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par Parano le 8 mars 2011
Paru en mars 1992 (Too Pure)
Les femmes n’ont jamais eu la place qu’elles méritent dans le rock. Milieu macho par excellence, les groupes à guitares ont toujours relégué le deuxième sexe à un rôle de faire valoir : groupies dociles (Pamela de Barres), ou sulfureuses (Nancy Spungen), arrivistes de tout poil, suçant la moelle de nos idoles (Yoko Ono, Courtney Love), bombes sexuelles (Gwen Stefani, Marianne Faithfull), anciens mannequins reconverties en parasite d’afters (Nico), poupées trash (Nina Hagen), la liste est longue. Les moches ou les rebelles ont le privilège de tenir la basse dans des groupes de mec (Kim Deal chez les Pixies, Corinne dans Téléphone). Les autres doivent se démerder pour monter des groupes de filles, que le petit mâle blanc de la middle class reluque avec condescendance (des Bangles aux Donnas, en passant par les Riot Grrrls).
Autant dire que les filles émancipées, capables d’imposer leur talent en dépit d’un tour de poitrine très commun, sont rares. On imagine sans peine l’effarement du public underground, lorsque PJ Harvey a sorti Dry en 1992. Venue de nulle part, la jeune anglaise mettait minable les bellâtres bourrés de testostérone, avec un album puissant et subtil, rugueux et délicat, où, pour une fois, l’homme joue les seconds couteaux. Rendez-vous compte, le seul album capable de rivaliser en intensité avec le mastodonte Nevermind n’était pas le fait des braquemarts de Guns & Roses. Un scandale !
« J’avais la chance de pouvoir faire un album, et je pensais que ce serait la dernière. J’ai donc donné tout ce que j’avais ». Explique Polly Jean. L’enregistrement de Dry s’est fait sans concession, sans fard, sans faux pas. Un son brut, proche des productions d’Albini (qui sera aux commandes de l’album suivant, Rid Of Me, sauf qu’ici, la basse est audible, car, en plus d’être misogyne, notre ami Steve n’entend rien aux fréquences graves. Une production décomplexée qui sert admirablement la musique du trio. Jamais un groupe anglais n’avait sonné aussi yankee. Pas étonnant, lorsque l’on se penche sur les influences, sans équivoque, de Polly Jean : Robert Johnson, Jimi Hendrix, Captain Beefheart, les Pixies et Slint. Le prince du blues, le meilleur du rock barré, la crème du post punk, le tout assaisonné à la mode grunge, parce que, quand même, nous sommes en 1992.
Dry est mis en boîte à Yeovil (UK), la ville natale de PJ Harvey. Le trio va à l’essentiel, dans un souci d’authenticité, s’autorisant tout de même quelques arrangements, limpides et dérangés. La basse sinueuse de Steve Vaughn, le jeu brillant du batteur Rob Ellis, soutiennent à merveille les guitares bluesy-trash. La voix, tendue, délicate, de Polly Jean donne corps à l’ensemble, et tire le groupe vers le haut. C’est simple et efficace. Sans fioriture, mais non sans finesse. Quelques musiciens sont appelés en renfort, pour épaissir les textures : Mike Paine plaque quelques arpèges à la 6 cordes, Chas Dickie triture son violoncelle. PJ se charge de faire hurler un violon schizophrène, et Rob Ellis tâte de l’harmonium.
Deux singles seront publiés avant la sortie de l’album : Dress, à l’automne 91, et Sheela-Na-Gig, en février 92. L’accueil est enthousiaste. Dress est une histoire de robe de bal, propulsée par une batterie habile et un texte névrosé. Sheela-Na-Gig impose son rock nerveux, tout en muscle. Le style PJ Harvey s’affiche et s’affirme. Dry peut débouler dans les bacs.
Les onze titres de l’album sont un régal : la basse lancinante de Oh My Lover, le Riff brûlant de O Stella, la dynamique monstrueuse de Hair, le folk psychédélique de Plants & Rags, et la poussière, la soif, la lassitude, la rage, le blues malin torturé, rincé, épuré, bâtissent un édifice rock exceptionnel d’audace et de pureté.
Un album chaste ? Certainement pas. Dry se déguste cru. PJ Harvey déballe ses émotions sans état d’âme, avec une intelligence remarquable, sans candeur, ni fausse pudeur. Est-elle féministe ? Elle réfute le terme. Trop réducteur. Nul besoin d’étiquette ou de slogan pour cracher son talent à la face du rock.
Dry fera un tabac chez les journalistes, et se vendra bien. Polly Jean pensait qu’il serait son unique album, sa seule chance de faire entendre sa voix. Raté. Elle a, depuis, écrit 7 albums, vendu quelques millions de disques, et décomplexé toute une génération de femmes (et d’hommes) amoureux du rock. Merci PJ.
Article initialement publié le 9 septembre 2008.
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