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L'intégrale des EP Vogue

L’intégrale des EP Vogue

Jacques Dutronc

par Lazley le 8 décembre 2009

5

paru le 12 octobre 2009 (Sony Music)

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Il se trouve que je ne crois pas aux coïncidences. C’est ainsi, lorsque s’amènent simultanément, sous les atours bien achalandés du hasard, quelques évènements dont la concordance paraît trop belle pour être le fruit des vents zigzaguant de l’imprévu, je sors mon plus rictus incrédule (le beau, celui des dimanche). Je tourne autour des contingences, cherchant sinon la griffe du Grand Architecte, tout du moins l’écho de sa malice.

Enfin bref, au cas où vous n’auriez rien entravé à cet incipit, j’aime à réconforter mes os fourbis avec les rares occasions qui me sont données de goûter aux joies de la Providence, quoi.

Et voilà-t’y pas, joviaux lecteurs, qu’en ces temps de morniflage général en ut majeur sur la partoche de « l’identité nationale » (déjà chassée par un flot d’autres polémiques, telle est la loi de nos orfraies), tombe tout cuit dans ma boîte aux lettres un monolithe miniature de ce que fut, l’espace d’une fille, une manière d’être français qui ne manqua pas de panache. Sans rire, y’a pas preuve de présence divine ?

Jacques Dutronc… « Après Johnny Hallyday, Eddy Mitchell, Johnny Logan, Dick Rivers, c’était génial de sortir un nom canadien ! »

Bien sûr, je pourrais vous faire le coup du bombardement d’images, façon reflux mémoriel : le sardonique de la bande à SLC (Salut Les Copains pour ce qui reste d’intimes), la mine de mirliflore défloreur des premières jeunettes à mini-jupe, la désinvolture à l’extrait de scopitone frisant le farniente permanent...

Mais, avouez-le, ce ne serait pas très correct. D’autant qu’il y a bien plus à dire que cela de ces 13 EPs réunis dans un écrin salutairement sobre (on se souvient de la récente intégrale des 7 albums Vogue et son packaging gargantuesque, offrant même un cactus en pot !).

Allez, jouons-là franc du collier : épurée des galéjades dispensables du remplissage LP (Dutronc chez Vogue, c’était encore le temps des singles/EPs canardés dans les hauteurs des charts), le Jacquot mark I (1966 - 1970) a une allure d’incontournable pur et dur. L’essentiel, donc, est là. Et, bon dieu, ça cogne !

Pour qui attrape la France musicale des sixties par le bout rétrospectif, on ne saurait conseiller plus à propos que le tandem du gus à la moue cristalline et de Jacques Lanzmann. Textes à la serpe, déclamés avec ce qu’il faut d’insolence - jusque dans la justesse de la voix - pour canarder à peu près tout ce qui bouge, qu’il s’agisse de la France pompidolienne, des forts en gueule soixante-huitards, de la peoplite aigüe ou de n’importe quelle autre cible imaginaire.

A cet égard, c’est l’incroyable Restons Français, Soyons Gaulois qui remporte la mise. Un groove à faire chialer les darons du freakbeat, l’orgue qui contrebalance le martèlement, et ces minuscules intermèdes à cordes, ou comment battre les rosbifs sur leur propre terrain. Avec, en guise de fin-de-l’envoi-je-touche, cette maxime superbe :

Moi je dis, fini l’érotisme, restons français, soyons gaulois, la gauloiserie, ça c’est ma loi !

En 1970. Parfaitement. Pour paraphraser un autre gaulois plus proche de nous, faut avoir une sacrée paire de bollocks pour la sortir sans perdre une dent, celle-là !

Mais loin de moi l’envie de restreindre le sieur Dutronc au rôle ingrat du gaudrioleur récréatif. Parce que, pour ce qui est du bousin instrumental derrière, croyez bien que ça soutient sans problème les vers du bonhomme !

Tenant à distance, en laisse et sans coup férir rock londonien craspec, vagues de fuzz, guinguette, jazz manouche et variété orchestrale, le manège des backing bands dutroniens (le futur guitariste de Gong Jp Alarcen, Henry Castello aux baguettes, Hadi "j’ai-trouvé-le-riff-de-La-Fille-Du-Père-Noël" Kalafate, et même un tout jeune Alain Chamfort pour le clavier légendaire de J’aime les Filles ) ne s’arrête jamais. Sur L’Augmentation, satire d’une satire sociale, les guitares bavent dans le fond de la salle.

Tiens, un petit morceau de making of signé par l’homme au cigarillo : A mes débuts, je passais du temps en studio. J’y vivais presque, c’était Butagaz et spaghettis. L’endroit était intéressant, d’ailleurs, toutes les heures il fallait s’arrêter de chanter parce que la laine de verre tombait du plafond. D’un seul coup tu prenais la voix de Joe Cocker ou de Rod Stewart... C’était aussi l’un des rares studios où les gens venaient frapper à la porte en disant : Vous faites trop de bruit ! Quand on n’était pas content du son, on apportait des carabines et on tirait partout, dans les lampes, sur les magnétos, on rasait tout. La maison de disque gueulait un peu...

Il faut imaginer cette fine troupe d’allumés, en "fringues de dessinateurs industriels", parcourant le pays sans faiblir de Montargis à Vesoul, tout en trouvant le temps d’enregistrer la pléthore de pépites aujourd’hui réunies dans ce pavé qui recèle bien plus que des chansonnettes au charme classieux.

Ballotté entre les rattle bands, la claque Elvis, une poésie imbibée à la Blondin et au bon mot San Antoniesque, Dutronc barbouille de son unique mixture le paysage français de l’époque, inventant le traumatisme durable. Un certain Lucien Ginzsburg, connaisseur en la matière, déclarera même, grand seigneur : "après moi, c’est ce qui se fait de mieux en France."

Et puis, cavernabrole de cavernabrole, Dutronc restera pour l’éternité l’homme qui, le cigarillo au bec et le sourire Colgate aux lèvres, subtilisa aux dieux anglo-saxons (Brian Jones, Jagger, Dylan) la femme qui fit baver tout le swinging London ! Une élégance roublarde, française, en somme.



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Les citations de Jacques Dutronc sont extraites du réjouissant "Pensées Et Répliques" paru aux éditions du Cherche Midi en 2000.