Films, DVD
Black Snake Moan

Black Snake Moan

Carl Brewer

par Sylvain Golvet le 24 mars 2009

4

Paru le 30 novembre 2007 (Paramount)

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Des films musicaux, on en ramasse à la pelle dans n’importe quelle DVDthèque, des bons (The Blues Brothers), des fous (Cry Baby, avec le tout jeune Johnny Depp), des biopics surtout, certains honnêtes (Ray, Walk The Line), d’autres ratés (The Doors), sans compter les faux (Spinal Tap, Walk Hard,…). Mais des comme celui-là, il y en a peu. Car il ne s’agit pas de l’histoire d’un artiste, d’un groupe ou d’un genre musical, juste de personnages de tous les jours, à qui le son du blues changera l’existence.

Malgré son indéniable impact iconique, l’affiche de Black Snake Moan est quand même assez trompeuse. On regretterait presque qu’il ne s’agisse pas là d’un bon film de Blaxploitation ou un Samuel L. Jackson badass asservirait Christina Ricci en esclavage. Bon d’accord, chacun ses envies de cinéma, n’empêche qu’en ces temps de politiquement correct cette affiche, que même l’actrice principale trouvait trop sexiste, fait quand même plaisir à voir par son élégante irrévérence. Mais ne vous inquiétez pas, Lazarus, le personnage joué par Jackson, use bien sûr de cette magnifique chaîne pour emprisonner Rae, jouée par Ricci. Mais pour des raisons bien plus subtiles que pour échauder le spectateur pré pubère.

Car Craig Brewer, dont c’est le 2ème film après Hustle and Flow situé dans l’univers du rap, ne s’intéresse qu’à une chose, l’évolution de ses personnages, et la façon dont le blues va les changer. Une déclaration d’amour pour cette musique, exprimée dès les premières minutes du film par cette interview de Son House. Le vieux bluesman y décrit sa conception du blues : “There’s only one kind of blues…that consists between male and female…” [1]. Cette femme, c’est Rae, une nymphomane qui encaisse mal le départ de son mec en Irak (le pas mauvais Justin Timberlake). Cet homme, c’est Lazarus, un ancien bluesman qui a laissé tomber sa guitare pour se morfondre depuis que sa femme l’a quittée. Quand Lazarus trouvera Rae inconsciente et pleine d’ecchymoses devant chez lui, il décidera de la recueillir et de la remettre dans le droit chemin. Même contre son gré. Craig Brewer fait donc se rencontrer deux fortes têtes, deux êtres torturés qui vont s’affronter puis se nourrir et se ramener à la vie. Le film tourne donc autour des traumatismes de ces deux êtres, et comme l’on est dans le Sud, c’est bien une rédemption qui les attend. Mais loin de se faire moralisateur, le réalisateur sait bien que ce n’est pas la religion qui les sauvera, mais bien le blues, cette expression personnelle de ce qui les ronge à l’intérieur, et dont l’extériorisation les fera avancer. Clin d’œil au blues, on notera que Samuel L. Jackson a ici la tête de R.L. Burnside. Qu’on retrouve d’ailleurs dans la BO bien roots.

Si le réalisateur a choisi d’appeler son film Black Snake Moan, c’est en hommage à la chanson de Blind Lemon Jefferson, qui de son avis est "… one of the most haunting, wicked blues songs of all time." [2] C’est donc une scène hantée et vicieuse qui lui sera consacrée. Une magnifique scène de cinéma, où Samuel L. Jackson entonne lui-même la chanson-titre comme un possédé, avec une Christina Ricci blottie contre lui, effrayée par l’orage qui retentit dehors. Cette scène centrale, qui va lier les personnages à jamais, justifie presque à elle seule la vision du film, un truc à donner des frissons comme rarement. Une autre scène musicale lui fera écho plus tard, lorsque Lazarus jouera avec un groupe, ce qu’il n’avait pas fait depuis très longtemps. Les deux personnages ayant repris confiance en eux, pourront s’épanouir chacun de leur côté. La musique passe donc d’élément rapprochant à celui d’élément émancipateur.

Craig Brewer a choisi le Sud des Etats-Unis, pour parler des gens simples, aux problèmes finalement assez banals. Mais mieux qu’une étude sociologique condescendante, il donne la parole à ces gens pas tout à fait bons, mais pas complètement mauvais non plus, qu’il filme avec une justesse vibrante. Et c’est tout à son honneur d’avoir évité le cliché du récit réaliste (bien que très écrit) mis en image de manière brute. Au contraire, il se fait plaisir et soigne ses plans et sa lumière, donnant au tout un écrin de la plus grande classe, tout en soulignant toujours efficacement l’émotion de chaque scène. Une bonne histoire, deux acteurs impliqués et une ambiance terrible, Black Snake Moan a beau être un petit film, il n’en est pas moins touchant, transpirant la vérité tout en étant du pur cinéma. Passé relativement inaperçu lors de sa sortie en mai 2007, il mérite donc une redécouverte immédiate.



[1"Il n’y qu’une seule sorte de blues… qui se limite à un homme et une femme…"

[2"… une des chansons de blues les plus possédés et vicieuses de tout les temps."

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