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par Milner le 25 septembre 2007
Depuis la fin des années 1980, Dylan semblait en avoir fini avec sa relative méforme artistique et tout le travail capitalisé à son compte par la suite lui ont permis d’être repris dans l’engrenage et il entendit en profiter pour tenter d’exposer au grand jour le fruit de ses expériences sonores les plus profondes, essayer de faire partager encore une fois une musique différente de ce qu’on a l’habitude d’entendre de sa part. Il avait jusqu’alors tenté de prouver par A plus B à son public et à ses détracteurs qu’il n’était qu’un homme comme les autres, bien que l’image du surhomme resta. Forcément, dans ces conditions, il était incompréhensible de voir l’artiste sombrer corps et âmes dans une misère créatrice et dans un retour aux sources du folk. De même, il était inconcevable que la seule chose qu’il se sentait alors l’envie de faire, c’est d’enregistrer le même disque à quelques nuances près que le précédent.
Sa retraite dure quelques mois, au début de l’année 1996, le temps de réfléchir à la décennie passée sur les planches et au fond des studios, le temps aussi de composer de nouvelles chansons à la guitare et d’élaborer un énième projet d’album. C’est dans cette optique qu’il s’enferme de longs mois avec Daniel Lanois pour réaliser le glaçant et crépusculaire Time Out Of Mind. On y trouve des pièces de structures classiques, des textes profondément ancrés dans la réalité, d’autres au sens à peine perceptible. Le disque entier baigne dans une atmosphère irréelle que le végétarien Dylan n’avait jamais proposé jusqu’alors. Quelques pièces maîtresses de son répertoire (Dirt Road Blues, Not Dark Yet, Highlands, Love Sick) s’y condensent, s’étirent entre le songe et l’éveil ; à moitié assoupit, à moitié éveillé. L’album paraît en août 1997, l’année même où son auteur a failli passé de vie à trépas quelques semaines avant sa publication, à cause d’une alerte cardiaque. Cela pourrait paraître anodin dans la conception de l’album si justement la mort n’hantait ses onze pistes, comme si Dylan avait tenté de coucher sur bandes la menace imminente avant qu’il ne lui
arrive malheur. L’auditeur s’en retrouve comblé et plébiscitera le disque en lui permettant de récolter trois récompenses aux Grammy Awards, une tournée mondiale est mise sur pied (dans laquelle il croisera sur scène son fils Jakob et ses Wallflowers) et permettra à l’artiste de rencontrer le Pape Jean-Paul II à Rome pour qui il offrira un Knockin’ On Heaven’s Door de haute facture. Regaillardi par ces évènements favorables, le Zimm’ crée son propre label Egyptian Records en publiant un album hommage à un artiste qui lui est cher, Jimmie Rodgers (The Songs Of Jimmie Rodgers—A Tribute).
Le retour de Dylan a été la surprise la plus imprévisible de l’année. Après une carrière qui s’effilochait, il était difficile d’imaginer le précieux classicisme du chanteur bouclé se retaillant une part de lion dans le foutoir electro-revival des années quatre-vingt dix. Il est difficile de ne pas perdre de vue que tous les nouveaux aspirants Dylan qui émergèrent dans cette décennie aux États-Unis ne feront jamais autant d’argent dans leur propre pays qu’un seul album du Zimm’. C’est la raison du gros complexe qui afflige tous les albums qui suivirent la parution de Time Out Of Mind, ainsi que l’explication d’une bonne moitié de cette scène folk de nos jours. Aussi, il ne fut pas étonnant de voir en 1998 un titre de cet album (To Make You Feel My Love) devenir un #1 country pour l’inénarrable Garth Brooks. Dans le même temps, Dylan autorise la publication d’un quatrième volet des bootlegs historiques The Bootleg Series, vol. 4 : Bob Dylan LIVE 1966 : The “Royal Albert Hall” Concert. En dehors d’une tournée avec Paul Simon en 1999, la routine avait déjà repris ses droits dans la vie de l’artiste. Non pas qu’une démobilisation ou qu’un relâchement aient pu pointer le bout de leur nez mais plutôt un paisible retour à l’écriture de chansons, textes, poèmes pour un futur plus ou moins proche.
C’est précisément en 2000, année symbolique par excellence, que le barde réapparaît avec Things Have Changed, un titre présent sur la bande originale du film Wonder Boys, qui lui vaudra de nouvelles récompenses de la part des professionnels de l’industrie du spectacle, un Grammy Award et un Oscar. En parallèle, il commence à se pencher sur l’écriture de ses mémoires et sur de nouvelles compositions en vue d’un prochain disque. Et quoi de mieux pour faire patienter les fans que
de publier une nouvelle compilation avec le doublement The Essential Bob Dylan, rétrospective assez fidèle de quarante années au service de la musique. Après quatre années d’attente, Dylan refait parler de lui, au moment que choisit l’Amérique pour s’engager de plein pied dans la guerre contre le terrorisme religieux au Moyen-Orient. Visionnaire. Prophétique sans aucuns doutes. « Love And Theft », vaste panorama de la musique américaine selon son auteur, est la vision la plus détendue de l’artiste depuis Nashville Skyline paru en 1969. Paradoxalement, c’est en revenant sur le devant de la scène et en cassant les codes qu’il parvint à distancier son art et à se libérer des contraintes dans lesquelles il s’était enfermé dans le passé.
On sent que l’homme n’a plus de comptes à régler avec la société et ses détracteurs et qu’il propose un disque pour plaire à un nouveau public. Et ce mélange de pré-bop jazz, ballades folk, blues du Delta et rockabilly dansant sont de charmantes vignettes qui figent la musique du disque dans une sorte d’hommage à ses amours de jeunesse. Le rock n’est plus depuis bien longtemps un outsider marginal du show-biz, il en est devenu l’un des produits les plus rentables, en Amérique du moins, et qui plus est lorsqu’une légende refait de nouveau parler d’elle. D’ailleurs, le chanteur si discret et méfiant jadis est devenu aimable, causant et disponible comme s’il sentait que la fortune considérable et la notoriété acquise depuis tant de temps n’était que le fruit du hasard et qu’il voulait s’en expliquer. « Je n’ai pas choisi de faire ce que vous me voyez faire, disait-il. J’ai été choisi. Si j’avais été consulté, j’aurai préféré être scientifique, docteur, ingénieur. Des gens que j’admire vraiment. Je n’admire pas les gens du spectacle. »
Au bout de ce long et étrange chemin qui a servi à la maturation de ses deux derniers albums, le propos de Dylan a repris une dimension humaine et l’esprit et le cœur n’en sont que plus palpables. Cela en soi mérite déjà un certain respect car cette constatation prouve qu’il a su évoluer suivant cet esprit original et en assumer les conséquences, au lieu de rester prisonnier de concepts qui n’avaient de sens que dans un contexte précis (l’antagonisme Est/Ouest) et n’est plus aujourd’hui, objectivement, qu’une nouvelle génération de clichés réactionnaires.
Entre disques commémoratifs et compilations en tout genre, le nouveau millénaire sera régulièrement abreuvé de ces témoignages musicaux rappelant l’importance de Dylan. Il apparaît même à l’affiche de Masked & Anonymous en 2003 au casting incroyable mais qui rebuta les critiques du septième art de l’époque. Le premier volet de son autobiographie Chronicles : Volume One (les autres paraîtront à intervalles réguliers) paraît en 2004 et est un petit bonheur pour tous les dylanophiles de la planète. L’impression de s’immiscer dans le quotidien le plus banal ou fantasque du barde folk, lançant par moment des œillades grivoises à ceux qui l’ont suivi depuis tant d’années est pour beaucoup dans le succès critique de cet ouvrage. Une longue interview est même accordée pour la réalisation du documentaire de Martin Scorsese No Direction Home en 2005, sa première depuis vingt ans. Un regain d’intérêt est de passion ressurgit inévitablement en parallèle à The "Never Ending Tour", la tournée en place depuis la fin des années 80 qui continue de se produire aux quatre coins du monde, dans ces endroits où peu de gens ne s’arrêtent véritablement. Comprenant le bassiste Tony Garnier et le multi-instrumentiste Larry Campbell, la performance est devenue historique puisque depuis le retrait de la scène de B.B. King en 2000, Bob Dylan est probablement le dernier artiste majeure à jouer et chanter en concert à fréquence aussi régulière et importante, bien qu’il s’en défende. Après tout, tant que le public se masse chaque soir pour le voir, il n’y a pas de raisons d’abandonner le cirque Dylan.
En 2006, Dylan sort son dernier effort studio, ironiquement baptisé Modern Times. Un mois après sa sortie, l’album se classe à la première place du Billboard. Très peu de musiciens cette année-là pouvaient se payer le luxe de sonner autant hors du coup avec la musique contemporaine que Dylan ne le propose avec ce disque. Les hommages ou clins d’œil à Charles Chaplin, Louis Armstrong, Muddy Waters voire Cat Stevens démontrent une nouvelle fois que le mélange de blues, country et folk assure au disque une imagerie et une qualité sonore qu’il reproduit astucieusement depuis dix années. Tout cela ne l’empêche pas de fonctionner différemment, de rester en marge de la machinerie et du show business américain tout en l’utilisant à son avantage. L’époque actuelle est ressenti par le Zimm’ comme un état de flux et de changement auxquels il lui est impossible d’apporter d’objectifs musicaux bien définis. Nul ne sait ce qu’il prévoit désormais de faire, ni même le principal intéressé qui reconnaît un enthousiasme excité à se donner en concert.
Bob Dylan s’accepte désormais tel qu’il est, et c’est énorme. Comment réagit, au fond, son vieux et vrai public, les fans du Zimm’ ? Il y a ceux qui ne l’ont jamais trahis, fidèles de la première heure de sa musique et des mots qui vont avec ; les autres qui sont de plus en plus durs avec les musiques acoustiques et qui pensent que le mot folk n’aura plus de sens s’il n’est pas bientôt précédé d’un adjectif qualificatif. Il est toujours stupéfiant de savoir que les disques de cet étrange poète sont encore de nos jours en vente libre et que tout le monde risque de tomber dessus sans avertissement préalable. Car sa musique n’est que terrorisme esthétique, subversion culturelle et idéologique, ricanements maussades et mépris de la raison. Jamais un genre musical un temps en vogue n’en a totalement absorbé un autre ou s’est laissé absorber. À force de polariser toute l’attention des médias sur un nouveau R&B et un rock propret, cela donne l’impression qu’ils sont les seuls en lice. C’est une hérésie, il suffit de gratter la surface et de se connecter à la mouvance folk pour se rendre compte que le genre est toujours vivace. Et Dylan incarne à la perfection une musique née il y a à peine cinquante ans, aujourd’hui en pleine évolution et certainement pas figée dans le carcan imbécile où s’enferment ses faux admirateurs. L’essentiel est qu’il continue sa route et égrène les mesures de sa musique, comme il l’a toujours fait.
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[1] Sources :
MAGAZINES
LIVRES
SITES WEB
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