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par Emmanuel Chirache le 22 janvier 2008
Paru en novembre 2007 (L’Association)
Que l’humanité est laide, sous la plume de Riad Sattouf ! Physiquement et moralement, au propre et au figuré. Nez épatés, profil aquilin, mâchoires édentées, visages déformés, piercings disgrâcieux, regard bovin, boutons éparses, voici la jeunesse selon Sattouf. Une galerie de monstres adolescents, qui n’épargne pas non plus les adultes. Bien sûr, il y a bien quelques bourgeois au faciès agréable, jolies filles et beaux gosses dont la hideur intérieure contraste encore plus violemment avec le physique. Dieu que l’humanité est laide.
Le pire, évidemment, ne réside pas dans cette incommensurable mocheté des protagonistes, qui participe malgré tout beaucoup au malaise général du livre. Le pire, ce sont ces tranches de vie, "vues et entendues" comme le précise l’auteur, saynètes publiées en feuilleton dans Charlie Hebdo et qui révèlent toute l’horreur d’une société moderne agressive, violente, intolérante, vulgaire, incapable de communiquer autrement qu’en borborygmes grossiers, insultes, cris et coups. A quelques exceptions près, le lecteur ne croise que deux catégories sociales : les classes populaires et la haute bourgeoisie, les uns et les autres inspirant un semblable dégoût absolu. Les premiers sont constitués de prolos sans foi ni loi, de lascars qui s’entre-tabassent, de teufeurs abrutis, de beaufs et autres ploucs maltraitant à l’envi leur progéniture, d’innocents enfants si bien élevés qu’on leur prédit hélas un bien triste destin. Les seconds voient défiler vieilles peaux refaites, musiciens prétentieux, bourges tête-à-claques, nymphettes écervelées, jeunes sarkozystes pathétiques. A cela, il faut ajouter une série de vignettes sur la communauté musulmane, pas toujours tendres.
Au rayon des pépites, évoquons l’histoire incroyable de cette jolie fille aperçue dans le TGV. Elle raconte à une amie qu’elle flashe sur son patron depuis des mois et lui fait des signes sans trop oser s’aventurer plus loin. Jusqu’au jour où celui-ci pénètre dans son bureau pour l’inviter à boire un verre. Le pot se transforme vite en escapade à l’hôtel. Une fois dans la chambre, l’homme lui demande de se déshabiller et de se mettre à quatre pattes sur le lit. Elle s’exécute, tandis que monsieur le directeur adjoint se masturbe face à elle, avant de jouir dans ses cheveux. Fin de l’anecdote... On retiendra aussi le tableau pathétique de cette mère et son fils à la plage. Pendant que la mère bronze topless, l’enfant joue aux ombres chinoises au-dessus d’elle en disant : "Maman, tu sais ce qui est joli ? tu sais ? hé ben c’est toi. C’est toi qu’es jolie. T’es plus belle que le ciel, plus belle que le bleu du ciel, plus belle que tout, les vagues, les nuages..." La mère se relève alors en hurlant : "Rha, mais arrête avec ta main, tu caches le soleil, rhaaa !"
Autre morceau de bravoure, le dialogue entre une jeune fille et un producteur de pornos dans un Pizza Hut ! La page se termine sur l’homme entr’ouvrant son chemisier pour jauger ses tétons. Le lecteur s’amusera aussi à lire la mini-saga de Farid le taxi, qui tente de reconvertir à l’Islam Riad Sattouf, athée convaincu d’origine musulmane. Le chauffeur invoque pour le convaincre la rumeur bidon de la conversion de Cousteau à l’Islam et tente de lui faire écouter le CD du Coran. Plus loin, c’est l’intégrisme musulman qui est mis à rude épreuve par Sattouf, d’une façon habilement dialectique. Par le biais du débat sur les caricatures du prophète, Sattouf démonte l’absurde logique de ceux qui veulent interdire ces représentations impies. Une fille voilée s’énerve : "Non mais c’est pas la peine, vous pouvez dire tout ce que vous voulez, y a pas débat, y a pas débat, c’est tout, c’est tout, c’est l’prophète, y a zéro débat possible, stop ! stop ! faut interdire !" Plus loin, une autre reproduit le discours de la domination masculine : "Moi chuis pas égale à un homme, vous voyez c’que j’veux dire. Un homme, il est supérieur quoi. Vous comprenez ? c’est comme ça." C’est finalement un musulman favorable aux caricatures qui parvient à soutirer l’approbation d’une jeune fille : "Nous, les musulmans, on doit accepter la critique et la moquerie, comme les chrétiens l’ont fait, passque ça fait progresser. Dans la vie y a pas que les choses qui font plaisir qui font avancer, les choses désagréables aussi, ça fait avancer. Vous êtes pas d’accord ?".
Dernier exemple, cet épisode révoltant qui relate la discussion entre le videur d’une boîte de nuit sarkozyste et un fils à papa de la jeunesse dorée parisienne, le soir de la victoire du nouveau président. Le videur demande à un groupe de jeunes gens d’aller faire la queue à l’entrée du nightclub lorsque soudain : "Si tu as quelque chose à dire, tu le dis à moi ! enculé ! Tu veux que je l’répète ? ENCULÉ ! Ose m’étaler d’une droite ! ose-le je te le demande ! J’ai 19 ans et je te demande de m’étaler d’une droite !" Le vigile réplique en s’éloignant : "P’tite pute... attends six heures et je m’occupe de toi." Le trou-du-cul repart de plus belle : "T’as peur ? Sans couilles ! Viens m’étaler ! T’as peur pour tes pauvres 1500 euros de videur ? Sale gauchiste !" Laide, laide, laide. L’humanité est laide, quand elle est croquée par Sattouf. Riches et pauvres s’y rejoignent dans le gouffre béant de la connerie. Ne subsiste de ce terrible portrait qu’une seule catégorie sociale : la classe moyenne. Oui, La Vie Secrète Des Jeunes est un éloge de la classe moyenne, de la petite bourgeoisie éclairée, modeste, polie, laborieuse, pleine de bon sens. On en fait partie, alors on ne va pas se plaindre.
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