Incontournables
Revolver

Revolver

The Beatles

par Psychedd le 16 décembre 2008

paru le 5 août 1966 (Parlophone / EMI)

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On a tout vu, tout lu, tout dit à propos de Revolver. Album de transition entre des Beatles gentiment envapés et des Beatles allègrement partis explorer les tréfonds de leurs âmes perturbées par le LSD.
Pièce maîtresse et audacieuse d’une discographie qui tend vers l’innovation perpétuelle. Parce que les Beatles pourraient bien se reposer sur leurs lauriers de rois de la pop. Une réputation qu’ils ont bâti avec des larmes, de la sueur et une chance insolente. La chance de pouvoir évoluer sans faire de redite et de toujours se surpasser.

On le compare parfois au précédent opus, Rubber Soul, sauf qu’il est déjà un cran au-dessus. Et ça, tout le monde est bien d’accord pour le dire. Mais sorti avant Sgt.Pepper qui va marquer à la fois l’apogée et le déclin du groupe, il passe parfois un peu inaperçu... Et pourtant, en rentrant en studio le 6 avril 1966, les Beatles vont réaliser un disque sublime, peut-être le meilleur qu’ils n’aient jamais enregistré. Certains tressaillent à cette idée, mais on a toute les raisons de balancer ce genre de phrases catégoriques. Car au-delà d’une simple recherche du son parfait, Revolver marque un pic créatif qui ne concerne pas seulement Lennon et McCartney, grands bâtisseurs de mélodies imparables et immanquablement numéros unes des charts. Tout le groupe est soudé autour de ce projet, l’entente collective est à son paroxysme. Un exploit jamais plus réitéré...

1966, année magique pour les Beatles qui vont commencer à devenir un groupe de studio et plus seulement un phénomène qui enchaîne tournées sur tournées. Pensez donc ! Deux mois de studios pour cet album, voilà qui marque une sacrée nouveauté, surtout quand on pense au tout premier mis en boîte en une journée à peine. Autre grande nouveauté, le groupe intellectualise la musique, ses membres sont passés au rang d’artistes, certes avec l’aide de la drogue qui a ouvert de nouvelles perspectives à leurs cerveaux, qui font maintenant plus penser à de gros puits sans fond qui ne demandent qu’à se remplir de tout ce qu’ils voient et entendent. Paul le premier, lui qui s’est plongé avec passion dans la découverte artistique : musique contemporaine, peinture surréaliste, cinéma d’avant-garde... Tout est prétexte à décortiquer les rouages de la création. Décomposer pour mieux recomposer, voilà une notion qu’il cherche par tous les moyens à appliquer à son œuvre. En parfaite symbiose avec cette époque qui ne demande qu’à exploser les règles établies, sa vision, qui va s’étendre au reste du groupe, est celle de repousser toujours plus loin ses limites.
Processus passionnant, les Beatles qui façonnent les contours de la pop et les explosent aussitôt. Et le commun des mortels d’avoir un peu de mal à saisir où ils veulent en venir.
Il y a un nouveau venu à Abbey Road, tout juste âgé de 20 ans, Geoff Emerick, nouvel ingénieur du son responsable des balances. Il discute un peu avec le groupe et comprend tout à fait leur état d’esprit. Il explique : « [...] Quand les enregistrements de Revolver ont débuté, le but était que chaque instrument sonne différemment de lui-même : un piano ne devait pas sonner comme un piano, ni une guitare comme une guitare. [...] ». Alors on bidouille, on triture, on malaxe, on transforme. Les rires de McCartney accélérés deviennent des cris de mouettes. La guitare filtrée à travers un orgue Hammond, puis passée à l’envers, grâce à un ingénieux mais laborieux système artisanal (des stylos pour tenir les bandes) se métamorphose en quelque chose qu’on ne peut pas vraiment décrire avec de simples mots.

La première écoute de l’album se teinte d’une surprise toute particulière : Revolver ressemble à un grand bric-à-brac où se rencontrent chefs-d’œuvres et morceaux plus anecdotiques. Bien sûr qu’un fossé sépare la superbe Eleanor Rigby aux arrangements ambitieux, d’un Yellow Submarine, à la limite du ridicule. Mais les Beatles ont-ils vraiment besoin de se prendre au sérieux ? Pourquoi ne pas considérer l’album comme un voyage au cœur même des émotions des Fab Four ? Parfois cinglantes, comme Harrison et son Taxman qui a le mérite d’ouvrir l’album sur les chapeaux de roue, parfois tendres, comme la douce Here, There and Everywhere.
Revolver est peut-être l’album des Beatles le plus en phase avec son temps : fait de folie, d’amour, de bonheur et de tristesse. Leur petit monde intérieur est fractionné, inégal, bouillonnant. Vivant en somme. Rappelons-nous que le monstre à quatre têtes a aussi quatre petits cœurs qui battent, parfois à l’unisson, parfois pas. Et heureusement, parce que sinon, qu’est ce que ce serait chiant !

Quand Lennon fait une ode à la paresse dans I’m Only Sleeping, on a envie de se laisser bercer doucement dans son univers fait de coton, brouillard ou fumée, on ne sait pas ce que c’est, mais on y est bien. Faut-il pour autant condamner l’optimisme quasi-maladif de McCartney, qui préfère la lumière du soleil dans Good Day Sunshine  ? Non, on se réchauffe le corps et le cœur à ses rayons, on fredonne. Il ne faut pas chercher à comprendre Revolver, il faut le vivre. Et l’aimer...

Car tout ce que font les Beatles, c’est nous donner une clé pour les comprendre un peu plus. Harrison risque gros avec Love You To, à tel point que Lennon refusera même de participer à ses futures chansons. Mais il fait partager sa passion de l’Inde et montre un aspect qui va devenir omniprésent dans les mouvements de pensée de cette période : le départ vers l’Est, pour mieux fuir un Ouest consumériste et égoïste. Trouver des valeurs ailleurs certes, mais, parce qu’il est sympa, George les amène à nous ces valeurs. A nous de saisir l’allusion.
Et cet ailleurs meilleur n’est pas forcément si loin. John l’a trouvé dans sa propre tête. Métaphysique et tout aussi mystique, il parle d’un autre type d’expérience. La vie comme une grande illusion où rêve et réalité se confondent : « I know what it’s like to be dead ».

Et ils ont beau ne pas s’exprimer de la même manière, les Beatles disent au fond absolument la même chose. Quand Lennon réalise le chef-d’œuvre absolu de ce disque, la somptueuse, audacieuse (et pleins d’autres superlatifs du même genre) Tomorrow Never Knows, il s’inspire directement d’un trip d’acide, sous la férule du bouquin de Timothy Leary L’Expérience Psychédélique, inspiré du Livre Des Morts Tibétains. L’Orient encore.
Et de même, il retranscrit à sa manière plus sombre et tourmentée cette même expérience que Paul décrit dans la chanson juste avant, Got To Get You Into My Life. Esprits sur la même longueur d’onde, avec comme seule consigne de se laisser aller au fil d’un courant qui les traverse et les unit pour le meilleur.

Rien que pour le meilleur.



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Tracklisting :
 
1. Taxman (2’39")
2. Eleanor Rigby (2’08")
3. I’m Only Sleeping (3’01")
4. Love You To (3’01")
5. Here, There And Everywhere (2’26")
6. Yellow Submarine (2’41")
7. She Said She Said (2’37")
8. Good Day Sunshine (2’10")
9. And Your Bird Can Sing (2’01")
10. For No One (2’02")
11. Doctor Robert (2’15")
12. I Want To Tell You (2’30")
13. Got To Get You Into My Life (2’31")
14. Tomorrow Never Knows (2’57")
 
Durée totale : 35’01"