la bouche dans un film parlant. Garbo parle !—Harrison est libre !)
Libre donc de conquérir les ondes sonores. Or la conquête, tout bon (et mauvais) stratège vous le diront, c’est plus facile quand on est plusieurs. C’est donc entouré d’une impressionnante équipe, d’abord à Abbey Road, puis aux Studios Trident que George s’attèle à son affaire (et donc à la notre, si vous suivez un peu). Aux percussions, Ringo Starr, Jim Gordon, Alan White, et un jeune Phil Collins pré-Genesis (il ne joue que sur Art Of Dying) un peu de pedal steel par Pete Drake, du saxo, de l’harmonica, un Mal Evans (roadie des Beatles) qui offre ‘thé, sympathie et tambourin’, les Badfingers (un Apple Band) jouant les guitares rythmiques, Clapton évidemment, un petit zest de Dylan, en vrai et par la pensée, et bien sûr les George O’Hara-Smith Singers, ou George qui fait ses propres chœurs. L’impressionnante troupe voit son travail parachevé par la production de Phil Spector. Production aux moyens de beaucoup de réverb’ et autre « wall of sound » qui en fait un album selon Ben Gerson de Rolling Stones à la fois « wagnérien, brucknerien, (…) la musique des sommets et des horizons dégagés. Une œuvre spectaculaire par sa piété, son sacrifice, sa joie, et dont la magnitude et l’ambition sont telles que cela pourrait en faire le Guerre Et Paix du rock’n’roll ». Wagner, Buckner, Tolstoï ?! La musique d’Harrison dans ce triplet n’est pas, il est vrai, intimiste. Le nombre de musiciens, les chœurs, le son travaillé par Spector, tout ça fait que All Things Must Pass touche au grandiose.
L’œuvre s’appréhende par plusieurs biais. Le premier, le plus évident, déjà évoqué plus haut, celui de la spiritualité indienne. On trouve dans ce registre, of course My Sweet Lord, mais aussi Beware Of Darkness, Run Of The Mill où il est question de libre arbitre, et enfin Art Of Dying et ses relents de résurrection, voire la sagesse de All Things Must Pass. Ce sont ces chansons qui ont inspiré chez certains commentateurs le terme haut en couleur de Krishna Pop. Ou comment dire n’importe quoi. Car si l’identité Hare Krishna de George est présente, elle ne permet pas à elle seule une bonne définition de l’album, qui ne se limite pas, loin de là, à une simple prière Gurur Brahma, Gurur Vishnu, Gurur Devo, Maheshwara, Gurur Sakshaat, Parabrahma, Tasmayi Shree, Guruve Namaha.
George n’est pas qu’Inde, il est aussi Amour. Et les bluettes amoureuses, en direction de sa femme d’alors (et future femme de son amie Clapton, Pattie Boyd) sont légions. Que ce soit If Not For You ou bien l’anthologique What Is Life, le George maîtrise la mièvrerie, et parvient à l’orchestrer à merveille.
What I feel, I can’t sayBut my love is there for you anytime of dayBut if it’s not love that you needThen I’ll try my best to make everything succeedTell me, what is my life without your loveTell me, who am I without you, by my side
Mais au-delà de l’Inde et de l’Amour planent sur l’œuvre d’autres ombres. Celle du barde de Duluth, et celle décortiquée à chaque recoin, de son ancien groupe ‘le plus grand groupe de l’histoire du rock’.
George, avant d’être le grand chevelu qui depuis le jardin de son château du XVIIe compose et pense son album, est le « Beatle le plus discret », celui que le couple Lennon-Macca si ce n’est brime au moins limite. Il serait idiot de ne pas mentionner les dix années précédentes de George quand on parle de All Things Must Pass. Notamment parce que presque toutes les chansons ont été écrites pendant la période Beatles. Rejetées par le groupe (c’est à dire par John et Paul), ou tout simplement gardées pour soi, elles se sont entassées d’une telle manière que seul George au sortir du merdier Beatlesoïdal est capable de coucher sur disque autant de bonnes chansons, amèrement triées. Premier point. Deuxièmement, quand bien même George se façonne son propre style, il ne reste pas moins marqué par celui des Beatles notamment dans l’instrumentation. Ainsi, Isn’t It A Pity est très souvent rapprochée de l’également très longuette Hey Jude. De même dans la composition : d’aucuns avancent que justement, Isn’t It A Pity dresse le bilan doux-amer de l’expérience fab four, et Apple Scruff géniale pépite, ode à ses fans invétérés qui s’entassent à Abbey Road pour le voir passer, entrer, sortir du studio, n’aurait de raison d’être sans les années Beatles et leur mania correspondante.
La dernière inspiration est dylanesque. Les titres touchés par celle-ci sont souvent moins imposants que le reste (alourdi par l’approche de Phil Spector), et les lyrics sont eux plus subtiles… Prenons comme exemple à ce titre, I’d Have You Anytime écrit par ZimZim et mis en musique par George : rare vestige de leur travail de l’été 70 qui ait fini sur une galette, ou bien If Not For You reprise de Dylan avant la sortie de New Morning dans laquelle elle figure. Dylan offre des textes à Harrison, et celui-ci s’inspire de Dylan pour écrire par lui-même : cela donne Behind That Locked Doors ma chanson préférée des trois albums. Si l’influence zimmiesque est évidente sur ces titres, l’harmonica du génial Apple Scruff est un autre clin d’œil, tout comme The Ballad Of Sir Frankie Crisp au titre si dylanien qu’elle sera renommée Let It Down.
Dieu, l’Amour, 4 scarabées et Dylan. C’est avec ce bagage, ce passé, le tout saupoudré (plus ou moins violemment) du talent de Phil Spector, que George Harrison tire une croix sur ce passé. Le voilà qui accepte son aspect révolu et se lance à l’aventure de la musique en solo… c’est-à-dire entouré de qui il souhaite, quand il veut, où il veut. Pas de groupe pour George, et 18 ans après les Wilburys ne seront de même pas tant un vrai groupe qu’un groupe d’amis jammant ensemble, les jams encore et toujours. Ces boeufs ou jam sessions, il les chérit tellement qu’il choque pas mal de contemporains en insérant à la suite de son chef- d’œuvre un vinyle assez incompris de jam sessions avec Clapton And Friends.
Ce dernier album (fin du deuxième CD sur la version compact disc) surprend, mais plutôt agréablement. On rit sur It’s Johnnys Birthday en l’honneur des 30 ans de Lennon. On rit, et on n’a pas le temps (43’’) de s’ennuyer. Ce n’est pas exactement le cas sur Out Of Blue et ses 11 minutes. Mais mais, ces sessions sont bien moins ennuyeuses que la moyenne des instrumentaux qui m’ait été donné d’écouter, et pour rien au monde je ne les sauterais lors de l’écoute de l’œuvre de George, tant ils en sont partie prenante.
Voilà donc à quoi ressemble le dark horse d’assaut du doux George en 1970, celui avec lequel il va conquérir les hits mondiaux. Son fer de lance, My Sweet Lord devenant un hit planétaire (la NASA aurait des enregistrements de martiens se trémoussant sur Hare Hare… à vérifier), le prosélytisme de l’Anglais touchant presque l’âme de son compatriote et ex-collègue John Lennon qui s’émeut ainsi fin 1970 : « Every time I put the radio on it’s ’oh my Lord’ — I’m beginning to think there must be a God ! » (à chaque fois que j’allume la radio c’est ‘ooooh my Lord’. Je commence à croire qu’il y a un Dieu !).
Mais la chanson ne lève pas les seuls appétits spirituels. C’est avec un intérêt beaucoup plus terre-à-terre que l’obscur manager d’un obscur groupe du début des 60’s, The Chiffons, va souligner la ressemblance qu’il y a entre le hit et leur chanson He’s So Fine. De une, de deux, c’est le procès. Harrison est condamné pour avoir ‘plagié inconsciemment’ la chanson et doit verser une part des royalties… in fine il finira par acheter les droits du titre des Chiffons pour qu’ils le laissent tranquille.
The End ? Non pas vraiment...
Car voilà, je n’ai jamais écouté All Things Must Pass dans sa version originale. Je l’ai bien croisée mais trop chère, inatteignable. Sous la main, j’ai donc la version joliment remasterisée de 2001, à l’occasion des 30 ans de l’œuvre phare du dark horse. Alors, tout incontournable qu’est l’album de 1970, je me dois de mentionner ce qu’Harrison en pensait, 30 ans plus tard, et ce qu’il en a fait, dernière contribution musicale du bonhomme.
I Live For You petite chanson, petite perle country-rock ouvre le ballet des bonus. Les chansons sont un pot-pourri, entre démos que George joue à Spector sans savoir qu’il est enregistré, et un My Sweet Lord (2000) réenregistré pour l’occasion. Pour George, comme on peut le lire dans le livret, la production spectorienne l’ancre (trop) dans son temps, qui n’est plus le nôtre : "It has been 30 years since ’All Things Must Pass’ was recorded. I still like the songs on the album and believe they can outlive the style in which they were recorded. It was difficult to resist re-mixing every track. All these years later I would like to liberate some of the songs from the big production that seemed appropriate at the time, but now seems a bit over the top with the reverb in the wall of sound.”
Ces démos et redites jettent un nouveau regard sur Harrison. Nues, pour les démos, avec sa guitare seule, Beware Of Darkness prend un nouvel élan, sa voix pure s’élève, vibrante de sincérité, soufflant un air de velours dans toute la pièce dans Let It Down. Quand George chante My Sweet Lord en 2000 avec l’aide de la britannique Sam Brown, bien sûr il n’a plus 28 ans. Sa voix a plus tendance à se laisser aller aux effets et trémolos, mais la sincérité impressionnante reste la même. Libérée de l’étreinte spectorienne, la chanson est plus légère (même si les chœurs de Sam Brown la couvre de lourdeur à la Sister Act). Il croit tant à ce qu’il chante, qu’avec Lennon on pourrait presque se dire, le temps d’une chanson qu’il y existe autre chose, quelque part ?
Mais voilà, l’album s’arrête. Et nous reprenons le cours de nos existences, sans George et ses lubies. Le temps de l’écoute de All Things Must Pass est un temps précieux, qui nous emmène dans un monde plus beau, plus sage. Et, revenu sur Terre on se dit que non, décidément non, tout ne s’efface pas, désolée George mais ton talent reste parmi nous.
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