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mercredi 15 avril 2015
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par Sylvain Golvet le 6 mars 2007
1992-2006. R.I.P. Grandaddy. Il faut maintenant parler de ce groupe au passé (bien que la reformation soit dans l’air du temps) et se contenter de redécouvrir les petits chef-d’œuvres qu’ils nous a laissé. Dont ce Underneath The Weeping Willow, issu de leur deuxième album The Sophtware Slump.
Ce groupe ne sera jamais un de ceux dont on étudie les paroles à la loupe, pour essayer d’y découvrir les nombreux méandres ou les (supposés) sens cachés. Non, la seule ambition de Grandaddy et de son leader Jason Lytle était de proposer des chansons simples et belles, absurdes et évidentes, enfantines et profondes. Tout la panoplie pour être taxé de bouseux bas du front. Pourtant, ce groupe était précieux car il contrebalançait l’émotion et la mélancolie évidentes émanant des compositions de Jason Lytle par une sorte de décalage, souvent à base de sons de synthés “cheap” presque ridicules et finalement très touchants de naïveté. Et pour mener à bien leur quête, ils ont choisis de s’attaquer à l’évidence mélodique des Beach Boys et de Neil Young, plutôt que de se complaire dans un folk-pop de bas étage.
Le titre de l’album mélange une référence à l’expression "Sophomore Slump", qui décrit l’effondrement d’un étudiant arrivant en deuxième année d’étude alors qu’il avait réussi la première, et une allusion au concept de l’album, la désuétude des vieux ordinateurs (“sophtware” pour logiciel). Mélange de réelle modestie et d’auto-dérision pour annoncer le difficile passage du deuxième album. Et pourtant, ils pondent ici un chef-d’œuvre. Il faut dire que le groupe a déjà à l’époque quelques morceaux et des années de carrière dans sa besace.
Au milieu de l’album, une sorte de pause, cette petite comptine, Underneath The Weeping Willow. Dépourvue d’ironie mais aussi de la lourdeur qui peut découler de ce genre d’univers, Grandaddy livre ici l’hymne à la nature parfait. Deux minutes et quarante secondes d’une rare délicatesse. Sur un motif de petites notes de synthés agissant comme le clipotis d’une petite pluie dans un lac, un piano égrène une mélodie délicate sur laquelle le murmure de Jason Lytle nous parvient à l’oreille et nous livre un texte d’à peine huit lignes. Mais a-t-on besoin de plus ?
I want to sleepUnderneath the weeping willowAs it cries all night quietlyIts tears all around meI’ll sleep there so soundlyUntil I’m allowed finallyTo wake and be happy againTo wake and be happy again
(Je veux dormir / Au pied du saule-pleureur / Alors qu’il pleure doucement toute la nuit / Ses larmes tout autour de moi / Je dors là si profondément / Jusqu’à ce que je puisse enfin / Me réveiller et être de nouveau heureux / Me réveiller et être de nouveau heureux).
Le saule-pleureur, dont les feuilles tombent autour de lui, fait office de catharsis pour tous les petits malheurs accumulés. Et cet endroit qu’on soupçonne être une petite prairie en bord de rivière, probablement proche de Modesto (la ville du groupe, en Californie), pourrait être un petit coin dans la tête, où l’on pourrait se réfugier. Au-delà de la célébration du pouvoir ressourçant de la nature, c’est une métaphore quasi-métaphysique, en tout cas pleine d’introspection psychologique que nous livre Jason. Pas vraiment une recette du bonheur, plutôt un remède pour échapper à la folie et au doute, pour avancer tout simplement : "To Wake And Be Happy Again". Cette phrase est même répétée deux fois, comme si Jason voulait se convaincre lui-même que maintenant ça va mieux, qu’il peut continuer à vivre, qu’il peut retourner affronter le fracas de la ville.
Il est amusant de constater que le morceau apparaît à la mi-temps de l’album, avec un rôle de pause, de repos. Comme si les émotions accumulées dans la première partie du disque devait être digérées pour lui permettre de tenir la distance. C’est un peu aussi comme si Jason Lytle donnait trop de lui à chaque morceau et qu’il avait besoin de ce calme pour rester sain d’esprit (et c’est probablement vrai). Ce n’est pas pour rien que le son du groupe fait souvent penser à celui de Sparklehorse, dont le leader Mark Linkous est réputé pour être un amoureux de la nature mais aussi un adepte des séjours à l’hôpital psychiatrique.
Baba-cool ? Peut-être. Mais des babas-cool de notre époque, où l’espoir a été remplacé par l’angoisse et l’amour des ses semblables par le replis sur soi-même. Mais où la nature est toujours aussi belle.
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