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Red Medicine

Red Medicine

Fugazi

par Sylvain Golvet le 18 décembre 2007

4,5

Paru en juin 1995 (Dischord Records)

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Comme il y a des groupes qui se délectent d’être à la lumière, il existe des groupes qui sont voués à l’ombre. Soit parce qu’ils ne méritent pas la gloire, soit parce qu’ils la fuient comme la peste. Fugazi est de ceux-là, un vrai groupe underground. « Fucked Up, Got Ambushed, Zipped In ! » Les initiales de ce code utilisé au Vietnam part des GI donnent donc le nom au groupe, tel le « Born To Kill » du casque de Matthew Modine dans Full Metal Jacket, et révèlent les intentions subversives du quatuor. Il faut dire que depuis leurs débuts, les membres de Fugazi vivent leur musique comme un engagement personnel.

Tous issus de la scène hardcore de Washington DC du début des années 80. Brendan Canty, batteur, et Guy Picciotto, chanteur avant de se mettre aussi à la guitare, sont passés par diverses formations pas tendres, notamment Rites of Spring, avant de rejoindre Joe Lally, bassiste, et Ian MacKaye, chanteur-guitariste dans Fugazi en 1987. Plus ou moins leader du groupe, Ian MacKaye est la personne sur qui repose la légitimité underground du groupe. Figure emblématique de cette scène hardcore de DC, MacKaye a fondé Minor Threat en tant que frontman de 1980 à 1983, et a lancé le mouvement Straight Edge, sorte de philosophie de vie pronant le rejet de l’alcool ou de tout produit illicite voire même de rapport sexuel hors relation amoureuse. Mais au-delà de cette doctrine excessive, MacKaye a aussi lutté contre une industrie du disque grandissante et dominée par l’agent, en limitant le prix des concerts, en laissant les mineurs y entrer (souvent interdit à l’époque) et en fondant Dischord Records, label indépendant à échelle humaine.

Sorti en juin 1995, Red Medicine est leur 5ème album, enregistré à l’habituel Inner Ear, studio de Dischord. La réputation du groupe n’est plus à prouver, du moins dans le milieu, puisqu’en fait l’audience reste assez confidentielle, en cette décennie plutôt dédiée au grunge et à la britpop. Fugazi, en farouche indépendant, se forge plutôt une aura de groupe culte, à coups de concerts puissants et sans concessions, et de disques furieux et toujours inventifs. Celui-ci est peut-être l’un des plus abouti de leur carrière, entre hardcore revisité, punk mélodique tordu et enchevêtrements savants de guitares.

Démarrage en trombe dès Do You Like Me, avec Picciotto qui assène ses mystérieuses paroles plus qu’il ne les chante. Puis c’est au tour de MacKaye de hurler son Bed For The Scrapping. Sortant un peu de l’habituelle alternance « morceau en nuance » du premier contre « morceau-slogan à hurler en concert », l’album se fait plus varié, et les deux se lancent aussi bien dans la mélodie que dans la tuerie abrasive. On rencontre aussi quelques bizarreries bruitistes pour débuter Birthday Pony, morceau synchopé aux breaks assassins. Quel que soit le morceau, la basse posée, souvent proche du dub, de Lally permet une assise, alliée à la batterie puissante et variée de Canty, très en avant dans le mix, le tout intégré à des structures imprévisibles. Car c’est là l’une des forces de Fugazi, là où la majorité des groupes hardcore ressasse les mêmes schémas entendus cent fois en signe de reconnaissance, ici on ne sait jamais ce qu’il peut arriver, au détour d’un break de basse menaçant ou d’un refrain étrangement mélodieux.

Ensuite Forensic Scene se fait plus calme et mélancolique, tout en reproduisant l’exploit d’être aussi puissante, tandis que Fell, Destroyed, morceau de frustration, jongle avec des sons étouffés et des guitares timides On croise aussi chez eux des expérimentations et des instrumentaux vaguement dub ou reggae, avec un son toujours particulier mais pas forcement intéressants, tels Combination Lock ou Version. Là où Fugazi est le plus passionnant, c’est dans son approche de la double guitare, où les deux riffs de MacKaye et Picciotto se croisent et se mêlent par alliance de riffs rythmiques et de fulgurances aiguës. C’est même souvent plus complexe que ça. Ainsi les Richard Lloyd et Tom Verlaine du post-hardcore laissent parler les guitares dans la cathédrale de larsens qu’est By You, probablement un des plus beaux morceaux. Triturant leurs cordes, Picciotto et MacKaye arrivent même à rentre émouvant ce lâché de feedback, au final incontrôlable.

Le déroutant Long Distance Runner finit de convaincre l’auditeur qu’on tient avec Fugazi l’un des dignes représentants de la scène noise américaine. Même si moins reconnu que Sonic Youth, Shellac ou Slint [1], il mérite lui aussi une redécouverte de leur discographie, dont ce Red Medicine est l’une des réussites notables, malheureusement en stand-by prolongé depuis The Argument, leur dernier album de 2002. “Do you like me ?!”, “Yeah !!! “ hurlera-t-on en retour.



[1Doit-on voir un hommage à celle de Spiderland quand on regarde celle de ce Red Medicine ?

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Tracklisting :
 
1. Do You Like Me (3:16)
2. Bed For The Scraping (2:50)
3. Latest Disgrace (3:34)
4. Birthday Pony (3:08)
5. Forensic Scene (3:05)
6. Combination Lock (3:06)
7. Fell, Destroyed (3:46)
8. By You (5:11)
9. Version (3:20)
10. Target (3:32)
11. Back To Base (1:45)
12. Downed City (2:53)
13. Long Distance Runner (4:17)
 
Durée totale : 43:48