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L'influence de Beefheart sur Josh Homme

L’influence de Beefheart sur Josh Homme

par Thibault le 14 décembre 2010

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En 2002 Josh Homme déclare qu’« il faut déclaptoniser le blues ». Derrière la jolie formule toute destinée à orner le dossier de presse ou les stickers pour compact discs, il y a tout de même l’expression d’une volonté artistique forte. Sortir le blues des festivals à la Crossroads, s’en emparer et le rendre badass, éviter à tout prix le boogie pataud lourdingue car il est hors de question de jouer une musique pour « shirtless, sweaty, maxi-mullet jock dudes ».

L’idée hante déjà Homme depuis un temps puisque le premier chef d’œuvre de Kyuss, Blues For The Red Sun, réalisé dix ans auparavant, affichait déjà la couleur avec son titre limpide. Mais avec la déferlante Songs For The Deaf qui porte les Queens of the Stone Age parmi les poids lourds contemporains, le guitariste cherche à clarifier sa démarche ; son ambition est d’éviter les barbecue ribs sudistes tout en étant musclé, épais et sensuel. Pas question de réciter ses gammes sur du sous ZZ Top gras de bière ou le long de rengaines soft-pop à la 461 Ocean Boulevard, Homme poursuit quelque chose de toujours plus biaisé, sa musique n’est pas de l’artisanat vintage rétro et ne s’inscrit pas dans la tradition de vieilles chapelles.

En revanche, elle rejoint dans l’esprit celle de Captain Beefheart, un des rares artistes que la tribu de Palm Desert cite régulièrement en interview - alors qu’elle ne se prête pas du tout au jeu du name-dropping qui enfle toujours plus [1]. A la moitié des 60’s, Beefheart prend le contrepied des tendances qui se dessinent de plus en plus nettement (le hard rock et le psychédélisme se nourrissent fortement de blues) et propose une version du genre électrique mais squelettique et grinçante, complètement freaky, plutôt primaire, qui déchire les standards balisés et ultra repris de Bob Diddley ou Howlin’ Wolf.

L’influence de Beefheart sur Homme ne se situe pas seulement dans son projet, on la perçoit dans ses chansons, notamment dans son usage très percussif de la guitare. Mais il y a plus flagrant. Petite étude comparée, et au casque s’il vous plait, c’est important : prenez Leg of Lamb des QOTSA, extrait de l’album Rated R (2001) et Ella Guru du Captain, extrait de Trout Mask Replica (1969). La ressemblance est assez stupéfiante : le placement des instruments, du chant, des chœurs, la structure et la durée du morceau sont pratiquement identiques. Même section rythmique, même jeu de double guitare lancinant et répétitif en stéréo, Leg of Lamb est pratiquement une version pop d’Ella Guru.

Sur Era Vulgaris (2007), le titre I’m Designer est une relecture musclée de Leg of Lamb. Selon les propres mots de Homme, deux influences majeures ont pesé sur la direction de l’album : Year Zero (2007) de Nine Inch Nails et Safe As Milk (1967) de Captain Beefheart. A sa sortie, Era Vulgaris reçoit un accueil très mitigé, la critique oscille entre la politesse coutumière devant une grosse sortie et l’indécision vaguement « c’était mieux avant », de nombreux fans expriment leur déception devant un album beaucoup plus tordu que les précédents... six mois après, plus personne ne parle de l’affaire. Face à cette incompréhension, une clé pour mieux saisir ce qui se trame est la musique de Beefheart, qui imprègne totalement le disque, de la progression casse gueule de River in the Road aux guitares grinçantes et saccadées de Turnin’ on the Screw qui rappellent parfois celles de Sure ’Nuff ’n Yes I Do, premier titre de Safe As Milk.

A ma connaissance, personne n’a évoqué Captain Beefheart, en tout cas pas un article sur l’album n’en a parlé. Ce n’est pas le seul angle d’approche possible, bien entendu, mais il s’impose largement au côté des autres, vu qu’il est proposé par le créateur même ! L’affaire révèle une certaine méprise quant à Josh Homme et aux Queens of the Stone Age. Leur musique n’est pas intellectuelle pour deux sous, elle est très premier degré, festive et sexuelle, mais ce n’est pas du rock à la Aerosmith ou à la Keith Richards pour autant.

Il y a beaucoup trop de sourires en coin ; Rated R et Songs For The Deaf parlent de drogue et de sexe, mais avec détachement, de manière sinueuse, en détournant ces sujets très rebattus et propices au mauvais racolage à coups d’œillades complices, de non-dit et d’humour. Ce souci du biaisé à différents niveaux a beau être salvateur, il est le plus souvent complètement passé à l’as, et les Queens considérées comme une énième incarnation du sex, drug & rock’n’roll à papa, des types qui envoient le bois comme des bons gros bourrins, sur lesquels on écrit qu’« une rythmique éléphantesque en diable copule avec des guitares sous acides bougrement burnées »... Enfin, vous voyez le carnage, quoi...

Mais recentrons ; l’influence de Beefheart s’étend de plus en plus dans les travaux de Homme et prend des formes inattendues. Heart On (2008) des Eagles of Death Metal s’impose comme une version légère et aérée d’Era Vulgaris. Et il y a surtout le premier opus de Them Crooked Vultures, qui reprend beaucoup de choses des Queens of the Stone Age tout en montrant des nouveautés. L’influence de Beefheart ouvre des portes à Josh Homme, qui explore de nouvelles contrées... la dynamique de double guitare schizophrène s’exprime ici avec des morceaux comme New Fang, Elephants, Spinning in Daffodils et surtout Nobody Loves Me & Neither Do I, titre introductif qui reprend un riff aussi saccadé que celui de Turnin’ on the Screw, ouverture d’Era Vulgaris, qui témoigne d’une véritable continuité d’œuvres en œuvres.

Sur le reste de l’album l’influence de Beefheart se traduit principalement par un son très sec et assez aigu, ainsi que par cette volonté d’écarteler le blues coûte que coûte, quitte à être emphatique. Il est conseillé d’amputer la tracklist de Reptiles, Caligulove et Warsaw or the First Breath You Take After You Give Up, qui sont très loin d’être des mauvais titres, mais qui relèvent plus du tour de force. De fait, ils ont tendance à égarer le disque dans un rythme trop flottant - pour encore plus d’efficacité, on peut aussi inverser l’ordre de Scumbag Blues et d’Elephants. Là encore, pas grand monde n’a évoqué Beefheart ni même Era Vulgaris au sujet des Vultures...

Ultime incarnation du fantôme de Beefheart chez les Queens, ce live absolument terrifiant de Walkin on the Sidewalks enregistré courant 2002 avec l’hallucinant line-up Mark Lanegan - Troy Van Leeuwen - Josh Homme - Nick Oliveri - Dave Grohl. Neuf minutes de violence, de blues schizophrène et plombé, comme un grognement de sanglier mécanique. Mention spéciale à Lanegan, dont les vociférations évoquent plus que jamais celles du Captain.

Le prochain enregistrement des Queens of the Stone Age est déjà envisagé par Homme dans l’exacte continuité de son prédécesseur, peut être encore plus tortueux et tarabiscoté... reste à voir si cela s’accompagnera d’un changement de perspective du public et de la critique.



[1voir notre rencontre avec Jesse Hughes

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