Livres, BD
Transmetropolitan

Transmetropolitan

Warren Ellis et Darick Robertson

par Aurélien Noyer le 15 juillet 2008

4,5

Paru en juin 2007 (Tome 1) et mars 2008 (Tome 2) (éditions Panini collection "Vertigo Big Books)

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Transmetropolitan sort enfin en France. Il aura fallu attendre des années et la reconnaissance tardive du génie de Warren Ellis dans l’Hexagone...

Mouais... Je vois à votre regard inexpressif et vide que vous ne savez pas qui est Warren Ellis. Et bien, essayez d’imaginer que Pierre Desproges (pour la misanthropie acide), Mel Brooks (pour la capacité jouissive à exploiter tous les clichés) et Nick Hornby (pour les références constantes à la sous-culture pop de ces cinquante dernières années) aient fusionné pour devenir scénariste de comics. Ainsi lorsque Warren Ellis imagine une équipe de super-héros, il reprend les archétypes de Batman (le Guerrier de la Nuit invincible en combat rapproché) et de Superman (le Surhomme volant avec vision laser) et en fait un couple de gays. Quant au personnage du Docteur, magicien quasiment omnipotent, c’est aussi un junkie héroïnomane et trouillard... Bienvenue dans le monde de Authority !!!

Dans Planetary, Ellis postule que tous les mythes fondateurs de la littérature et du cinéma fantastique ont simplement été cachés au public. Au fil des pages, on y découvrira une île sur laquelle Godzilla et Mothra ont réellement existé, Lovecraft en transe attirant à lui les oeufs d’une pieuvre extra-dimensionnelle, le fantôme d’un flic de Hong-Kong trahi par son partenaire, une équipe secrète de super-héros constituées dans les années 30 et regroupant notamment un lord anglais ayant grandi dans la jungle africaine, un milliardaire masqué combattant le crime à Chicago et Thomas Edison, etc...

Mais si Planetary est un bouillement magistral de culture pop, l’oeuvre la plus personnelle de Warren Ellis est sans aucun doute Transmetropolitan que l’on pourrait résumer ainsi : "Et si Hunter Thompson se réincarnait dans le futur ?"

L’idée est d’autant plus intéressante que le futur imaginé par Warren Ellis et le dessinateur Darick Robertson n’est pas basé sur la perspective de formidables avancées technologiques qui auraient révolutionné la vie de l’Humanité, mais plutôt sur la constatation simple que l’éthique et la recherche de la vérité sont des valeurs délaissés au profit de la recherche d’un confort personnel et solipsiste. Partant de ce principe, l’anticipation est facile : toutes les manipulations génétiques, toutes les drogues légales ou non, toutes les hybridations homme-machine sont généralisées, la surmédiatisation provoque une omniprésence de la publicité et pauvreté de l’information, le tout maintenant une population de crétins béats dans une ignorance crasse qui profite aux multinationales, aux religions et aux sectes de tout poil et à des politiciens tous plus immoraux les uns que les autres. Vous trouvez que notre présent ressemble déjà à ça ? C’est surement du mauvais esprit, mon cher...

Et en attendant, quid de notre "réincarnation de Hunter Thompson", me direz-vous ? Laissez-moi donc vous présenter le génial Spider Jerusalem, journaliste gonzo, drogué jusqu’à la moelle, autoproclamé "plus gros fils du pute de la planète", ne respectant rien ni personne en dehors de la valeur suprème, la Vérité. Et à ce titre, Transmetropolitan peut se targuer d’être un comics (peut-être le seul) authentiquement gonzo. A tous ceux qui n’avaient retenu du modus operandi de Hunter Thompson que l’abus de drogues et l’écriture sous influence, Warren Ellis rappelle un des buts de Thompson : altérer ses perceptions pour voir derrière les apparences et découvrir ce qu’il appelait "la psyché cachée de l’Amérique". De même, le combat acharné de Spider Jerusalem contre le président des Etats-Unis (surnommé par ses soins "La Bête") est une référence évidente à Thompson qui fit de Nixon son ennemi personnel. En ce sens, Transmetropolitan rappelle également l’aspect éminemment politique du gonzo journalisme. Malheureusement, cet aspect se perdra, noyé dans le vain cliché du journaliste défoncé 24h/24...

Rétablissant la composante politique et se revendiquant de l’esprit de Hunter Thompson, Warren Ellis s’offre avec Transmetropolitan le moyen de cracher sa bile contre tout qui ne tourne pas rond : la bêtise et l’apathie, les religions cupides, les politiciens menteurs et immoraux, l’indifférence générale aux autres...

Avec son talent d’écriture, il se place ainsi dans la lignée d’un autre auteur de comics hautement politique, Alan Moore. Mais à la différence avec l’auteur des Watchmen ou de V pour Vendetta, Warren Ellis appartient à la génération X, celle qui a grandi dans les années 80. Contrairement à Moore, issu de la génération des années 70 et pour qui des changements radicaux sont possibles sous l’impulsion de quelques personnes (c’est le point de vue exprimé dans Watchmen et V Pour Vendetta), l’œuvre de Warren Ellis contient toutes les désillusions et le pessimisme d’une génération pour qui un changement radical n’est qu’une utopie. Même Spider Jerusalem, au faite de sa gloire, auréolé de son aura de journaliste-star, ne peut agir que sur des évènements précis et localisés : on ne peut aller contre la marche du monde, on ne peut qu’essayer de le rendre un peu meilleur.

Et c’est sans doute pour cela que Warren Ellis enrobe les aventures de Jerusalem d’un humour noir particulièrement caustique. Comme dirait Desproges citant on ne sait trop qui (les sources varient), "l’humour est la politesse du désespoir" et la preuve en est les quelques passages ouvertement désespérés (sur le sort d’une photographe du XXe siècle, cryogénisée à sa mort, ressuscitée mais dont le sort et les souvenirs pourtant passionnants -elle a vécu tous les grands évènements du XXe siècle- n’intéressent personne).

Et, au final, malgré sa noirceur, malgré son humour parfois bête souvent méchant, malgré sa violence, Transmetropolitan est sans doute un des comics les plus profondément humains, parce que malgré (ou peut-être grâce à) l’écriture ultra-chiadée de Warren Ellis, il exprime de façon totalement spontanée et jubilatoire le prix et la récompense de la lucidité en ce bas monde...



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom