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Blues Funeral

Blues Funeral

Mark Lanegan Band

par Thibault le 22 septembre 2012

paru le 6 février 2012 (4AD)

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Après huit années à faire des piges vocales ici et là, Mark Lanegan a enfin sorti un nouvel album solo en février dernier, ce qui fait que cette chronique est toujours moins en retard que le disque. Depuis son chef d’œuvre I’ll Take Care of You en 1999, la musique de Lanegan est allée en s’électrisant progressivement. Field Songs était un bel album de folk électro-acoustique, Bubblegum variait ouvertement les genres dans une optique plus rock, Blues Funeral est quant à lui intégralement électrique (à une chanson près). Cette première dans l’œuvre solo de Lanegan relève probablement de la double influence des Gutter Twins et surtout des Soulsavers, les deux groupes dans lesquels il s’est le plus investi ces dernières années.

Blues Funeral est donc un album hyper produit qui pousse encore plus loin le mélange trip-hop / post punk / americana des Soulsavers. Lanegan l’a dit ; il a composé les démos de cet album avec un clavier et une boite à rythmes avant un travail d’arrangements partagé avec Alain Johannes, homme à tout faire du projet. L’écriture des morceaux s’est faite à quatre mains et Lanegan a dit être absolument épaté par cette association. Le chanteur ne désire que retravailler avec Alain (mais qui ne voudrait pas travailler avec Alain ?) et on se dit que c’est quand même beau ces deux zèbres qui s’épanouissent et ne tarissent pas d’éloges l’un sur l’autre. C’est une excellente chose pour Lanegan d’avoir trouvé une sorte d’âme sœur qui lui manquait ; jusqu’ici il collaborait avec tout le monde mais se stabilisait peu. C’est encore plus important pour Alain ; ce dernier pleure toutes les larmes de son corps depuis la mort de sa femme et partenaire musicale pendant plus de vingt ans, Natasha Schneider. Une nouvelle collaboration artistique intime et durable est la meilleure chose qui puisse lui arriver.

Fin de la séquence émotion, mettons le nez dans les couplets. Bubblegum l’annonçait, oubliez les saveurs old school d’une musique qui se revendiquait de Jeffrey Lee Pierce et de Nick Drake : Blues Funeral est une déclaration d’amour à Joy Division. Pratiquement toutes les chansons filent sur des ostinatos synthétiques de basse et de batterie, très mis en avant dans le mix. Autre nouveauté, les chansons relèvent davantage du « stream of mind » que du couplet/refrain/pont traditionnel, sans être déstructurées pour autant, loin s’en faut. Les chansons restent de véritables chansons qui mettent la voix en vedette, il faut dire que le Mark aurait tort de se priver vu qu’il sait bien que seuls les sourds sont insensibles à sa voix, et encore, certains ont retrouvé l’audition juste pour l’entendre.

Si Lanegan ne compose plus à la guitare acoustique, il tient toujours son stylo de la même manière. Ses couplets et refrains ne surprennent pas, on retrouve toujours ce style classique qui berce l’auditeur plus qu’il ne l’agrippe. Derrière la pulsation rythmique et la merveilleuse voix intervient Alain. Ses efforts sont assez impressionnants. Les arrangements, les textures, le dosage des ambiances et l’utilisation même des instruments approchent l’excellence. La trame des morceaux est assurée par la basse, la batterie et le chant, Alain peut donc se livrer à un travail d’arrangements de guitares. Sur les premiers morceaux, c’est un plaisir de guitares tranquilles avec des glissandos métalliques, de la fuzz tenue du petit doigt au vibrato, des jeux d’ombre, de lumière et de silence avec des arpèges clairs ou des crashs étouffés en stéréo, des twangs et des solos chantant à la Beatles, le tout dans une reverb posée comme un monarque au banquet. Les musiciens n’oublient pas l’énergie avec un bon Riot in a House où Josh Homme tient la seconde guitare pour un morceau qui rappelle forcément les derniers QOTSA et les Vultures.

Outre ces belles guitares, les morceaux offrent un son troublant, à la limite de l’impressionnisme. Difficile de démêler les couches d’instruments où se mêlent des bourdonnements diffus, des basses, des claviers et même quelques effets de saxophone comme sur Bleeding Muddy Water, titre qui est un brouillard à couper au couteau. Tout n’est pas exempt de reproches car Lanegan ne fait pas toujours dans la concision et a aussi tendance à se la péter grave, comme on dit. Les hmmmmmmmmm et baaaby don’t feel sooo baaaad répétés quarante-cinq fois sont un peu too much et ce n’est rien en comparaison de St Louis Elegy, qui rappelle Paper Money des Soulsavers, autre chanson où Lanegan se regardait chanter.

Sur St Louis Elegy, Lanegan a trouvé une rime dont il n’est manifestement pas peu fier puisqu’il l’assène à trois reprises. Ce vers est d’une subtilité digne d’un poème de lycéen : « if tears were liquor, i’d have drunk myself sick »… TAVU GROS ? C’est pas sombre-et-adulte-et-métaphorique, ça ? Même que les secondes et troisièmes fois, le vers devient « these tears were liquor and i’ve drunk myself sick ». Ah, j’ai pas l’air comme ça, mais à l’intérieur mon cœur saigne, oh oui bébé il saigne, mais je suis un homme, un vrai, et un homme quand ça va vraiment très mal ça se colle une cuite à l’ancienne et ça pleure un peu pour marquer le coup. Le texte ne fait pas dans la demi-mesure mais alors la musique…

Le je-me-la-pète-o-mètre s’affole : percussions en clapotis, grosses vibrations de basse, légers scratchs discrets mais stylés qui font bien, arpèges à la Morricone, orgues, chœurs et montée des marches sur le tapis rouge pour un refrain en aaaaahaaaahaaaah… Et devinez quoi ? Lanegan répète chacun de ses effets par trois fois ! Il la refait sous tous les angles, en travelling, en panoramique, au ralenti, en ménageant ses effets de manche comme un pape à Saint Pierre de Rome. Il marque des pauses qui gueulent « entend comme ce silence en dit aussi long que les mots », susurre des « ooh yeeah », refait des « hmmmmhmmmm »… bref, il se la joue Clint Eastwood yeux plissés face au couchant avec un aplomb à vous couper la chique. Mais il fait ça bien ; St Louis Elegy est une belle preuve que les bons musiciens peuvent en faire des caisses et avoir toujours une certaine classe.

En somme, la qualité des compositions l’emporte largement sur les quelques petits défauts de ci de là. On est agréablement surpris d’entendre une musique neuve qui mélange plusieurs styles avec cohérence et finesse, ce qu’on n’attendait pas forcément puisque les premières chansons composées par la paire avant l’album étaient beaucoup moins électroniques (cf Burning Jacob’s Ladder).

Mais, comme me disait NonooStar quand il a écouté le disque en février dernier, « à partir d’Ode to Sad Disco, ça devient bizarre… » Jusqu’ici la digestion d’éléments post punk 80’s était irréprochable. Pour une raison mystérieuse, mais on peut mettre ça sur le compte des lubies délirantes qui traversent parfois les musiciens [1], qui ne sont pas des gens comme nous, Lanegan a concocté une espèce de marche disco de six minutes, assez molle, très… bizarre, et pas dans le bon sens du terme. L’ambiance n’est pas trop mal fichue mais assez pénible : ça reste du disco au ralenti chanté avec une voix de dépressif chronique, ce qui est une aberration en soi malgré tout. Il y a quelques bonnes idées (les chœurs solennels sont casse gueules mais plutôt réussis) mais l’ensemble sonne comme un exercice de style m’as-tu-vu et plutôt dispensable.

Ce titre est le tournant de l’album, comme disent les commentateurs sportifs. Quiver Syndrome est une resucée de Riot in a House avec quelques motifs foireux, le chant est hasardeux sur Phantasmagoria Blues, Deep Black Vashining Train est gâchée par un invraisemblable pont à la flûte. Oui, à la flute. Les belles promesses de Leviathan avortent dans un final qui aurait gagné à être plus épuré mais où les voix de Lanegan et de Chris Goss se contredisent plus qu’elles ne se complètent. Tiny Grain of Truth tourne à vide et la douloureuse Harborview Hospital présente de vilaines guitares façon U2 et des synthés incongrus. Les différentes textures ne se marient plus, au point d’irriter, l’ambiance devient un peu sirupeuse, les choses trainent en longueur sur près d’une heure et l’album finit boursouflé, dommage. Reste une poignée de chansons qu’on ne se lasse pas d’écouter et qui montrent un potentiel insoupçonné chez Lanegan. On ne pensait pas le voir faire un tel virage à bientôt cinquante ans et on d’autant plus envie de le réentendre au plus vite. Sans le disco et la flûte.



[1Lanegan a récemment enregistré une reprise de The XX…

Vos commentaires

  • Le 3 octobre 2012 à 11:12, par La Pèdre En réponse à : Blues Funeral

    Malgré tout c’est un album qui semble bien vieillir. 5 mois après sa première écoute, on y revient, et on se plait à redécouvrir un album solidement mené, original pour tout dire (re-envisager Leviathan et son solo au bignou synthétique (???), ses choeurs Pet Sounds, etc.). Tout l’inverse de Bubblegum, épuisé illico après la première écoute...
  • Le 3 octobre 2012 à 13:09, par Thibault En réponse à : Blues Funeral

    Bubblegum il y a des chansons magnifiques dessus. One Hundred Days, ça tient quand même plus d’une écoute.

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Tracklisting :
 
1. The Gravedigger’s Song 3:43
2. Bleeding Muddy Water 6:17
3. Gray Goes Black 4:11
4. St. Louis Elegy 4:34
5. Riot in My House 3:53
6. Ode to Sad Disco 6:24
7. Phantasmagoria Blues 3:16
8. Quiver Syndrome 4:03
9. Harborview Hospital 4:31
10. Leviathan 4:22
11. Deep Black Vanishing Train 3:06
12. Tiny Grain of Truth 7:07
 
Durée totale : 55’27"