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The Mollusk

The Mollusk

Ween

par Antoine Verley le 8 février 2012

Paru le 24 juin 1997 (Elektra)

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« J’adore Ozzy Osbourne. […] Ozzy a beaucoup influencé ma manière de chanter, je sais l’imiter à merveille », déclara Gene Ween en interview, il y a de ça quelques années. L’amour que le chanteur de Ween porte à un groupe s’assimilerait pour lui à sa capacité à l’imiter ? Qu’est-ce à dire ? Que Ween est sans doute le groupe qui exprime de la manière la plus littérale la maxime aristotélicienne selon laquelle l’art ne serait pas une imitation de la nature, mais bien… De l’art lui-même.

Bien entendu, à Inside Rock, loin d’être de serviles adeptes d’un artystisme tautologique tout juste plus bon qu’à faire bandouiller une poignée d’élèves de première L, nous conservons le plaisir d’écoute de l’album comme critère absolu de notation. (Mais il n’y a pas de note dans cet article ! C’est bien pensé comme arnaque, hein ?) Oui, dear reader, nous croyons en la ritournelle pop qui te fait shaker ton booty, rire aux éclats, headbanguer comme un sale, chialer ta maman les froides soirées de décembre. Et il y a bien tout cela dans les chansons de Ween, davantage même. Ween, le groupe qui a compris, outre tout, que l’exploration des genres correspondait avant tout à un travail d’illusionnisme : une exploration des imaginaires qui entourent lesdits genres et de l’évocation qu’ils recouvrent chez l’auditeur. Le maritime The Mollusk est à cet égard une des plus grandes réussites du groupe.

En 1995, Ween, en mode journalisme total, s’en va fourrer son nez dans la fosse à purin nashvillienne pour enregistrer 12 Golden Country Greats, avant de s’en retourner l’année suivante au bord de la mer (Jersey Shore, quand tu nous tiens…) écrire The Mollusk puis l’enregistrer dans des conditions plus rustiques que les albums précédents. Problèmes de matos, déménagements réguliers, l’enregistrement s’est fait de manière assez chaotique, mais, finalement, rien de cela ne transparaît dans cette musique, imperturbable et impersonnelle à l’image de celle des Residents.

Residents par-ci, Residents par-là, on n’aura décidément pas fini de les citer, les animés anonymes aux neuneuils : dès I’m Dancing In The Show Tonight, leur pédale de voix (et pas l’inverse, hein) désincarne une comptine pour petit rat de l’apéro, mettant en exergue l’infinie démence de la compo au-delà de son apparente simplicité ; bref, de la pure déconstruction situationniste de la mélodie !!! Cette première chanson n’égale néanmoins en rien ce monument de débilité ternaire qu’est le morceau-titre ! Ah, son flûtiau virevoltant dans le vent marin comme dans une valse aquatique, ses textes-notes d’intention de l’album tout entier (Does it emulate the ocean sound)…

The Blarney Stone, quant à elle, n’évoque pas seulement des Pogues barytons qui se seraient subitement installés dans une taverne en Bretagne profonde, mais aussi les pirates de Bob L’Eponge, le film. Hé oui, c’est même sans doute la référence qui sera venue le plus souvent à votre serviteur à l’écoute de ce cartoonesque album ! Et les créateurs dudit film ne me détromperont pas, le choix de Ocean Man dans la bande originale de la meilleure adaptation de série animée au grand écran (avec South Park : Bigger Longer And Uncut, évidemment) en est la preuve. Comme dit précédemment, si l’album sonne « maritime », c’est parce que le groupe a compris qu’avant de passer par les textes, l’évocation en musique se fait d’abord par un pastiche du folklore (une bonne moitié des morceaux de l’album sont ternaires, comme un chant de marins) et de l’environnement de la mer (Mutilated Lips, loin de ses évidences consonances eighties, est fournie d’un écho abyssal rappelant à peu de frais de sombres abîmes)... Un traitement du matériau maritime qui rappelle un autre groupe de tarés injustement méconnus chers au cœur de votre serviteur, les Cardiacs.

Et ce qui est fort, c’est que cette atmosphère infuse dans l’album pour envahir des pistes qui, même musicalement, n’ont que peu des embruns de Pink Eye (On My Leg) ou de The Mollusk (I’ll Be Your Johnny On The Spot ou Buckingham Green). Une fois encore, Ween exploite, avec une inventivité jouissive à décrypter, le potentiel du format album… Inventivité bien présente à l’échelle microcosmique du morceau. Jugez donc : un morceau en apparence aussi con que Waving My Dick In The Wind recèle, sur une base country, des effluves de Robert Fripp, de funk et de comptine enfantine dans les moins sombres recoins de sa structure d’une simplicité biblique. Une chanson à l’image de l’album, cohérente, simple mais mindfuckante à l’extrême. Comme sait l’être l’ensemble de la pop, à laquelle le groupe déclare son amour sur ce bel objet qui restera.



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