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Brand New Towns

Brand New Towns

Robert Gomez

par Béatrice le 27 décembre 2006

4

paru le 16 janvier 2007 (Bella Union/V2)

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Robert Gomez a un nom qui pourrait laisser imaginer que sa musique fleure l’été, le soleil, les guitares cubaines, les couleurs chaudes, et tout le fatras (les maracas, même, pourquoi pas) - en espérant qu’on m’excusera de céder à la tentation d’aligner les clichés faciles sur un patronyme à consonnance hispanisante pour alimenter les première lignes d’une critique affamée. Ajoutons pour finir de la rassasier, qu’il est basé à Denton, Texas, c’est-à-dire pas dans le coin le plus frais et ombragé des États-Unis, qu’il a (effectivement) étudié la guitare cubaine auprès de Nelson Gonzales, un des maîtres du genre et a accompagné sur scène le musicien turc Omar Faruk Tekbilek, et nous voilà armés d’un magnifique portrait de troubadour du désert nourri de rythmes australs et de sonorités méridionales. Laissons maintenant la critique insatiable dévorer ce portrait concocté avec trop d’empressement pour être véritablement approprié - qu’elle se goinfre et le réduise en miettes, toute à sa joie de profiter des errances d’une aligneuse de mots trop pressée pour éviter le panneau des clichés-tout-faits-tout-faux qui la guettait au coin de la rue (sans même être fichu de se faire discret, le bougre).

Eh bien donc aïe, ça fait mal de se prendre un panneau en pleine poire, mais parfois il faut ça pour se rendre compte qu’on s’était planté de chemin, et retrouver le bon. C’était trop facile, après tout, d’expliquer systématiquement la musique d’Untel ou d’Unautre par leur origine géographique ou spatio-temporelle ; et d’ailleurs si ça marchait, les critiques rock ne seraient jamais que des géographes archi-spécialisés et les dénicheurs de talents des cartographes. Et Robert Gomez serait Canadien, parce que son disque sonne comme l’hiver sur une grande plaine, les nuages chargées de neiges qui s’écroulent doucement sur une forêt de conifères, et la fumée qui s’échappe en frissonnant d’une cheminée. Son disque est une tempête de neige dans la nuit, son disque est le calme feutré de la matinée qui vient après.

Robert Gomez a une voix moelleuse, duveteuse, qui se fond doucement dans la toile vaporeuse qu’elle tisse, se déroulant en volutes diffuses et enveloppantes, jusqu’à former un écran d’un blanc voilé ; il a une voix qui souffle et soupire aussi discrétement que les flocons de neiges qui planent avant de rendre l’âme sur l’amas cotonneux qui leur sert de linceul. Et cette voix est portée par des airs tourbillonnants, jamais vraiment endiablés, jamais vraiment angéliques, nimbés d’une pâleur froide qui les amortis et empèche les cris des guitares d’être plus forts qu’une bourrasque de vent ; à aucun moment, ils ne s’arrêtent de tournoyer et de valser, même si ce mouvement perpétuel reste toujours délicat et discret - et irrésistible, parce qu’il s’insinue sans crier gare, est suffisamment souple pour s’infiltrer dans tous les recoins et emplir l’espace d’une atmosphère duveteuse, feutrée comme celle des lendemains de chutes de neiges où tout les sons sont etouffés, captivante comme les tourbillons de flocons qui valsent dans la brise et sont déformés par la gifle d’une bourrasque indisciplinée.

Les guitares glissent et coulent, tissant une toile de fond sur laquelle quelques violoncelles vont venir broder, quand ce n’est pas un clavier qui viendra distiller des notes cristallines, ou un violon insolent qui va se poster face au vent et essayer d’en changer la trajectoire pendant que des chœurs éthérés s’efforcent, eux, de le déchaîner. Viennent s’y méler des refrains lancinants, entêtants et grisés de mélancolie retenue, aux mélodies ensorcelantes dans leur effacement ; presque des incantations timides, masquées par une brume savamment orchestrée - mais qui reviendront, inlassablement, hanter les parages. En fait, ce disque aurait dû dépouiller le Murder Ballads de Nick Cave de sa pochette pour se vêtir de la peinture d’une clairière enneigée au fond de laquelle une tache de lueur orangée s’échappe de la fenêtre d’une cabane qui lui serait allée comme un gant : un halo de confort, perdu dans une immensité froide et hostile ; un recoin chaleureux mais isolé, un rêve enjôleur mais vaporeux ; un lac de calme où l’angoisse refait rapidement surface et va jusqu’à s’emparer de certains morceaux, les battant de son fouet glacial - et c’est If I Could Have You Back ou Closer Still, c’est l’inquiètude inéluctable de Brand New Towns, c’est la réminiscence onirique de Perfect.

Robert Gomez a construit un disque pour écouter l’hiver passer, à défaut de construire une ville flambant neuve ; il l’a sorti bien à propos en plein milieu de l’hiver. Reste à espérer que son travail survivra à l’été, mais gageons que cela sera le cas, à moins qu’il ne récidive au mois de juillet.



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Tracklisting :
 
01. Closer Still (3’39’’)
02. All We Got (4’36’’)
03. The Same Sad Song (4’00’’)
04. Back To Me (4’29’’)
05. Into The Sun (2’28’’)
06. Perfect (4’33’’)
07. If I Could Have You Back (3’44’’)
08. The Coming (0’43’’)
09. The Leaving (4’27’’)
10. Mistress (5’18’’)
11. You Need Somebody (4’35’’)
12. Brand New Towns (5’53’’)
 
Durée totale : 48’25’’