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Thickfreakness

Thickfreakness

The Black Keys

par Thibault le 21 mars 2011

3,5

paru le 9 avril 2003 sur Fat Possum Records.

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« On joue à deux pour des histoires de commodité. On essaie de sonner comme douze, on a aucune envie de sonner comme un groupe de garage guitare/batterie, au bout de trois écoutes ça nous casse les couilles. C’est pas assez riche par rapport à l’auditeur. Vous êtes deux, les gars ? Vous êtes pas obligés de l’imposer au public ! »

Ces mots pleins de bon sens sont de Malcolm de The Inspector Cluzo mais ils auraient être entendus dans la bouche de Dan Auerbach ou de Patrick Carney, sans problème. Ah, les Black Keys ! Sans être un acharné du style, genre l’otaku qui télécharge l’intégrale de tous les artistes passés sur Fat Possum Records le temps d’un EP, on les a écoutés et réécoutés. D’ailleurs, inutile de parler au passé, on les écoute souvent, dès que ça nous prend.

Pourquoi ? On ne tentera pas de démontrer que les Keys synthétisent la substantifique moelle du vrai blues en conjuguant la je-sais-pas-quoi de je-sais-pas-qui avec le bidule de machin, qu’ils sont le pont entre moderne et traditionnel ou qu’ils réinsufflent une vigueur nouvelle à l’ancestral, etc. On s’en fout de tout ça, pas la peine de verser dans un name-dropping intempestif. La musique des Keys s’inscrit dans une branche codifiée d’un genre plus large mais pas moins codifié, forcément tout le monde est un peu voisin et les emprunts, rapprochements et références pleuvent.

Pourquoi ce groupe s’attire nos faveurs au milieu de ses semblables ? Il y a quelque chose de vraiment attachant chez eux. Leur son est au point, il faut rendre grâce à leurs efforts de production. Chez les Keys, enregistrer dans la cave n’est pas une excuse pour enregistrer mal. Sonner brut ne signifie pas sonner je-m’en-foutiste. L’album a une unité de couleurs mais n’est pas une pâte visqueuse qui bazarde le souci du détail au fond du lac. Le travail sur les textures, les nombreux overdubs, les nuances dans le dosage de la saturation, le choix d’étouffer tel riff en jouant sur la profondeur pour paradoxalement lui donner plus d’impact, tout est impeccable.

Et au détour de la 732ème écoute, on se dit que l’intro de Thickfreakness prend encore plus à rebrousse poil qu’un rasoir bic à deux centimes, on découvre ce coup de cymbale qu’on n’avait pas soupçonné, cet écho de guitare particulier qui perce sans qu’on sache pourquoi dans la caverne du son, ce coup sourd qui bat toujours dans son coin, on savoure ce sustain dégueulasse... Y’a pas à dire, les asticots ont le sens du jouissif.

Il y a une sorte de tranquillité chez les Keys, quelque chose de facile et décontracté. Certes, la prod’ est bourrue, leur blues a du nerf et du tendon, la fuzz est vraiment sale mais elle a aussi une couleur douceâtre. Il y a un groove peinard et séduisant dans ce jeu rude et saccadé. L’absence de basse fait sens dans la dynamique souhaitée par le duo. Deux instruments seuls, ça laisse dans la place et évite de tomber dans le gras de bière, une épure bienvenue qui met en valeur le projet de musique des Keys 1.0 avant la mue au contact de Danger Mouse.

Auerbach et Carney ont la fraicheur de ceux qui ne singent pas. Pas de mélancolie surjouée parce que le-blues-c’est-un-cri-de-douleur-tu-vois, pas de poses blaxploitations éculées ni de tics vocaux ressortis à toutes les sauces. Vous n’entendrez aucun « ouh yeah », « come on baby » ou « shake it ! » tonitruants et/où aguicheurs, et c’est tant mieux.

Ici, on se délecte plutôt d’une espèce de laconisme chaleureux qui évoque certaines chansons de Johnny Cash. Auerbach chante des mots entendus environ vingt deux milliards de fois, mais sans effet de voix, sans emphase, à sa manière, avec une espèce de demi sourire un peu enjoué, un peu las, celui arboré par votre pote quand il raconte son dernier plan foireux une bière à la main. Un talent pour le petit récit qui s’exprimera encore mieux sur l’album suivant Rubber Factory, que l’on écoute autant, d’ailleurs. Sommet de la classe, on entend le titre Hard Row lors de l’ouverture du premier épisode de l’excellente série Sons of Anarchy. Une petite vidéo pour présenter les personnages avec une autre chanson des Keys également utilisée en cours de saison.



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