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par Emmanuel Chirache le 9 février 2010
Paru en août 2009 (Mascot Records)
Pour connaître la date de sortie d’un nouveau disque des Masters of Reality, il vaut mieux se lever tôt le matin, histoire d’avoir le temps de consulter les news du label, le myspace du groupe ou sa page Facebook. Sinon vous n’en saurez jamais rien. Pas de promo, pas de grosse major pour envoyer la purée, les clips à la téloche, les passages radio, les CD pour les "rock-critics". Mon exemplaire de Pine/Cross Dover m’a ainsi été envoyé sur ma demande par les gens de Mascot Records Europe, situés aux Pays-Bas. Merci à eux d’ailleurs, j’avoue que j’y croyais pas trop. Hum, en fait je l’avais déjà acheté pour tout dire. Parce que les Masters of Reality font partie de ces groupes dont il faut acheter la musique. Ils l’ont bien mérité. Novateur et original, le projet de Chris Goss (seul membre permanent) mûrit au fil des disques et s’impose comme l’une des œuvres rock les plus intéressantes de ces deux dernières décennies. Toujours à la marge du flot mainstream comme des tendances branchées, les disques de cet homme discret, un brin bedonnant, ne passionnent pas les foules mais ravissent les amateurs du genre. Quel genre ? Arf, il ne fallait pas poser la question...
Stoner ? classic rock, metal ? bof, un peu de tout ça. En fait, on ne se lasse jamais de voir combien Goss parvient à uniformiser sous sa patte des influences très variées. Par exemple, Pine/Cross Dover s’ouvre sous les auspices rock’n’roll d’un fabuleux King Richard TLH qui ressemble d’abord aux Eagles of Death Metal avant de bifurquer vers des sonorités plus pop grâce à la voix haute du chanteur, le clavier délicieux et les petits riffs "catchy" et entêtants de la guitare. Le disque fourmille en fait de morceaux planants dont on apprécie l’apparente monotonie comme on adore la trompeuse répétition du Boléro de Ravel. Le sommet en la matière reste sans doute le morceau Worm In The Silk, fondé sur un seul accord hypnotique retentissant par-dessus une batterie clinquante. Des synthétiseurs et une seconde guitare contribuent à installer une sensation de bien-être inquiétant chez l’auditeur, à la fois perturbé et heureux de l’être.
Répétitives dans le sens mélioratif du terme, les chansons de cet album sont surtout admirablement bien écrites et produites. On parlerait volontiers de "tubes" s’il existait une réussite commerciale à la clé. Disons plutôt qu’il s’agit de tubes invendus, de hits potentiels mais jamais accomplis. Les plus beaux. C’est le cas de Absinthe Jim And Me, lourd, grave, saccadé. Et toujours cette façon d’inventer des refrains balayés par une guitare puissante et pourtant sans agressivité (cf. Blues For The Red Sun de Kyuss produit par le même Chris Goss). Autre immense réussite, Always avance à la cadence sexy d’un top model qui fait claquer ses talons sur un podium. Quant au refrain... Ça se chante et ça se danse, et ça revient, ça se retient comme une chanson populaire. Si, si. Inutile de rappeler combien le son des Masters Of Reality ressemble à celui des Queens of the Stone Age, puisque Chris Goss s’entend comme cul et chemise avec Josh Homme. Et si c’est ce dernier qui récolte les faveurs des médias, force est de reconnaître que les volutes sonores guitaristiques des QOTSA doivent davantage à Chris Goss que l’inverse. On s’en rend compte une fois de plus sur des titres tels que le génial Up In It, où le savoir-faire de Goss semble avoir trouvé une forme d’état de grâce, cet art de tricoter un riff percutant, autour duquel une seconde guitare vient ajouter des motifs plus mélodiques accompagnés parfois d’un clavier, lequel agrémente un pont ou un final audacieux. Idem avec le brillant Testify To Love, qui précède un bien étrange Alfalfa, longue jam de douze minutes qui tranche avec la plupart de ce que les Masters Of Reality ont pu réaliser dans le passé. L’entente guitare/batterie-basse brille alors de mille feux pour une parenthèse musicale qu’on croirait sortie d’un 33 tours de Frank Zappa en personne.
Hormis un petit nombre de déchets (Rosie’s Presence trop pompé sur Led Zep, The Whore of New Orleans sans intérêt), Pine/Cross Dover scintille au milieu de l’obscurantisme rock comme les pellicules d’un danseur en boîte de nuit. On ne dira jamais assez le bien qu’on pense de ce groupe dont tout le monde se fout. Allons, viens Rossinante ! un moulin ! taïaut !
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