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Dark Side Of The Moon

Dark Side Of The Moon

Pink Floyd

par Psychedd le 6 décembre 2005

sorti le 24 mars 1973 (EMI) / Produit par Pink Floyd / Enregistré aux studios Abbey Road, Londres.

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1972 : Pink Floyd est un groupe respecté, novateur et toujours prêt à l’expérimentation. Non pas que le groupe touche le grand public, mais ils se sont faits une petite place au chaud dans les sphères progressives de la musique du même type. Mieux, on qualifie leur musique de space rock, musique des esprits qui partent en orbite. Sauf que Roger Waters, bassiste de son état, en a marre.
Du space rock, eux ? Parce que les auditeurs ont trouvé trois pauvres références aux voyages spatiaux ? Trop réducteur. Non, Roger est remonté, fini les pièces qui durent une demie heure, fini les concepts nébuleux, il a un message à faire passer, il a une ligne directrice, il va écrire l’un des albums les plus marquants du rock.

Mais il ne le sait pas encore, faudrait voir à ne pas sauter les étapes !
Avant cela, Pink Floyd a un but à atteindre : « devenir riches et célèbres » dixit Waters lui-même [1]. Et pour ce faire, ils vont sortir la grosse artillerie et mettre au point un show appelé Eclipse (A Piece For Assorted Lunatics). Car la genèse de ce qui va devenir Dark Side Of The Moon s’est faite sur scène durant des mois de rodage où le groupe teste et adopte certains morceaux. Roger Waters s’est chargé des textes, David Gilmour, guitariste, et Rick Wright, claviériste, se chargent de la musique. Une formule magique pour le groupe : libéré des contraintes musicales, Waters va s’épanouir dans le rôle de parolier, et, osons l’emphase, dans le rôle de créateur de concept. Un concept si fort, si imparable que les neufs morceaux qui vont résulter de ce travail vont marquer les esprits jusqu’à nos jours.

Quel beau concept que la folie et tout ce qui la déclenche, souvenirs de leur flamboyant leader Syd Barrett, dont la raison s’est égarée dans la stratosphère, sentiments de Waters poussés jusqu’au bout : cet album est à la fois si personnel et si universel que ça en devient troublant.
Roger Waters avait commencé à trouver sa voie sur le morceau Echoes, où déjà, il mettait en musique une certaine empathie. Dark Side Of The Moon est, pour l’intéressé, « l’expression d’une empathie politique, philosophique, humanitaire qui devait se manifester ». Tout un programme.
Le groupe réuni dresse une liste de tout ce qui peut aliéner et voilà que les thèmes principaux abordés au long d’une existence ressortent clairement : la vie, la mort, le temps, l’argent et tant d’autres choses qui chaque jour créent quelque part sur Terre le dérèglement psychique d’un inconnu.

À côté de cela, Pink Floyd veut, en toute simplicité, repousser ses limites, rester dans l’expérimentation tout en étant mélodique. Et l’expérimentation, ils vont pouvoir la pratiquer grâce aux progrès techniques de cette époque : l’arrivée d’une console 24 pistes et du son quadriphonique dans les studios Abbey Road vont leur permettre de faire joujou et de créer la musique du futur. À cela vient s’ajouter un synthétiseur VCS3, qu’ils utilisent pour la première fois, et qui leur ouvre la porte de la musique électronique. Ils ont beau dire et se défendre que les machines ne font pas tout, ils ne peuvent pas renier qu’ils n’auraient rien fait sans elles. En tout cas, rien d’aussi spectaculaire pour l’époque.
Quoiqu’il en soit, les morceaux plus ou moins finis, et après quelques répétitions dans un studio appartenant aux Rolling Stones, le groupe part sur scène et fait découvrir au public un album qui n’est même pas sorti. C’est audacieux et malin, car selon les réactions des spectateurs, on garde, on améliore ou on jette et on pond l’album qui plaira à tout le monde. Si à cela vient s’ajouter un light show hallucinant, les critiques qui ne sont foncièrement pas mauvaises et le disque se retrouve alors très attendu.

L’autre problème qui embête un peu le groupe est que leur conquête de l’ouest ne se passe pas trop bien, la faute de la maison de disque américaine. Ils dénichent un type suffisamment talentueux et motivé qui va assurer une promotion de l’album comme ils n’en ont jamais eu et rassurés de la tournure que prennent les choses, ils rentrent aux studios Abbey Road pour six semaines d’enregistrement, dont certaines sessions ont été immortalisées sur la vidéo du Live at Pompeii, réalisé par Adrian Maben. Ambiance détendue et joyeuse, nos quatre héros du jour mangent des huîtres françaises et des tartes sans croûte. Quand on connaît la suite de l’histoire, on peut réellement dire que pour la dernière fois de leur vie, les Floyd sont des amis et pas simplement des collègues de travail qui se chamaillent pour des problèmes d’ego.
Et de cette bonne ambiance va sortir un petit joyau de perfection sonore, audacieux et incroyablement intemporel.

Tout s’ouvre sur un battement de cœur, doucement... La vie comme ligne directrice, une vie soudainement troublée par des cris, des tic-tac et autres bruits de tiroir-caisse. Et tout bascule, on attaque avec Breathe et la guitare de Gilmour, douce, aérienne : on est là pour se détendre, se laisser porter. Premier constat : c’est beau. Second constat : une telle alchimie musique / paroles tient du miracle, comme si portés les uns par les autres, les membres du groupe ne formaient plus qu’une seule entité vibrante et vivante. Troisième constat : ce qui se dégage immédiatement, c’est que tout est là : le son, les textes mais aussi l’imagination. Pink Floyd, et même si cela sonne très cliché, fait une musique pour l’esprit et chacun peut accommoder son écoute d’images et de sensations personnelles.
Pour autant, le groupe ne laisse pas l’auditeur s’endormir, il est suffisamment détendu, et pour le remettre d’aplomb, quoi de mieux que On The Run, véritable folie électronique (merci le VCS3) à glacer le sang, entre les rires de psychopathe, des bruits de pas et des avions qui semblent vous descendre dessus en piqué, ce morceau impressionne et peut même faire peur. Enfin, ce n’est qu’un avis et une expérience personnels... Tout s’achève dans un crash et on se remet de ses émotions durant un court instant. Car presque aussitôt, on frôle la crise cardiaque avec les réveils, cloches et horloges de Time qui sonnent toutes en même temps. Constat accablant, le temps joue contre nous et ce coup de semonce nous rappelle qu’il est là, implacable et qu’il nous mène dans une seule direction. D’abord rock avec David qui pousse sa voix, on passe à la douceur de Rick, soutenu, pour la première fois, par des choristes qui amènent subitement une touche soul au morceau. Puis ça repart avec un solo de guitare dont Gilmour a le secret. Pas trop de notes, juste ce qu’il faut où il faut. Dark Side est un album qui ne fait pas que décrire la vie, c’est un album qui vit, qui possède des temps de calme, pour mieux respirer : Breathe in the air, don’t be afraid to care.

Du calme, il en arrive un peu avec le début de The Great Gig in The Sky, composée par Rick Wright. Originellement appelée Mortality Sequence, elle traite, comme vous l’aurez compris, de la mort. Et tandis que les premières notes de piano s’élèvent, une voix d’homme se fait entendre. Une de ces voix qui viennent hanter l’album, comme des apparitions d’êtres qui auraient un message à délivrer. Ici : pourquoi avoir peur de la mort ? L’intervention de ces voix est une idée d’Alan Parsons, leur ingénieur du son. Lui qui avait travaillé avec George Martin lors des sessions d’Abbey Road des Beatles, il avait alors découvert le monde merveilleux des collages sonores. Musicien dans l’âme et plein de bonnes idées, il propose au Floyd nombreuses d’entre elles. Et en plus, ça le fait !
Pour la réalisation, Roger propose un système de questions sur des cartes. Il décide d’interviewer tous ceux qui lui tombent sous la main, connus ou pas connus. La première question met en confiance : « Quelle est ta couleur préférée ? ». Celle d’après attaque frontalement : « As-tu peur de mourir ? » et ainsi de suite, chaque questionné ayant droit à une séance de psychanalyse gratuite. De quoi mettre de l’ambiance. Chose plus amusante, la majorité des témoignages retenus sont ceux d’illustres inconnus, aujourd’hui rentrés dans la légende floydienne, tel le portier écossais d’Abbey Road ou un roadie du groupe. Gilmour ajoute à ce sujet que ce sont ceux que l’on voit le moins qui disent les choses les plus intéressantes, n’en déplaise à Paul et Linda McCartney qui n’ont apparemment pas brillé dans leurs réponses.

À côté de ces considérations techniques, le morceau n’était à l’origine qu’un simple instrumental, sur lequel on entendait des passages de la Bible lus par un prédicateur. Alan Parsons a encore une bonne idée quand il parle de Clare Torry au groupe. Quand la jeune femme arrive en studios, on lui donne une seule indication : penser à la mort et à l’horreur et advienne que pourra.
Ce qui advient est tout bonnement fabuleux : selon la légende la chanteuse n’a fait qu’une seule prise, la bonne prise. Criant, implorant, pleurant, elle donne toute son âme. La chanson prend une dimension dramatique stupéfiante, ce grand concert céleste qui laisse pantelant, qui appelle les émotions les plus fortes est l’un des moments forts de ce disque. L’une des dernières contributions fulgurantes de Rick Wright, avant qu’il ne s’efface définitivement.
Mais ce n’est que la moitié du disque et la suite est pleine de bonnes surprises.

De surprise, Money en est une. D’abord pour le groupe qui l’utilisera comme single, le premier qu’ils ressortent depuis 1968. Un tel succès qu’aujourd’hui encore elle reste la plus connue du groupe avec Another Brick In The Wall Part 2. Succès commercial amusant pour une chanson qui parle de l’argent et de la cupidité qu’il entraîne. Le monde du rock n’est plus à une contradiction prêt...
La surprise pour l’auditeur vient de ce riff de basse si caractéristique, de ce bruit de pièces et de tiroirs-caisses, bricolés à la main par Roger Waters dans sa maison de campagne. Encore et toujours utilisé quand on parle de fric à la télé. Money est le morceau qui tranche dans le vif, celui dont on n’attend pas la présence après ce que l’on vient d’entendre. Musicalement, un morceau compliqué puisque que l’on passe d’un rythme en 7/8 particulier à un rythme en 4/4, simple, efficace mais tellement rock’n’roll et bougeant grâce au saxo de Dick Parry, un ami de Cambridge.
Tandis que David Gilmour s’amuse bien, l’atmosphère redevient floydienne. L’orgue de Rick Wright monte doucement, les voix toujours plus fantomatiques se font entendre et d’un coup, on se retrouve dans du coton. Us And Them est comme en suspension dans l’air. Mélancolique et mélodique, ce n’est en fait qu’une chute de studio, un morceau refusé par Antonioni pour son film de 1969, Zabriskie Point, parce qu’elle lui donnait l’impression d’être dans une église. En déterrant le morceau d’on ne sait où, Rick Wright réalise qu’il y a quelque chose à en tirer. Avis partagé par Roger Waters qui considère ce morceau comme l’un des meilleurs du timide claviériste. Les voix de Gilmour et Wright sont absolument superbes, se ressemblant, se mélangeant, soutenus encore par les choristes. Le tout est d’une grande intensité, on pourrait parler ici d’une progression dramatique, car cette musique est tout sauf légère, elle ne parle plus seulement au cerveau, elle vient toucher le cœur. Définitivement, Pink Floyd fait fort et réussi en 7’48" à concentrer tout ce que le groupe à fait de mieux depuis ces cinq dernières années.

Et pour se souvenir des moments un peu plus fous (mais pas trop) de ces beaux jours de formation, l’instrumental Any Colour You Like vient un peu secouer. Une fois encore, force est de constater que si Waters est à partir de ce moment devenu l’âme conceptuelle du groupe, Gilmour et Wright en sont l’âme musicale et ce, depuis le début. Mais dans cette sorte d’état de grâce dont bénéficie le groupe, leurs instruments semblent avoir trouvé une cohésion parfaite, en parfaite symbiose. Et s’il ne sont pas d’excellents techniciens, ils ont en revanche le don de donner de l’émotion à ce qu’ils jouent.
Puis comme si ce morceau était une passerelle, le relais est laissé à Waters qui se charge d’animer la fin du disque en commençant par Brain Damage, chanson qui peut paraître anodine, mais qui regroupe tout le contenu de l’album en un seul thème : la folie. Et en toile de fond de cette folie, Syd Barrett, revenant hanter Roger qui d’un coup, balaye tout avec Eclipse, clôturant le disque comme il faut. Le morceau qui achève définitivement l’auditeur, entraîné une dernière fois dans l’œil du cyclone. Tout n’y est que tension provoquée par cette montée d’intensité où, de phrase en phrase, viennent s’ajouter des voix, des chœurs, tous ces petits détails qui provoquent des frissons parcourant le dos. En une chanson, Waters a su contenir la vie. D’une facture simple et jouant sur des oppositions de base, elle nous rappelle malgré tout la condition misérable de l’être humain condamné à devoir vivre tout en acceptant la mort. La mort qui viendra après les battements de ce cœur qui nous guident doucement vers la réalité. La boucle est bouclée et le disque s’achève comme il a commencé. Comme une invitation à revenir au début et repasser tout le disque encore et encore, repasser des tranches de vie, encore et encore et à chaque fois, s’émerveiller...

À la sortie de Dark Side Of The Moon, le Floyd a été acclamé et enfin, ils se sont retrouvés riches, célèbres, et frustrés. La réussite commerciale fut immense et les chiffres éloquents : aux États-Unis, l’album est resté 741 semaines dans les charts, soit environ 14 ans. Ce fut la plus grosse vente de l’industrie du disque jusqu’à ce que Michael Jackson déboule et une référence en matière de qualité sonore. Mais ce succès soudain et incontrôlable a laissé le groupe vide de toute substance. Les années qui suivirent ne furent pas très joyeuses mais néanmoins profitables.
Dark Side Of The Moon reste aujourd’hui l’album accessible pour tous, à moins d’être vraiment allergique, chacun peut y trouver quelque chose à sa convenance et peut-être même, tenter le voyage au centre d’une petite galaxie appelée Pink Floyd.



[1Sources : DVD Pink Floyd Dark Side Of The Moon, Classic Albums, Prod. Eagle Vision, 2003

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Tracklisting :
 
1. a) Speak To Me
b) Breathe (3’57")
2. On The Run (3’31")
3. Time (7’05")
4. The Great Gig In the Sky (4’47")
5. Money (6’23")
6. Us And Them (7’48")
7. Any Colour You Like (3’25")
8. Brain Damage (3’50")
9. Eclipse (2’06")
 
Durée totale : 43’00"