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Treasure

Treasure

Cocteau Twins

par Oh ! Deborah le 19 mai 2009

paru en 1984 (4AD)

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L’Ecosse, les maisons hantées et surtout, une jeune fille qui fait de la magie. Robin Guthrie (guitariste et producteur des Cocteau Twins) ne tardera pas à solliciter cette personnalité énigmatique pour fonder un groupe (et accessoirement devenir son partenaire jusqu’en 2006). D’abord lancés par Ivo Watts-Russell du label 4AD, les Cocteau Twins firent partie du mouvement cold-wave, composant une musique monotone dont deux premiers albums aux prémisses intéressantes mais semblables aux groupes mineurs qui suivirent les traces des Cure ou de Siouxsie. Bientôt, quelque chose leur permettra d’être adulés par une foule de groupes indépendants, du mouvement shoegaze à aujourd’hui.

Elisabeth Fraser a 21 ans quand paraît le troisième album des Cocteau Twins. Et déjà sa voix s’est acquittée d’une singularité aveuglante. Une maturité certaine qui a conduit à la conception d’un univers précieux, inestimable, un ailleurs fantasmagorique qu’elle voit, elle, avec son regard timide et transparent. Autant le dire toute suite, voilà l’album le plus idéaliste et le plus apaisant que j’ai pu entendre de ma vie. D’une sérénité et d’une beauté pacifiquement conceptuelles. Non pas contenues dans un quelconque message, simplement déployées de par une musique atypique synonyme d’onirisme, de conte, de merveilleux et de douceur. Les Cocteau Twins réalisent alors un chef d’œuvre intime et miraculeux, leur petit Trésor.

Un Treasure qui se démarque instantanément de leur discographie et du rock en général, ouvrant le genre dreampop et bouclant l’ère cold-wave de la plus belle façon qui soit : lui conférant une lumière positive, divine, un esprit salvateur qui apaisa sans doute l’âme d’un Ian Curtis et subjugua celle de Robert Smith qualifiant l’œuvre de magique. Et pour le coup, cette musique a un pouvoir tout à fait étonnant. La seule œuvre aux consonances gothiques à jouir d’une béatitude pure et pleine, transmettant un sentiment d’épanouissement à la limite du bonheur. Pourtant, quelques fines touches de mélancolie se profilent ici et là. De par les nuances et le mélange subtil du clavier et de la guitare. Mais toujours, cette voix à la fois étrangère et bienveillante nous attire. Et l’évasion se produit, à chaque fois. Lorsqu’elle n’est pas continue et lancinante (Pandora, Amelia). S’il y eut les chef d’œuvres psychés dans les sixties, Treasure est de la même façon un chef d’œuvre baroque et légendaire, de son propre temps.

Une musicalité qui tient assurément du génie, créer le beau n’étant pas mince affaire. Des timbres vocaux, synthétiques et une guitare acoustique comme cristalline (mimant bien souvent les sons superbes de la cithare ou du clavecin) forment un décor dans lequel les Cocteau Twins couvrent leurs compositions fluides, éthérées et extrêmement mélodieuses. Toujours, un fil conducteur permet de s’évader sans jamais tomber dans l’expérimentation aléatoire ou confuse. Une production complexe (échos travaillés, homogénéité des couleurs, finesse des tonalités), une enveloppe vaporeuse et uniforme dont on ressent l’absolue volonté de créer une identité aboutie et mystique. Un concept où quasi tous les titres sont nommés par des déesses mythiques et notamment Grecques, évoquées bien souvent pour leur esthétisme et leur charme masquant des pouvoirs insoupçonnés des hommes. Treasure est féminin. Jouant le plus souvent sur des courbes et des envolées plutôt que sur des compositions linéaires, il prend la forme d’arabesques spacieuses, composées de bribes nitescentes et de poussières d’étoiles. Agile, tactile, délicat, élégant et romantique, il créé une atmosphère aussi profonde qu’esthétique, jouant autant sur l’apparent que sur les torpeurs de l’âme.

Un mysticisme incarné dans cette voix dessinant des allégories spirituelles, mi-humaines, mi-surnaturelles. Par cette voix, j’entends la voie par laquelle tout est possible, imaginable, un chant insolite et liturgique qui se double, s’élève, se décuple et se meut constamment. Elle s’invente un langage, des mélismes et des successions illogiques de mots aux sonorités vaguement hispanico-anglaises (Pandora), doublées d’échos crépusculaires. Une imagination débordante qui évoque également celle d’une âme enfantine. Liz Fraser se fraie alors des chemins sinueux où l’on croise des sirènes, des dauphins, des fées, des licornes, des hippocampes et des sorcières bénéfiques. Le monde des anges, des anges inconcevables. Lorsque des créatures roses et aquatiques apparaissent étonnamment dans un Abyss [1] noir, d’une façon telle qu’on ne peut plus se moquer de leurs figures incroyablement touchantes. C’est un peu l’effet que produit l’éblouissante Lorelei ou encore Ivo (en référence au fondateur de 4AD) et Aloysius conjuguant pop rythmée et chimérie aqua-lunaire. Seule Otterley (inspirée d’Eno) n’est pas chantée, explorant d’un bourdonnement continu la nuit mystérieuse et permanente.

Si Treasure évoque la candeur et la féminité de façon tout à fait personnelle, il célèbre un monde où l’organique côtoie le divin, où la sensualité se mêle à l’immortel, trouvant sa consécration dans l’olympique Donimo. Un univers où se coalisent tous les Eléments, particulièrement l’eau et l’air. Les abîmes maritimes ou l’infini cosmique. Dans tous les cas, l’Inconnu, que les Cocteau Twins imaginent tellement beau.



[1film de James Cameron publié en 1989

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