Incroyable sensation d’apesanteur dès que surgissent les premiers accords à la pureté perdue, dès que les premières mesures de batterie s’écrasent dans notre champ de perception avec une profondeur langoureuse et éclatante. Dégagée de toute instrumentation superflue, évitant soigneusement les excès pop autant dans les compositions que dans les arrangements, cette musique accède à une teneur rare ; sans jamais prétendre à un ascétisme indé austère et pompeux, Low tente de susciter les sensations les plus fugaces, mais aussi les plus précieuses, en délivrant un son mélancolique qui semble à chaque fois affleurer. Sans s’imposer par des mélodies dans lesquelles tout serait déjà inscrit (beauté, magnificence, splendeur), on se sent envahi par des sonorités spacieuses et vastes, qui se propagent dans l’espace comme pourrait le faire une pluie timide striant de ses pointes liquides un horizon brumeux. Il ne s’agit pas d’exigence précalculée, ou d’une simple posture cambrée dans des convictions blafardes, mais d’une réelle conception musicale : faire ressentir beaucoup avec une économie de moyens remarquable.

Sur un plan plus charnel, il s’opère une sorte de fusion instinctive avec ces guitares profondes et lunaires, cette rythmique béate, précise, d’une lenteur sensuelle, et ces voix qui portent vers un ailleurs palpable. Prendre son temps, laisser la mélodie recouvrir de son voile gris et intime tout ce qui constitue la réalité autour de nous ; alors qu’elle semble pointer au bord, tout au bord de notre perception, à l’angle de chaque chose, de chaque couleur, elle finit par prendre le dessus et par nous envelopper d’un cocon tiède, où naviguent librement des rêves évasifs d’une nostalgie vibrante (Sunflower), où les sons restent un instant en suspens, pour mieux nous cueillir dans leur blancheur immaculée (Whore et son écoulement qu’on dirait figé, July et sa mélancolie tapissant notre regard comme un lit de feuilles mortes, pâlement orangées). C’est peut-être lorsque que le dénuement devient total que l’émotion se révèle la plus vive, comme dans ce Laser Beam crépusculaire, songe aérien insaisissable, dont la beauté évanescente étourdit ; dans Kind Of Girl, la guitare égrène une tristesse délectable, épouse au mieux la fugitivité de l’instant, pour finalement le laisser perdurer dans l’âme inquiète qui s’y offre. La musique de Low sait aussi se faire plus anguleuse et oppressante. Whitetail et son faux crescendo inquiètent les sens, comme si, fatalement, quelque chose devait se produire, un danger imminent qui guette l’auditeur désoeuvré. L’air est plein d’une tension amère, irrémédiable, on étouffe presque. Puis Embrace résonne de manière sourde et grave, et on se sait condamné, lorsque apparaît ce refrain déchirant, vérité impitoyable mais si lumineuse, inévitable pour qui cherche à trouver le salut.

À cet instant, ici même, on commence à comprendre en quoi tout cela nous émeut au plus haut point ; ce son est porteur d’un souffle mystique, d’une ferveur angoissée, trop rare, loin de ce mercantilisme outrancier, de ce cynisme autodestructeur, de cette modernité qui anesthésie tout sentiment. Pesant mais grâcieux, Low fixe son regard sur ce brasier fumant, sur ce ciel ensanglanté par les flammes, gonflé de nuages de cendres, inspire l’air brûlant de la haine, mais se détourne, résolument ; son chemin mène au recueillement, à l’âme. Intègre.