Films, DVD
The Wall

The Wall

Alan Parker

par Psychedd le 10 mai 2006

4

paru en 1982 (MGM)

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Petit rappel des faits : 1979, Roger Waters en plein ego trip, parano à souhait en a marre. Lui, le leader incontesté de Pink Floyd, se heurte à un mur d’incompréhension, de haine, un mur de névroses accumulées depuis sa plus tendre enfance, un mur qu’il va rendre plus que réel grâce au double album mythique The Wall... Placé sous le signe de l’horreur complète, l’enregistrement de l’album est déjà une épreuve de force et met les nerfs à vif dans toute la joyeuse équipe. Et comme si cela ne suffisait pas, Waters a des ambitions encore plus grandes pour ce monstre qu’il vient d’enfanter.

Avec cette musique narrative quoi de plus normal que de vouloir mettre des images dessus. Une idée de grands shows où un mur sera dressé entre le groupe et le public voit le jour. Au même moment, notre cher grand échalas imberbe décide de contacter un dessinateur dont il aime particulièrement les oeuvres : Gerald Scarfe. Ce dernier aura pour mission de créer des personnages particulièrement marquants et de faire des visuels aussi cauchemardesques que la musique qui va avec. Tout aussi mégalo, cynique et atteint que Waters, il saisit presque aussitôt l’essence même de The Wall et propose des idées particulièrement tordues mais essentielles pour que le spectacle prenne vie.

Enthousiasmé, Roger voit subitement plus loin, plus haut plus fort : le cinéma ! Il fera un film de son Œuvre, il s’imagine même très bien jouer dedans, le diriger, le réaliser et tout le bordel... Autre grande idée : les shows grandioses de 1981 seront filmés pour que des séquences live soient insérées dans le film. Idée vite abandonnée. Les bandes existent mais elles ne seront jamais utilisées, au grand dam des fans qui en rêvent encore la nuit... Les gens d’EMI quelques peu terrifiés par les ambitions du bassiste commencent alors une campagne de sabotage dans les règles. Mais c’est sans compter sur le hasard qui fait tellement bien les choses que ça en devient troublant. La maison de disque reçoit en effet le coup de fil d’Alan Parker, réalisateur de Midnight Express et Fame, grand fan du Floyd de surcroît. Lui aussi a été marqué par The Wall et il demande si un film a été fait dessus. Ni une ni deux, on lui communique le numéro de Waters. Et roulez jeunesse !

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Pink incarné par Bob Geldof
© MGM

Au début, Parker ne se veut que simple consultant, distillant son savoir cinématographique. En tout cas, loin de lui l’idée de faire le film lui-même. Sauf que très vite, c’est Waters qui lui propose la réalisation. Mais le petit Alan est déjà sur un autre projet, il propose donc à sa place, son assistant Michael Seresin qui devra bosser en binôme avec Gerald Scarfe. Pour s’imprégner de l’œuvre, ils vont voir le show de Dortmund en février 1981... Et sortent de là complètement transcendés par ce qu’ils viennent de voir. A côté de ça, Waters se documente et lit des bouquins sur les manières de réaliser un film, puis il commence à bosser sérieusement avec Scarfe sur le story board du film. Un story board envoyé aux gentils financiers, mais suffisamment flippant pour en rebuter pas mal. En plus de ça, Roger est bien décidé à jouer le rôle principal. Seul problème, le Roro est ce que l’on peut appeler un piètre acteur. Parker essaye de prendre des pincettes pour lui annoncer que là, ça va pas être possible... Et qu’en plus il a quelqu’un d’autre en vue : un dénommé Bob Geldof, chanteur dans un groupe de punk appelé les Boomtown Rats. Et parce que décidément rien n’est simple dans cette affaire, le petit Bob le crie à qui veut l’entendre : il n’aime vraiment, mais alors vraiment pas Pink Floyd (punk un jour, punk toujours. Quand on pense que le groupe s’est réconcilié grâce à lui en 2005 !).
Mais Geldof est un gueudin et le salaire est particulièrement élevé : il accepte tout de même de devenir le héros de The Wall, une rock-star en plein délire qui s’appelle Pink (sont allés chercher loin non ?).

Parker n’est toujours pas le réalisateur attitré du film, mais il souffre quelque peu de l’ambiance chaotique qui règne tout au long de l’élaboration du projet : les idées fusent, on fait des essais qui ne servent à rien, Waters et Scarfe pinaillent et rechignent et le pauvre Seresin ne s’entend pas particulièrement avec le dessinateur acariâtre. Histoire d’aggraver un peu plus son ulcère naissant, Alan décide de prendre le relais de son chef-opérateur et endosse (enfin !) le rôle de réalisateur. Miracle de la technique, un mythe est en train de naître sous vos yeux. Un mythe loin d’être achevé par ailleurs. Parce que les statuts ont beau être définis, les producteurs et distributeurs ne se pressent pas à la porte, quelque peu effrayés par ce projet de film musical glauque à souhait. Parker, malgré les réticences de Waters qui se sentira d’ailleurs trahi, va fouiner du côté d’Hollywood : coup de bol, MGM accepte de distribuer le film, mais c’est le Floyd qui va devoir en mettre une grande partie de sa poche (déjà qu’ils avaient tendance à perdre du fric avec les derniers shows...)...

À partir de ce moment, c’est Waters et Parker qui commencent à se chercher des noises. Roger ne voulant pas totalement abandonner son bébé, Alan supportant difficilement le caractère mégalo du premier (il aurait même claqué la porte plus d’une fois). En septembre 1981, alors que le tournage est sur le point de commencer, Parker ose quelque chose, peut-être l’épreuve ultime : il va demander à Waters de « prendre des vacances » durant tout le temps de fabrication du film et, miracle, ça va marcher. Une fois libre et un peu plus tranquille, le réalisateur va se mettre au boulot... L’ambiance générale n’est pas pour autant au beau fixe, voilà que Parker devient mégalo à son tour et que Geldof subit mille tortures durant six semaines. Obligé d’incarner cette rock star schizophrène, paranoïaque, isolée et sérieusement dérangée, il s’immerge de plus en plus dans le rôle. Et la tâche n’est pas facile : il ne faut pas oublier que The Wall est une œuvre autobiographique qui s’inspire pour beaucoup de la vie de Waters : un père mort durant la guerre, une mère étouffante d’un amour exclusif, un système scolaire traumatisant, une femme absente qui le trompe. Autant d’éléments, de briques dans le mur. Autant d’évènements qui une fois mis à l’écran mettent franchement mal à l’aise. Et puis bien sûr, il y a Syd Barrett qui, tel un fantôme, hante le film au travers des références explicites à la drogue et à la réclusion psychologique involontaire. Il est même des scènes criantes de vérité, Geldof fait un véritable tour de force et l’ensemble devient parfois insoutenable. Il parait même que lors des projections, certains proches de Syd n’ont pas supporté la scène où Pink se rase les sourcils : trop vraie, trop Barrett, certain durent quitter la salle...

Alors bien sûr, les ficelles psychologiques tirées ici ressemblent plus à de la corde épaisse mais les animations de Scarfe particulièrement terrifiantes, le manque de dialogues oppressant à souhait, la musique du Floyd prenant une ampleur rarement atteinte jusque là, toutes ces choses font de The Wall un film culte pour des générations passées et à venir. Mais tel un monstre, il vit par lui-même et la fiction est bien souvent rejointe par la réalité. Certaines scènes ont été un calvaire à tourner, aussi bien pour les acteurs que pour le réalisateur. Geldof, qui ne supporte pas le sang et ne sait pas nager, se voit obligé d’être immergé dans une piscine à l’eau souillée d’hémoglobine. Pour empêcher qu’il ne coule et ne se noie pour de vrai, on se sert d’un système bien particulier de moule en plastique, reproduisant le corps, système utilisé pour le tournage de Superman (dans les scènes où il vole...). Humiliation suprême : le moule de Superman est bien trop grand pour Bob Geldof. On lui attribue alors le même moule, ayant cette fois ci servi pour Supergirl (qui a dit que c’est la honte ?)... Toujours plus dur, durant la scène de destruction de la chambre d’hôtel, le chanteur est tellement à fond dedans qu’il se blesse pour de vrai et s’entaille profondément la main, refusant d’arrêter tant que la scène n’est pas mise en boîte...

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Les {Fucking Flowers} de Gerald Scarfe
© MGM

Pour Parker, les problèmes viennent des figurants : pour faire plus vrai, il embauche des skinheads bien réels qui oublient qu’ils sont censés faire semblant de taper et qui continuent de se bastonner même après que l’on ait crié : « Coupez ! ». Idem pour les punks choisis pour passer à tabac un acteur noir (dans la scène de Run Like Hell). L’autre problème vient au moment du montage : en six semaines de tournage, 60 heures d’images ont été accumulées et quand Waters revient pour mettre son grain de sel, c’est un bordel sans nom. L’hystérie dira même Scarfe, chacun voulant imposer ses idées aux autres, dans un combat d’ego, destructeur à souhait. L’aventure est traumatisante jusqu’au bout donc, mais c’est sans compter sur les critiques qui démontent le film dans les règles de l’art. Trop violent, trop dense, trop musical, trop « auto-complaisant ». Heureusement que le public, lui, fut au rendez-vous.

Des générations de spectateurs traumatisés par les scènes d’animations de Scarfe vont voir le jour : des enfants passés au hachoir aux « fucking flowers » qui se dévorent dans un coït d’une horreur sans nom, en passant par les marteaux qui marchent, voilà de quoi finir aussi prostré et catatonique que Pink... Pour beaucoup, ces animations sont la meilleure des choses du film, et pourtant, mises bout à bout, elles ne dépassent pas les 20 minutes. C’est fort. A côté de cela, The Wall est particulièrement intéressant pour les fans, puisque l’on peut y entendre des morceaux inédits (When The Tigers Broke Free et What Shall We Do Now par exemple). De toute manière, il faut vraiment être fan du Floyd pour apprécier tout ce film.

Car pour l’anecdote finale, il faut savoir que cinq ans après la sortie du film, Roger Waters en pleine rupture avec le Floyd et en pleine abnégation de tout son passé, ira jusqu’à dire lui-même que The Wall est un mauvais film...

Ben franchement, tout ça pour ça, c’est malin...

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Quand petit Pink rencontre Grand Pink
© MGM


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