Incontournables
Play Blessures

Play Blessures

Alain Bashung

par Yuri-G le 27 février 2007

paru le 3 novembre 1982 (Barclay)

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Bashung, Gainsbourg et la new wave. Rencontre maladive, une évidence. Ça a fait mal. 1982, les journées de Gainsbourg s’effacent déjà sous une migraine lancinante, le reggae, musique de la révolte, n’a plus rien à dire. Cigarettes et alcool, pas grand-chose mais déjà assez pour que la pluie crachotante, lorsqu’elle se pointe, devienne poisseuse et collante. Bashung, lui, pleinement révélé au grand public grâce aux Vertiges De L’Amour, traîne avec la légende, trame déjà des plans de sabordage définitif. Autant en profiter, ils se mettent à écrire. Les deux aux textes, Bashung seul à la musique. La new wave, point d’attache essentiel. L’époque est au synthétique, aux reflets bleu glacé des grandes villes, alors pas de compromis. Pas question d’être un faux-jeton non plus. Oui, Indochine a introduit avec fracas le son nouveau dans le périmètre français, la bonne parole est lancée. Mais là, tout y manque singulièrement de profondeur. De tripes, de nécessité. Bashung lui déclame, c’est décidé, ses véritables lettres de noblesse. Parce que les lendemains sont lointains et qu’il faut précipiter le moment, parce que la sève de l’époque a beau être d’une froide patine minérale, la fièvre l’emporte sur tout.

Parce que la new wave, c’était l’existentiel, pour de vrai. Pas seulement les sombres mèches qui barrent le regard, les chemises rayées aux coupes improbables et les bustes trépignants, tout ce qui fait bien rire. Mais non, ces gens-là y croyaient. Ils avaient quelque chose à dire, de vital. Ça devait sortir, sinon... Et Bashung et Gainsbourg, ils avaient saisi le truc. Eux aussi, ils souffraient, ils doutaient. Pas étonnant que le noyau de l’album soit l’ego malmené à l’envie. Balancé tel un pantin pathétique sous les projecteurs crus de la modernité envahissante. Avec la langue qui va avec. Triturée, scandée, scindée, saccadée, mise à mal : C’Est Comment Qu’On Freine. Tout défile, tout se bouscule « dans ma pauvre cervelle carton bouilli » assure Bashung, crooner de l’âge de pierre, druide alcoolique au timbre en apnée sous des guitares qui ne sont plus que des spectres métalliques, des synthés aux boucles qui foncent sur l’autoroute. L’ivresse et l’impuissance qui va avec. En quelques mots, des images sans détour, déclamées par un dandy calciné au whisky, du genre qui préfère y aller pied au plancher plutôt que de minauder.

Mais oui, en fait les deux compères préfèrent s’amuser avec le malaise ambiant, le décortiquer, le formuler, sourire en coin. Du jeu, mais jamais de singeries. Peignent un cauchemar du samedi soir en le plombant par une chaleur moite, au son étouffé (Lavabo). Trousser un rockabilly squelettique, oui, mais avec bien au centre un ton gaillard et fauve (Trompé D’Érection). Ils en arriveraient presque à décomplexer l’atmosphère suffocante qui étoffe Play Blessures. Car les influences sont là, toujours. Du Suicide, un peu partout, un Durutti Column là (Martine Boude), une célébration malicieuse de Kraftwerk ici (Junge Männer). Pourtant, l’album n’est pas un juke-box tape à l’œil. Pour preuve, il détient de vrais chefs-d’œuvre. Volontaire, un titre incroyable. Les synthés y dévoilent succinctement un horizon étrange, portent vers un ailleurs dont on ne sait si on doit le redouter ou non. Permettent de ne pas suffoquer complètement, immergé dans cette charge goudronnée. Un trouble sublime, pour les perdus, errants noctambules à la recherche d’un exutoire dans le chaos. Enduit d’une mélancolie absolue, Bashung tire à bout portant sur le rêve de jamais recouvrer la tranquillité. Le ton n’est plus grinçant, la douleur est à nue. Et puis J’Envisage aussi, qui condense une fantasmagorie hurlante à la J.G. Ballard. La violence dans le sang, les yeux hagards, face à l’époque, encore. Le jeu sardonique quitte le navire, on y est pour de vrai.

D’ailleurs, on l’a toujours été. Simplement, Bashung et Gainsbourg, ces deux farceurs, étaient trop pudiques pour l’admettre. « Si c’est pour jouer les fugitifs, moi je suis volontaire ». On avait tout de suite compris, mais là encore mieux. Dès le départ, le coup de l’ego mis à mal pour rire était tronqué. Play Blessures en entier était une fuite en avant. Implacable, sombre. Trop vérace pour s’avouer en un coup. Il fallait attendre. Ça a été très douloureux.



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Tracklisting :
 
1. C’Est Comment Qu’On Freine (3’13")
2. Scènes De Manager (3’47")
3. Volontaire (4’04")
4. Prise Femelle (Instrumental) (1’07")
5. Martine Boude (3’43")
6. Lavabo (3’17")
7. J’Envisage (4’35")
8. J’Croise Aux Hébrides (4’49")
9. Junge Männer (2’29")
10. Trompé D’Érection (3’15")
11. Strip Now (4’35")
12. Bistouri Scalpel (4’17")
13. Procession (Instrumental) (14’46")
 
Durée totale : 58’13"

Les titres 11-12-13 ont été ajoutés lors des rééditions de 1993 et 2002. Ils sont extraits de la bande originale du film Cimetière Des Voitures de Fernando Arrabal (1983).