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mercredi 15 avril 2015
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par Le Daim le 11 mai 2010
Deux sessions live enregistrées au studio Paris Cinema de et pour la BBC en 1970 et 1971. Disque non-officiel partagé par le label Harvested et disponible ici où là.
J’avoue. Je n’ai jamais vu Pink Floyd en concert. Soit j’étais fauché, soit j’étais trop jeune, soit je n’étais pas né... Même si j’avais assisté à pareil spectacle ça ne m’empêcherait pas aujourd’hui de continuer à regretter que la discographie live du Floyd soit aussi pauvre. Passons sur P.U.L.S.E, un trés bon disque, un fabuleux DVD : oui, oui. Trés propre, bien réglé, avec plein d’effets spéciaux qui explosent partout et une belle bande de requins garantis sans fausses notes ni improvisation... Et sans Waters. Passons également sur la vidéo Live At Pompei qui est devenue culte tout simplement parce qu’il n’y a rien d’autre à se mettre sous la dent.
Qu’avons nous d’autre ? Un des deux disques de l’album Ummagumma. Un disque prétendument live, proposant quatre morceaux. Du matériel complètement tronqué, charcuté, raffistolé et tellement mal mixé qu’au casque on entend les raccords de bande dans les morceaux. De plus, le son est si mauvais que ce disque ferait passer presque n’importe quel bootleg pour un album studio remasterisé. Et c’est tout. Dommage. Car si le Floyd est bon en studio, il est encore meilleur en concert.
Alors oui, l’auditeur (et pas seulement le fan) qui veut entendre du Floyd en live se tournera vers les innombrables enregistrements pirates du groupe, disponibles ici ou là. Certains sont d’une qualité musicale et sonore à tomber par terre et offrent largement de quoi se consoler sans débourser un kopek, ce qui ne gâche rien. Parmi ces enregistrements, il est exclu de faire l’impasse sur The Man And The Journey, concert capté en 1969 à Amsterdam est scruté à la loupe par le kamarade Arnold dans cette même rubrique. Il serait tout aussi pertinent de se procurer ces Paris Cinema Sessions [1] dont je vais vous parler immédiatement.
Il s’agit de deux concerts enregistrés à Londres le 16 septembre 1970 et le 30 septembre 1971 par et pour la BBC dans le cadre de l’émission de feu Saint-John Peel. Certains petits malins ont visiblement saisis l’opportunité d’une diffusion radiophonique pour faire tourner leur magnéto à bande (j’aurais fait pareil), à moins qu’un employé de la BBC ait eu l’excellente idée de faire une copie de l’enregistrement. Quoi qu’il en soit nous voilà en possession d’un objet de très bonne facture, pourvu d’un son bien équilibré... Et en stéréo, s’il vous plaît !
À cette époque Pink Floyd bosse dur, multipliant les concerts partout en Europe et aux États-Unis (près de 200 prestations totalisées en 70 et 71), et ne cessant de peaufiner de nouveaux morceaux. En septembre 1970 le groupe vient d’achever le mixage de son album Atom Heart Mother dont la parution est prévue en octobre. Un an plus tard, c’est l’album Meddle qui est en phase de pressage lorsque le Floyd revient au studio Paris Cinema pour donner un nouveau concert. Chacune de ces sessions est donc l’occasion pour le groupe de présenter en avant-première la production à venir. Et pas n’importe laquelle, ces deux albums presque jumeaux étant de véritables pierres angulaires de la discographie du groupe avec les morceaux fleuves occupant une face complète que sont Atom Heart Mother et Echoes. Deux suites musicales d’une intensité inouïe qu’on retrouve ici parmi d’autres extraits de ces albums et quelques classiques. Magnifique !
Le premier disque de ce bootleg débute par Embryo, morceau très Barrettien longtemps trimballé sur les routes et en perpétuel changement. Le destin d’Embryo n’était étrangement pas de figurer sur un album studio, on le trouve cependant sur la compilation Works dans une version assez médiocre. Monstre tantôt pitoyable, tantôt effrayant, cet Embryo à la mélodie torturée est chanté brillament par David Gilmour qui ponctue la chanson de puissants soli blues. Ce titre aux multiples mouvements et ambiances est une bonne occasion d’improviser, notamment pour Rick Wright qui nous sert une sympathique purée psychédélique à base d’orgue sur fond de cris de bébés. Plutôt flippant, surtout quand la guitare le rejoint en assaisonnant le tout de ces hurlements stridents dont Gilmour a le secret [2].
Ce premier morceau donne déjà un aperçu très précis de ce dont est capable le goupe en concert : des morceaux délicieusement rallongés alternant bien plus fortement qu’en studio les parties douces et les parties puissantes. La qualité des improvisations et l’interprétation sans accroc, hyper pointilleuse, ne laisse aucun doute quant au talent des quatre musiciens. Tout ici est extrêmement créatif et intense. Ensuite vient Fat Old Sun, extrait d’Atom Heart Mother, jouissant d’un traitement plus électrique et groovy. Là encore le chant de Gilmour est parfait, angélique et planant. Et le morceau est déjà très différent de sa version studio, enregistrée mais pas encore publiée.
Le morceau suivant, Green Is The Colour, est très joli. Hélas il est coupé sur le disque dont je dispose. Je ne m’attarderai pas sur l’interprétation sans surprise quoique de très bonne facture de Careful With That Axe Eugene, morceau fétiche du groupe à cette époque. La virée habituelle au fond des bois, s’achevant par un regrettable accident de hache et moult hurlements. Vient ensuite If, très semblable à sa version en studio, mais où Gilmour semble rencontrer des problèmes de son qui font que sa guitare ne joue pas aussi fort qu’elle le devrait.
Et puis... Enfin : Atom Heart Mother. Énorme mes amis, Énorme. On jouit lorsque John Peel annonce que le Philip Jones Brass Ensemble et le John Aldiss Choir accompagneront le groupe sur ce titre, comme sur l’abum à venir. Ce qui suit est tout bonnement apocalyptique, d’une invraisemblable puissance sonore et émotionnelle. Mieux encore que sur le disque studio. Mais ce n’est pas fini. On ne s’en est toujours pas remis alors qu’on appuie sur « lecture » après avoir inséré dans le mange-disque le second disque de ces sessions. Le son est meilleur, et tout le monde semble très excité : le groupe, John Peel et le public. Cela fait un an qu’ils ne se sont pas retrouvés, mais pour nous c’était il y a 10 secondes. Il n’empêche : on est impatient d’assister à ce retour.
Ce deuxième disque commence par une nouvelle version de Fat Old Sun : la meilleure qu’il m’ait été donné d’entendre, et de très loin. Bien supérieure à celle du premier disque, grâce à plusieurs improvisations passant avec une époustouflante facilité du rock au funk jazzy pour finir dans une ambiance blues comme au bon vieux temps à Chicago. Ces 15 premières minutes passent vite, et on en reste sur le cul.
Ce morceau achevé, John Peel annonce One Of These Days en citant Waters : « ceci est une poignante évocation d’une relation sociale contemporaine ». Un oscillateur est mis en branle : on entend le vent, puis la monstrueuse basse résonnante de Roger Waters. Sept minutes et quarante-quatre secondes plus tard, après un épouvantable déluge d’électricité groové à mort par la section rythmique, Nick Mason formule la menace contenue dans le titre... « Un de ces jours je vais te couper en petits morceaux » [3]. Là encore, cette version dépasse celle de l’album studio en rugosité et en brutalité. C’est ensuite le retour de l’Embryo, toujours aussi bizarre mais bâclé en comparaison de sa version sur le premier disque. Avant de terminer par un petit blues pour le moins cosmique, le Floyd nous offre quand même Echoes. Probablement le titre le plus aimé des puristes. Comme je les comprends ! Le groupe prend son temps pour installer l’atmosphère de cet étrange conte maritime. Gilmour s’est armé d’un bottleneck [4] pour l’ intro, produisant des effets de slide hawaïens en lieu et place du solo classique de la version studio. Et c’est parti pour 25 minutes parfaites pendant lesquelles le guitariste prend clairement le pouvoir avec un son gigantesque, comme sorti d’une cathédrale.
Ce bootleg ne présente pas un contenu aussi riche et original que celui de The Man And The Journey, mais il repose sur une excellente idée : réunir en un seul disque deux sessions présentant de fabuleuses versions des titres Atom Heart Mother et Echoes. Les autres morceaux sont tout aussi excellents, et le son tellement bon qu’il justifierait presque une officialisation de l’enregistrement tel quel. Ce disque apparaît du coup aussi indispensable que n’importe quel autre album indispensable du groupe... Peut-être même plus : car la musique du Floyd n’a jamais été aussi vivante et puissante que sur ces enregistrements.
[1] Farfouillez-donc sur les sites de fans.
[2] Il utilise pour ce faire une pédale de distortion, une wah-wah, une chambre d’écho et la réverbération à ressorts de son ampli. Il produit un effet de violon en attaquant les notes avec le son à zéro, et en poussant ensuite progressivement le potentiomètre de volume de la guitare. Pour finir, il triture la barre du vibrato de sa stratocaster, ce qui fait "monter et descendre" les notes... Le résultat : quelque chose qui ressemble à des cris de baleine. Voilà : maintenant ce n’est plus un secret, mais respect ; c’est tout de même lui qui a inventé ça !
[3] Cette phrase serait adressée à l’animateur de la BBC Jimmy Young qui avait la regrettable mais terriblement britannique habitude de casser du sucre sur le dos des célébrités et de répandre des rumeurs à leur sujet. Voilà qui nous aide a comprendre le sens des paroles sybillines de Waters citées par Peel avant la chanson
[4] Le bottleneck est un tube en verre ou en métal qu’on dispose sur un doigt de la main gauche (généralement le majeur ou l’auriculaire) et qu’on fait glisser sur les cordes sans appuyer sur les frettes ou la touche. Cette technique nous vient des bluesmen qui utilisaient souvent des têtes de bouteille en verre pour obtenir ces effets de glissando. En plus de vous faire découvrir un super disque, Le Daim vous initie à la guitare... Sympa non ?
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