Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Sylvain Golvet le 22 novembre 2011
La pochette de ce At Fillmore East, ce n’est qu’une photo. Mais une photo de Jim Marshall. Jim Marshall [1], tout le monde le connaît, en tout cas sous les traits de Dennis Hopper dans Apocalypse Now. Ce photographe allumé ne quittant jamais son Leica, symbole vivant de la folie des 60’s, c’est bien lui. Photographe à Woodstock, il a couvert un nombre impressionnant de groupes marquants de l’époque, des Stones à Miles Davis, de Dylan à Greatful Dead, même les Beatles lors de leur dernier concert, et élaborant pas moins de 500 pochettes tout au long de sa carrière.
La force des photos de Jim Marshall vient de leur simplicité apparente. Clairement il n’est pas David LaChapelle. Pourtant, et au-delà d’une maîtrise technique indéniable, un certain conditionnement lui est nécessaire à sa mise en scène. Pour obtenir un cliché aussi marquant que celui de Janis Joplin souriante, allongée avec sa bouteille de Southern Comfort, il a fallu que celle-ci accepte l’accès total de Marshall à son environnement, qu’il puisse la suivre dans ses moindres gestes, jusqu’à lui faire oublier sa présence. On imagine alors sans peine que Janis Joplin ne s’est même pas rendu compte qu’elle était immortalisée ainsi à ce moment-là. Et malgré la réticence de beaucoup sur la diffusion de ce cliché, Janis aura le dernier mot : “Jim, this is how it is sometimes. Lousy.” [2]
Jim Marshall : "I had the trust of the artist, I would work with them, and they knew I wouldn’t fuck around or do anything they didn’t like... No one I’ve shot, not Dylan, not Miles, not Cash, has ever complained about how my pictures of them have been used." [3]
Son talent revenait à créer les conditions du hasard. Et son premier fait d’arme vient justement d’un hasard, quand il croise John Coltrane à San Francisco. Celui-ci lui demande où se trouve la maison du journaliste Ralph Gleason. Marshall ne se démonte pas, il le guidera s’il accepte d’être photographié pendant son entretien. Sa carrière était lancée. Ensuite, Jim Marshall a créé des icônes. Jimi Hendrix brûlant sa guitare, Bob Dylan faisant rouler un pneu dans le New York de 1963, Johnny Cash pointant son majeur au monde, toutes ces images sont issues de ses appareils. Et même si cela aurait pu se passer sans lui, Marshall a eu le génie de capter l’instant parfait et de le diffuser au monde.
Jim Marshall a eu la chance d’officier à un moment où les stars étaient moins frileuses sur leur image privée, ou en tout cas ne s’en souciaient pas. Il a eu aussi le culot de provoquer ce genre de conditions. Mais peut-être que cette icônisation a semé les graines d’un culte de l’image chez de nombreux artistes et maisons de disques. L’heure est maintenant aux attachés de presse difficiles à franchir et aux groupes qui se méfient de l’immixtion dans leur vie privée. Il existe peu de photos spontanées des Arctic Monkeys, un groupe pourtant populaire, relativement peu porté sur son image. L’équivalent d’un Jim Marshall actuel est peut-être alors à chercher dans la vidéo, tel les Concerts à Emporter, l’une des rares occasions de voir des artistes en action et sans fard.
Revenons au Fillmore East. Ou plutôt à Macon, Géorgie, chez les Allman Brothers où le cliché a été pris en réalité. Concrètement, qu’est-ce qu’on voit ici : Un groupe uni, entouré de son matériel et visiblement heureux d’être ici et ensemble. Quelle vérité cela dit du groupe : Ils sont humains, se respectent et sont heureux de jouer ensemble. Et ils sont entourés de leurs instruments, ne demandant qu’à les sortir pour faire parler la poudre. Bref, l’écrin idéal pour le disque que l’on connaît.
La mise en scène est simple, et à vrai dire, elle aurait pu ne rien donner d’exceptionnelle. D’autres photos de la même session témoignent du fait que le groupe n’est pas très amène à être photographié, et la banalité voire l’ennui peut se lire sur leurs traits, allié à la fatigue puisque Marshall voulait une belle lumière du matin. Le hasard entre alors en scène. Un ami de Duane Allman se pointe, et Duane interrompt alors le shooting pour lui piquer son joint et peut revenir s’asseoir parmi ses amis. Puis il prit une taffe et fit une telle tronche que les autres ne peuvent qu’éclater de rire. CLIC. Et voilà l’une des pochettes de rock parmi les plus mondialement connues.
Dernière anecdote de l’humanité de Jim Marshall : L’arrière de la pochette immortalise les roadies du groupe buvant des bières payées par le photographe pour les remercier d’avoir installé la montagne de matériel en arrière-plan. Leurs expressions ne montrent pourtant pas une grande gratitude.
Duane Allman meurt quelques mois plus tard, ce qui en fait l’un des derniers clichés le représentant. Jim Marshall, lui, décède en 2010, entraînant de nombreux hommages émus. La vie s’envole, les images restent.
[1] Non Jim Marshall n’a pas créé les amplis Marshall, contrairement à Jim Marshall.
[2] « C’est comme cela que ça se passe parfois, de façon minable. »
[3] « J’avais la confiance des artistes, si je devais travailler avec eux et ils savaient que je n’aurais pas déconné ou fait n’importe quoi qu’ils n’aimeraient pas. Aucun de ceux que j’ai photographié, que ce soit Dylan, Miles Davis ou Johnny Cash ne s’est jamais plaint de la façon dont j’ai utilisé leur image. »
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |