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Protest Song : la chanson contestataire dans l'Amérique des Sixties

Protest Song : la chanson contestataire dans l’Amérique des Sixties

Yves Delmas & Charles Gancel

par Vyvy le 16 décembre 2008

4,5

paru en février 2005 (Textuel Musik)

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This machine kills fascists, pouvait on lire sur la six-cordes de Woody Guthrie. Pionnier, Guthrie est l’étincelle précoce du Protest qui va enflammer les États-Unis. La musique contestataire, mouvement protéiforme, radical mais fragile, est l’âme des sixties. Ce sont ces belles années, années où le folk rencontrait le rock, années de naissance de la soul, mais aussi années lysergiques que décrivent habillement Yves Delmas et Charles Gancel dans cet ouvrage.

Le sous-titre du livre est réducteur. L’aventure musicale, le concert, commence bien avant les sixties, on l’a dit, le Protest prenant son envol au travers du folk de Guthrie. Les auteurs, non content de dépeindre le rock libérateur et exutoire de ces années-là, le poursuivent jusqu’à ses plus sombres déboires, jusqu’aux années 2000 où l’armée américaine torture à coups de riffs métalleux.

Ce livre, donc, raconte cette époque ... On y voit les premières armes d’un Guthrie, d’un Pete Seeger en prise au Maccarthysme ou d’un Joe Hill. Vite occultées car arrivent les premières passes du rock’n’roll avec Elvis bien sur mais aussi Little Richard et tant d’autres, qui à leur manière, se rebellent et protestent déjà. Mais le rock se meurt, rentrant dans les rangs ou dans les murs et on assiste au renouveau du folk qui accompagne l’arrivée de Dylan à Greenwich Village et l’essor de sa carrière. Le folk, à son tour, faibli sous les coups d’une l’invasion britannique, ayant les Beatles comme fer de lance. Il renaît de ses cendres, métamorphosé en folk-rock, sous les notes d’un Dylan électrique, ou des Byrds. Mais voilà, le rock goûte à la Purple Haze et s’enfonce dans des délires psychédéliques .... En parallèle, parfois par opposition, les labels noirs lancent leurs artistes, et une nouvelle musique : la soul music. Cette musique des sixties, la musique y conduisant et la musique qui en sortit invite à danser, oui, mais un pavé à la main.

A travers l’itinéraire de personnages clefs (John Sinclair...) de groupes fétiches (The Animals, MC5 ...) , de chanteurs phares (Joan Baez, Janis Joplin, Aretha Franklin) et de chansons mythiques ( We Shall Overcome, I Feel Like I’m Fixin To Die Rag ...), les deux auteurs nous dressent le tableau d’une Amérique musicalement tourmentée et constamment révolutionnée (les Beatles, Hendrix, la musique y vit un état de constante métamorphose). Et ils ne s’arrêtent pas là. Le contexte, l’Amérique des sixties, raison d’être et cible de cette musique est détaillé, expliqué, mis en perspective.

La musique non pas bande son, mais compagnon de lutte, voilà ce dont parle ce livre. Et de luttes, ces années-là fourmillent. Le Free Speech Movement,le Civil Right Movement jusque dans ses versions violentes, à la sauce Black Pänthers, le Viêt-Nam, le féminisme, les Indiens, les gays... L’Amérique change, les laissez pour compte veulent se faire entendre, et quoi de plus apte qu’une guitare pour le faire ?

Les deux auteurs prennent le temps d’approfondir leur propos. On en apprend sur les rapports Dylan/Beatles (quoique les habitués de B-Side Rock n’y apprendront rien de plus), on y découvre la réelle violence du tournant des années 70, le mouvement yuppie (qui voulut présenter un cochon à la Présidence des États-Unis) et le procès des 8 de Chicago (un moment d’anthologie), le Black mais aussi le White Pänthers Party. On y parle du meilleur, du Summer Of Love et de Woodstock, comme du pire, avec Charles Manson et Altamont. On y parle émeutes, on y parle politique, élections, guerres et racisme. On y voit les mésaventures de la nouvelle gauche américaine, les essais communautaristes, et l’émergence de la contre-culture.

Les utopies et désenchantements de la période sont habillements présentés, sans jamais tomber dans le pathos, grâce notamment à l’apport courant d’anecdotes sur les chansons. On apprend ainsi que l’hymne féministe Respect d’Aretha Franklin est issu du détournement d’une première version, franchement machiste, chantée par Otis Redding. Ou bien que le peu engagé Yellow Submarine compensant son manque d’engagement par ses paroles aisément retenues et sa popularité fut repris en cœur par des manifestants anti-Viêt-Nam à Berkeley en 1966...

Panorama gigantesque d’une société en pleine révolution, Protest Song reste toujours digeste, clair et passionnant. Delmas et Gancel redonnent à la chanson contestataire ses lettres de noblesses, sans néanmoins en occulter les fautes et les manquements. Ils nous livrent un livre prenant dont on retire beaucoup.



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