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par Oh ! Deborah le 7 juin 2011
paru en 1979 (Virgin Records)
Peu satisfait de sa propre image et de la tournure qu’a pris le punk (redondant, non en accord avec lui-même puisque commercial), Johnny Rotten quitte ses Pistols les jugeant périmés dès janvier 1978. Il part en Jamaïque avec le patron de Virgin et s’empresse de (re)devenir John Lydon, quelqu’un de plus fou encore, créant d’emblée Public Image Limited. Un nom qui renvoie non seulement au refus de son ex-réduction d’emblème pourri dans tous les journaux, mais aussi à une entreprise artistique (le -Limited). Ca consiste en des projets visuels (par Jeanette Lee), un comptable (Dave Crowe), une renaissance, un dépassement de toutes attentes. Même les plus farfelues. Un gros fuck à l’industrie musicale d’une manière telle que le punk ne l’a jamais fait, même dans ses combats les plus beaux. Car Lydon ne voit pas la chose comme les autres.
Il est indispensable, pour justifier la musique de Public Image Limited et compte tenu des précédents populaires de son chanteur, de connaître le chemin de celui-ci. John est né dans le quartier noir de Londres. Toute son enfance et adolescence furent passées au rythme du reggae et du dub jamaïquain. Le rock, il ne connaît pas. Et puis un jour il va se passionner non seulement pour le rock’n’roll mais aussi pour Can, Captain Beefheart, Nico. Il le dira sur une radio londonienne dès 1977 et c’est totalement inattendu : il ne crache pas sur un bon Tim Buckley ni même sur... le prog ! Bien loin, donc, du personnage nihiliste et totalement punk, fabriqué par Malcom Mc Laren [1]. Mais le punk, malgré le fait qu’il permettra à Johnny de sortir un peu de son périmètre pauvre et de cracher ses nerfs, n’est en fait qu’une parenthèse, aussi mythique, efficace et génial qu’est Never Mind The Bollocks, de sa vie musicale. Johnny décide alors de trahir son manager possessif et furieux qui fera de Sid Vicious le vrai crétin à aduler. D’où PIL.
La partie audiovisuelle de son entreprise déjantée va très vite partir à l’eau. Ne supportant plus le message quel qu’il soit, la donnée spirituelle ou politique, seule la substance sonore doit être dérangeante. Pour lui, un groupe de rock est nécessairement une affaire capitaliste. Alors le son même devient l’ultime possibilité révolutionnaire et doit être à contre-courant de la contre-culture dont le punk est l’actuelle tendance. Et le disco s’impose, avouant totalement ses fins rentables. Alors John va s’en inspirer avec le krautrock, et va concevoir une musique purement fonctionnelle, dansante, dénuée de toute revendication et pourtant bien conceptuelle. Mais surtout, il veut réaliser un truc nouveau. L’invention d’un style, qui, malheureusement, salvateur pour son mythe, ne s’est pas perpétué (ou si mal copié). Avant d’atteindre les sommets d’inventivité vaguement discoïdes de leur deuxième album, John va avec Keith Levene, ex-Clash (guitariste) Jim Walker (batteur) et Jah Wobble (bassiste qui au départ n’avait jamais touché une basse) enregistrer fin 1978, First Issue, résolument innovateur, et peu accessible pour avoir été signé chez Virgin. C’est bien là le signe d’une grande revanche.
Mais l’album reste trop rock pour un groupe qui se conçoit comme « anti-rock ». En plus, leurs amis de chez Siouxsie and the Banshees viennent de sortir un disque grandiose. En 1979, John souhaite aller plus loin. Il va changer de batteur pour Martin Atkins (recruté d’urgence) et va enregistrer, dans un état proche de la folie pure, son premier ovni : La Metal Box. Son rythme est constamment hypnotique, sa basse (ou masse, aveugle, imperturbable, ronronnante), se désharmonise parfaitement avec la guitare vêtue de fer dissonnant. John se lamente en riant, se moque, bêle et crie. Son chant pervers à outrance étant lui aussi en désaccord avec cet espèce de dub industriel. Au premier abord, l’accroche est très aléatoire. Pourtant, l’expérience hallucinante de PIL montre que l’ensemble fonctionne par sa singularité expérimentale linéaire et jamais hasardeuse qui, au final, suinte de mélodies bizarres et passionnantes. Errance paranoïaque, Lac Des Cygnes faux, fourbe, synthés subliminaux (Swan Lake autrement appelée Death Disco), coups de fouets électriques (Careering), groove répétitif et bad trip psychédélique. La production est inédite, dépouillée, tantôt claire, tantôt comprimée, variant dans une même chanson (Memories). Les paroles, elles, ne donnent pas dans la joie de vivre, on s’en serait douté. Plutôt mystérieuses, morbides, injurieuses vis à vis du passé noyé dans la rancune bien légitime de Lydon.
Beaucoup d’écoutes sont nécessaires pour se rendre compte de la magie noire, parfois presque orientale, de ce disco absurde et paranormal. Mais n’est-ce pas le processus obligé de tout album volontairement malsain et magistralement à côté de la plaque ?
On savait dèjà que Johnny Rotten était une des voix les plus jouissives et originales de la scène punk. Ça se confirme ici, où elle imite les sorcières d’un conte version caniveau (The Suit), où elle se mêle de façon décalée aux grincements aigus, urbains et déréglés de la guitare, là pour tuer l’aspect dansant. C’est comme si chaque élément avait été joué indépendamment, sans le besoin des autres, allant vers une transe personnelle (l’incroyable Poptones). Et lorsqu’on réunit le tout, il s’agit d’un mariage insolite où absurdité devient évidence. (Quand on pense que quasiment tout a été enregistré en une seule prise). Les dernières plages sont peut être un peu moins réussies, mais non dénuées d’une atmosphère très lourde en dépression vidée, cafardeuse. Et comme pour nous remercier d’avoir tenu l’écoute, Radio 4 vient à nous comme la chose hantée la plus douce et apaisante qui nous ait été donné d’entendre.
Cette œuvre absolument unique est faite par d’authentiques psychopathes. Elle vous a été livrée en cette magnifique année 1979 dans une véritable boîte à vinyle ronde et métallique dont l’investissement ruina le groupe. Elle vous donnera le plaisir maniaque de taper du pied sur des choses inécoutables.
Article publié pour la première fois le 23 octobre 2007.
[1] à ce sujet, voir le chapitre très détaillé ’Public Image Limited’ du livre Rip It Up And Start Again de Simon Reynolds
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