Pochettes
Nursery Cryme

Nursery Cryme

Genesis

par Psychedd le 13 décembre 2005

paru en novembre 1971 (Charisma Records)

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Pink Floyd avait Storm Thorgeson, Yes avait Roger Dean et Genesis avait Paul Whitehead (qui a aussi collaboré avec une bonne partie des poulains de Charisma Records, dont Van Der Graaf Generator, Lindisfarne puis plus tard avec des groupes tels que Renaissance et Mott the Hoople). Des faiseurs de musiques et un faiseur de pochettes, quand on sait que la musique progressive est censée ouvrir les portes de l’imagination.
Mais alors, pourquoi a-t-il fallu que ce Nursery Cryme soit si macabre ?
Pardonnez cette introduction, mais voilà l’une des pochettes les plus rebutantes au premier coup d’œil. Du jaune, tant de jaune, à vous en agresser les cellules rétiniennes. Cette scène se passerait-elle donc en plein été, lors d’une canicule qui aurait subitement frappé l’Angleterre ? Choisissons plutôt l’option selon laquelle l’artiste a certainement voulu donner un aspect vieilli à sa peinture, comme une ancienne photographie jaunie. Quoiqu’il en soit, on la voit de loin. On l’a dit, ça peut rebuter, mais ça intrigue. Surtout cette jeune fille au premier plan, tenant un maillet de croquet. Blonde et toute de blanc vêtue, quoi de plus normal qu’une jeune anglaise comme il faut s’adonnant à un jeu tout ce qu’il y a de plus banal ?

Puis l’on baisse un peu le regard, et dans ce champ qui s’éloigne à l’infini (les jardins ont l’air grands en Angleterre !), des têtes humaines jonchent le sol. Toutes petites, sans souci de proportions, détails insignifiants, comme des poupées que la gamine aurait décapitées dans un moment d’énervement. Mais a-t-on déjà vu une poupée saigner du cou ? Et pourquoi cette nurse ,dont la tenue blanche et bleu crée un contraste surprenant avec le reste de la pochette, montée sur roulette ?

On déplie « l’œuvre », et surprise ! Le volet gauche est truffé de petits détails : la Vénus de Milo venue s’échouer ici on ne sait comment, une herbe folle en plein milieu de la pelouse tondue, un adulte qui semble lui aussi se réjouir du lancé de têtes humaines, des femmes qui papotent sous un parasol, une demeure somptueuse et tout en bas, à gauche, une date énigmatique : 1871, cent ans avant la parution du disque... Si l’on veut en connaître le sens, une seule solution : écouter le disque.

Car Whitehead fait fort : en une pochette, il illustre toutes les paroles de Peter Gabriel, et réalise un grand jeu de piste. Tout tourne autour de la trame de la chanson qui ouvre l’album : The Musical Box. Nous en sommes ici à l’introduction de l’histoire, que l’on retrouve sous la forme d’un petit texte à l’intérieur de la pochette. Faisons les présentations : la jeune joueuse de croquet est Cynthia, 9 ans. La tête au premier plan est celle de son cousin Henry, 8 ans. Le sang ornant son cou est là pour le montrer, la fillette vient de commettre son forfait meurtrier. Et de son regard fixe, elle semble attendre la réaction de l’observateur et devient elle-même observatrice, impassible dans la relative innocence de son enfance. Les crimes de la nurserie ou comment désacraliser une période de la vie que l’on voudrait toujours imaginer belle et agréable. La nourrice roulante n’est là que pour rappeler son rôle salvateur à la fin de la chanson et la manière dont elle apparaît de façon impromptue pour sauver la petite fille d’un spectre lubrique.

Puis le volet gauche vient dévoiler ses secrets, cette mauvaise herbe au premier plan ne serait-elle pas l’une des Giant Hogweed, venue détruire la race humaine ? Comme si sa place était justifiée au milieu de ce petit musée des horreurs. L’homme habillé de marron, par contre, impossible de voir à quoi il correspond. Comme un intrus perdu ici et qui trouverait ça normal de taper dans des bouts de cadavres, ça n’a pas beaucoup de sens, mais au final, qu’est ce qui a du sens quand on aborde des sujets fantastiques et imaginaires ?
Puis la Vénus de Milo, qui si elle, n’a pas perdu la tête, a en revanche bien perdu ses bras. Elle semble être une évocation de la dernière chanson de l’album The Fountain of Salmacis dont l’action se déroule lors de l’Antiquité grecque et qui raconte l’histoire d’Hermaphrodite, le fils d’Aphrodite, alias Vénus. Oui, c’est tiré par les cheveux, mais c’est aussi très subtil.
Peuplée de petits détails, la pochette de Nursery Cryme semble hantée par autant de silhouettes fantomatiques qui ne se font remarquer que grâce aux petites tâches de couleurs vives qui les accompagnent. Un peu de rouge, comme le rouge du maillet et du nœud dans le chapeau de Cynthia. Du rouge sang forcément...

Tout cela nous mène vers ce manoir victorien qui pourrait rester anecdotique s’il n’était pas une représentation d’un lieu existant et lié directement au groupe. Selon certains, il s’agirait de la maison de leur producteur et mécène, Tony Stratton-Smith. Selon d’autres cette résidence spacieuse serait l’ancien lieu d’habitation du grand-père de Peter Gabriel, située exactement à Cox Hill, le seul endroit où le chanteur pouvait imaginer que ses créations prendraient vie, arrêtées à l’époque victorienne, ça donne plus de piquant à une histoire de décapitation enfantine...
Dernier détail qui met vraiment dans l’ambiance, une toute petite silhouette noire sur le toit de la maison : nous vous présentons Harold The Barrel au moment de son suicide. Charming, isn’t it ?

A noter que tout ne doit pas être pris pour parole d’Évangile dans cette chronique, mais s’il y a quelque chose de sûr, c’est que Whitehead a réalisé un travail intelligent, tout en finesse et en détails. Son style peut déplaire, certes, mais il introduit efficacement à l’univers torturé et légèrement glauque de Genesis. Ce qui est malheureux, c’est qu’au final, il n’ait pas su se renouveler, usant trop souvent des mêmes ficelles. Même si la pochette de Trespass est plus jolie, celle de Nursery Cryme est plus complète, plus dense, plus personnelle et en plus, on finit par s’habituer au jaune et c’est déjà pas mal !

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