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Vulgar Display Of Power

Vulgar Display Of Power

Pantera

par Antoine Verley le 26 avril 2010

Sorti le 25 février 1992 (Atco)

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Paradoxalement, la décennie qui vit l’envol du metal sous les auspices paternels de Slayer et Metallica portait également en elle les germes de sa balkanisation future. Car le Brutal a, avant la fin des eighties, explosé en une myriade de courants bien distincts, sans aucun fédérateur classieux. Crise identitaire ? Sans doute : de coïts vaseux (fusion) en masturbations intellos peu seyantes (indus, math rock fœtal, avant-garde en gestation, etc.), le metal, conscient de la finitude de sa formule originelle, cherche désespérément à muter... Et ce uniquement quand il ne plonge pas sa touffe peroxydée la première dans une débauche sonore (Death), un hédonisme ringard (Hair Metal), voire un satanisme / sadomasochisme matriciel d’abominables méprises trans-séculaires : à ce qu’on dit en ville, une poignée de bozos enfumés tient encore, en 2010, les mots « gothique » et « metal » pour synonymes ! Si, si ! C’est dire l’étendue du bordel. Pour ne rien gâcher, même les « classiques » lovés dans la jadis rassembleuse épopée Slayero-Metallicienne comme dans le giron d’une mère ne tarderont pas à en jaillir, expulsés en décubitus par une crasse désillusion (indéfectible chute pour des Four Horsemen cognés au sommet, locked groove créatif dès la quarantième minute de Reign In Blood pour le gang d’Araya). Bref, déjà, lorsque les années 90 déboulent, plus personne en qui croire.

On reste évidemment aux Etats-Unis, la pop music faisant fi de la Special Relationship britoricaine, et abolissant toute vision synoptique des civilisations : on continue ainsi à voir les deux peuples (Europe & USA) indépendamment. Ainsi, ces béotiens du Nouveau Monde n’ont jamais, les pauvres fous, entendu parler de « Britpop », et encore moins de « Madchester ». Là-bas, c’est l’épiphénoménale « alternative nation », faisant vivre aux non-cités un rêve en forme de Lollapalooza, de Converse lacérées et de révolte bubblegum au profit de l’envers du décor, une MTV en col blanc. Trop cool.

Tout cela semble bien loin, en 1981, pour une bande de jeunes rednecks embourbés dans un glam metal plutôt embarrassant ; ils se taillent alors une réputation dans d’obscurs bouges d’Arlington (Texas) avec une poignée d’albums et de reprises de leurs idoles… Kiss et Van Halen. Aïe. Heureusement, l’épiphanie leur parviendra quelques années plus tard sous une forme plus qu’originale : des LPs purificateurs.

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Les Big Four Of Thrash Metal (En français, Gros Quatre du Métal Rossant)

Anthrax (Among The Living), Megadeth (Peace Sells… But Who’s Buying ?), Metallica (Kill ’em All) et Slayer (Reign In Blood) : quatre évangélistes pour une rédemption aux effluves de grande claque. L’ancien chanteur éjecté ("On ne veut plus de cette espèce de tarlouze au chant maintenant qu’on fait du gros power metal de tarés", a probablement dit quelqu’un, un jour), on dégotte un grand gaillard sorti de nulle part (La Nouvelle-Orléans, friche métallurgique s’il en est) pour le remplacer.

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Un seul mot, et Anselmo te sert un verre.

Le métrosexuel toxicomane en question, répondant de son bel organe jackdanielisé au blaze de Phil Anselmo, carbure à Judas Priest, au Sab’, à Slayer, aux Smiths (cherchez l’intrus !), et à une liste de substances longue comme son bras criblé d’intraveineuses. Moins enclin à sodomiser les mouches que les groupies, l’habile junkie moustachu est accueilli à bras ouverts par un groupe persuadé d’avoir trouvé un nouvel Hetfield, et fait l’essai, dès l’année suivante (1988), de concilier la parure glam du groupe avec son nouveau style musical –encore mal maîtrisé- sur le bien nommé Power Metal : peine perdue. Excès d’enthousiasme de la part d’un groupe qui se contente alors d’un pastiche bien médiocre des Big Four of Thrash Metal. Réunion de crise, et là, changement capital : "Fuck les paillettes et commençons à hurler comme des tarés" devient le nouveau mot d’ordre du groupe, qui assume désormais sa beauferie texane avec une plaisante décontraction. Dont acte : Anselmo torse nu, crâne rasé, les autres en baggy et glabres comme un jardin à la française... Le Pantera 2.0 semble sur les rails ; le sympathique Cowboys From Hell (1990) fait la farce, et développe le groupe à l’export. Une poignée de tubes (Cowboys From Hell, Cemetery Gates, The Art Of Shredding) y fait montre d’un certain potentiel, tant au niveau du songwriting que de l’insolence technique du guitariste poilu, pote de Kerry King (Slayer), qui ne se nomme encore que Darrell Abbott.

Sur quelques scènes du monde, le groupe se fait les dents (dents qui, d’ailleurs, rayent alors le parquet : héritage Metallicien !), et l’on découvre une alchimie passionnante du duo de tête. Outre un antagonisme capillaire (grand pas dans la nouvelle fédération du metal : réconcilier skins skalpés et shreddeurs shevelus !), les deux leaders sont complémentaires. La voix puissante (allez, "gueulante") d’Anselmo et le son fluide d’Abbott se mélangent en une espèce de magma sonore réjouissant les esgourdes des headbangers du monde entier ; déjà, l’on commence à remarquer la rythmique impeccable de l’axe Rex Brown (basse) / Vinnie Paul (batterie). Pour la première fois dans son histoire, Pantera est "attendu au tournant" par fans et critiques...

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Panthère, félidé en voie de disparition en hommage auquel le groupe s’est nommé

Nous revoilà donc au début de notre histoire, en 1992 : fort du succès de Cowboys From Hell, le groupe décide de taper fort, et de livrer un album –à l’image de sa pochette- sanglant, violent, sans la moindre concession, comme savaient le faire les Four Horsemen avant le Black Album. Anselmo donne le La, un La puissant et éraillé qui fera trembler d’angoisse bien des frêles ingés son bataillant tant bien que mal contre une saturation latente (qu’on sent presque poindre à chaque "Fucking Hostiiile" beuglé dans le bijou post-Thrash du même nom). Le chant de Phil a de quoi étonner : systématiquement hurlé sur un ton éraillé, il semble pourtant vecteur d’une rage… Contenue. Comme un Henry Rollins bridé (faute de micros résistants ?). A cet égard, et moult autres d’ailleurs, il doit beaucoup à James Heltfield : entre autres, cette propension à ajouter le suffixe "-ar" en fin de vers : "Speak the truth about me-arrrr !", comme une taloche en suit une autre. Et on cible, car il faut bien quelqu’un à frapper : ici, la police inefficace (Fucking Hostile) :

The truth in right and wrong
The boundaries of the law
You seem to miss the point
Arresting for a joint ?
You seem to wonder why
Hundreds of people die
You’re writing tickets man
My mom got jumped — they ran !
Now I’ll play a public servant

Là, les minets, tantouzes et autres gars des beaux quartiers (Regular People) :

I’ve trampled on that road
That you think you own
You have that "smart ass" attitude
It’s time to stop the fiction
 
I live it every day
While you’re mind’s far away
I’m out here putting pride on the line
And you case on me with pure respect
One chance at one thing
Hard time is coming
My time, your pain
I reign on you

Et une verve aussi casse-gueule (c’est le mot !) fait mal, très mal, comme dans un Kill ’em All en couleurs criardes, fourni d’une ambiance réellement malsaine. On se croirait propulsés… Sur la pochette même !

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Southern Metal ? Pourquoi pas !

Passons au cas de Diamond "Dimebag" Darrell, à présent (le guitariste ayant été affublé du cognomen clinquant durant les VDOP Sessions). Son jeu ? Un patchwork de ce que plusieurs générations de guitaristes ont bâti. Il allie, pour ses riffs rampants, les accordages graves de Tony Iommi et la simplicité de quelques powerchords Townshendiens ; pour les soli, un shred ultracalculé qui tutoie Dave Murray (Maiden) dans son juste dosage quasi-mélodieux, un picking Thrash, une énorme palanquée d’effets piqués à Zakk Wylde (Trills intempestifs, harmoniques artificielles, vibratos, trémolos, etc), mais aussi une pleine louche d’indus vicelard : Sur No Good, le groove rampant mitonné par Brown et Paul est entrecoupé d’accords hachés, d’une froideur industrielle que tous les Slipknot du monde distillent souvent, dans leurs rêves les plus fous… Niveau influences, l’on peut chercher bien plus loin : un double-riff funky sur Regular People, un solo bluesy presque incongru au cœur de la militaire Walk.

Rhâaa, ce son horizontal (oui !) à se damner, fleuve mais néanmoins compact… Aucun larsen qui ne dépasse, on a presque réédité la perfection sonore des guitares Hetfieldiennes. On n’est pas loin de proclamer que chaque accord crié par les baffles (généralement de basses) de Darell mérite une gerbe de poutous humides sur sa dépouille mortelle. Mais l’animal ne s’arrête pas là : imposant et carré, il sait aussi se faire visqueux, se contorsionner, tordre le cou au son de sa gratte jusqu’à ce qu’elle plie et demande grâce ! Et pour cela, tous les moyens sont bons. Parce qu’une talkbox ne sert pas seulement à agrémenter les soli de sitar électrique de John Petrucci, jetez-vous sur le jouissif riff de Live In A Hole torturé à la vengeresse wah-wah, puis piétiné en pervers gargarismes batraciens !

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Ne pas se fier à son air de taureau des Grandes Plaines : en réalité, Vinnie Paul est un type très intelligent.

Mais la glorification de ce son à l’épreuve des ans ne saurait prétendre à l’exhaustivité sans l’évocation du boulot de Vinnie Paul. A ces caisses sèches et brèves tellement éloignées du son vieillot de Cowboys From Hell (exeunt grosse résonnante et claire claquante !), tu l’auras deviné, ami lecteur, l’aviné Vinnie a mis son grain de sel dans la production aux côtés de Terry Date. D’où les performances meurtrières de sa double pédale supersonique : ses dégringolades thrash, frappes nourries mais chirurgicales (Rise, Fucking Hostile, le Great Southern Trendkill à venir, mais « n’anticipons pas », dirait le Ménélas d’Offenbach), ses rythmes militaires (By Demons Be Driven), mais aussi et surtout ses breaks secs et sans appel, gifles sanguinolentes… Vraiment, le son nerveux des fûts de Vinnie l’ourson est au cœur de la dynamique panteréenne.

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Rex Brown, grooveur en série. Et vous pensiez qu’on allait l’oublier !

C’est cette recette qui fait mouche, appliquée sur des compos conséquentes. Preuve ? La monumentale ouverture Mouth For War. Un riff d’enfer balancé sur une rythmique démente (du AC/DC en accéléré ? Why not), la lourde basse de Brown louvoyant tel un hypogastre boudiné, Paul distribuant à la volée d’épiphoriques breaks de titane. Un gimmick malin que Sepultura n’aura pas oublié au moment de décocher le groove balourd de Roots Bloody Roots. Que les boutonneux entomologistes du brütal nous laissent employer le terme Power Metal (Groove Metal, Grunge Thrash, US Power… laissons ces risibles guerres de chapelle au placard) pour qualifier cette glorieuse sortie !

Où en étions-nous… Ah oui, les ballades, à présent. Passage obligé, "déesse à laquelle, depuis Stairway To Heaven, tous les hard-rockers se sentent obligés de sacrifier au moins une fois" (même Lemmy se la joue Scorpions !), constata François Ducray. Elles sont ici au nombre de deux, This Love et Hollow. Si la première possède une intro claire et sinueuse à la Enter Sandman et vire heavy en quelques minutes (non, ils ne peuvent pas s’en empêcher…), la deuxième, en clôture d’album, s’engonce dans les pires clichés du genre. Plaisant embryon d’aperçu du genre d’horreurs dont un biberonnage au hard FM peut enfanter. Brrrr…

Un vulgaire étalage de puissance ? Oui, cet album dégage bien une certaine rage, mais carrée, calculée, voire presque limitée, bridée, contenue –à l’image des staccatos reptiliens sur le riff de A New Level… Un coup de poing, tiens ! Jamais trop de bruit (Machine Head ? Vous ici, quelle surprise !). Des embardées vicieuses, puis rapides et percutantes, explosant ponctuellement dans ta face, comme la droite sur la pochette de l’opus. Paf. On fout la merde, on s’éclate, une lampée de whisky et une bouffée de weed, le lounge-core de Snot est à deux pas ! Du bruit de blancs (foin de percus précolombiennes à la Sepultura !) pour branleurs beaufs en baggy. C’est le metal, mes chéris. Ainsi, si les Big Four en étaient les évangélistes, Vulgar Display of Power est un condensé d’Epîtres : les récits de la naissance d’une nouvelle Eglise de fonte.

C’est ce qui en fait une œuvre capitale : par un habile lifting burné du metal, elle le sauve de la déshérence, le consacrant à nouveau comme un genre musical à part entière ; elle permet, pour la frange métallique de la X-Gen, la fédération autour d’une icône punchy bien moins poussiéreuse que des richards friscains mal dégrossis. Quoi d’étonnant si Enter Sandman se voit coiffer sur le poteau du Billboard par un Mouth For War sorti de nulle part ? (Presque) comme les années 80 avaient eu Ride The Lightning, la jeunesse déboussolée, au croisement de deux ères, se prend comme si de rien une grosse mandale en pleine tronche, par une bête que l’on croyait morte et enterrée : le metal. Ainsi donc, peu importe si l’exploit ne sera pas réédité par Pantera (Far Beyond Driven en demi-teinte, Great Southern Trendkill inégal, le reste plus que dispensable), et si Dimebag est abattu : "Il repoussera par les racines, car elles sont nombreuses et profondes". Une fois encore, Toussaint Louverture a prouvé que ses pensées s’adaptaient à n’importe quel contexte : et l’album de s’enraciner, jusqu’à déteindre sans le savoir sur la quasi-totalité des manifestes à venir (Roots de Sepultura, Toxicity de System Of A Down, Destroy Erase Improve de Meshuggah, Blood Mountain de Mastodon), et même éclabousser le trône du Maître (All Nightmare Long a du Fucking Hostile dans les veines). Comme aurait dit Jack Black en pareilles circonstances : You can’t kill the metal, Metal will live on !



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Tracklisting :
 
1. Mouth for War – 3:56
2. A New Level – 3:57
3. Walk – 5:15
4. Fucking Hostile – 2:49
5. This Love – 6:32
6. Rise – 4:36
7. No Good (Attack the Radical) – 4:50
8. Live in a Hole – 4:59
9. Regular People (Conceit) – 5:27
10. By Demons Be Driven – 4:39
11. Hollow – 5:45
 
Durée totale : 52’50"