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Coming From Reality

Coming From Reality

Sixto Rodriguez

par Emmanuel Chirache le 26 mai 2009

4

Paru en novembre 1971 (Sussex Records), réédité en mai 2009 (Light In The Attic)

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Il y a des labels qui méritent plein de bisous. C’est le cas de Light In The Attic, lequel s’évertue depuis quelques années à rééditer des chefs-d’œuvre méconnus avec une classe intersidérale. Coup sur coup, ces gens plein de bon goût nous ont offert sur un plateau les premiers disques de la tigresse soul Betty Davis, Black Monk Time des Monks, Cold Fact et enfin Coming From Reality de Sixto Rodriguez. Pour tout cela messieurs, merci. Car il ne s’agit pas de réédition à la petite semaine, mais plutôt d’un travail gargantuesque de revalorisation. Non content de nous faire découvrir de pures merveilles, Light In The Attic y apporte un soin et un souci du détail délectables. On dit souvent que le CD n’est pas un bel objet, contrairement au vinyle, et on a souvent raison de le dire. Mais il existe des exceptions, j’en veux pour preuve les magnifiques packagings du label ainsi que leur livret toujours admirable contenant paroles, texte pertinent et photos rares.

Aujourd’hui, nous bavons d’admiration devant la sortie du second album de Sixto Rodriguez paru en 1971. Originaire de Detroit, Sixto Rodriguez est un immense chanteur et compositeur folk passé quasiment inaperçu à l’époque mais redécouvert au fil du temps par des spécialistes du genre, voire des pays entiers (l’Afrique du sud, la Nouvelle-Zélande et l’Australie le vénèrent). Son premier opus, Cold Fact, est une pure merveille à côté de laquelle il est criminel de passer. Flop absolu au box-office, le 33 tours aura tout de même une suite : Coming From Reality. Oui, c’est vrai, Rodriguez "vient de la réalité", à l’inverse de beaucoup de ses camarades showbiz qui viennent du pays des bisounours. Sixto, lui, a connu les rues sales, les chaussettes trouées, les clubs pourris, la galère financière et peut-être même la 8.6 (la bière, pas le tie break entre Nadal et Federer). Tout ça, et plus encore, il le chante en rimes et accords parfaits. On aurait pu croire à de la chance pour le premier coup. Mais cette suite confirme tout le talent du chanteur.

Loin d’être une simple redite de son prédécesseur, Coming From Reality emprunte de nouvelles voies, en partie grâce à son nouveau producteur : Steve Rowland. Fan compulsif de Rodriguez, celui qui produisit les Pretty Things fit des pieds et des mains pour convaincre Clarence Avant, directeur de Sussex Records, d’envoyer son protégé à Londres afin d’enregistrer son nouveau 33 tours. En attendant que Rodriguez veuille bien pointer le bout de son nez, le producteur engage alors des musiciens de session épatants tels que Chris Spedding (Jack Bruce, Harry Nilsson) à la guitare, Tony Carr (Donovan) à la batterie ou encore Phil Dennys (Colin Blunstone) aux claviers. Une fois sur place, Sixto promène un peu sa superbe tignasse noir de jais et ses lunettes de la même couleur dans la ville, sans jamais pour autant arriver ne serait-ce que dix minutes en retard à une séance d’enregistrement ni errer dans les nightclubs toute la soirée. Au lumières londoniennes, il préfère l’obscurité de son foyer et les petits plats de sa compagne.

Concentration, rigueur, professionnalisme. L’enregistrement se déroule à l’anglaise, ce qui signifie à cette époque qu’on ne saurait faire mieux ailleurs dans le monde. Dès Climb Up On My Music, le chanteur nous invite de la plus belle des manières dans son univers. Les motifs de la guitare électrique s’entrecroisent merveilleusement avec la rythmique funky de l’acoustique, tandis que le clavier de Phil Dennys roucoule. Avec A Most Disgusting Song, Rodriguez retrouve un peu la veine purement folk de Cold Fact. Déclamant son texte par dessus quelques accords simples, il évoque l’atmosphère enfumée des clubs dans lesquels il a joués et la faune qu’on y aperçoit, semblable en tout lieu.

And every night it’s going to be the same old thing
Getting high, getting drunk, getting horny

Alors que la production de Coffey et Theodore avaient conservé sur Cold Fact les aspects les plus rugueux de la personnalité de Rodriguez, Steve Rowland et son équipe agissent plutôt comme des tailleurs de gemme qui polissent un diamant pur. En joaillerie, il est fortement recommandé de polir un diamant à l’aide d’un autre. En musique aussi. Il faut donc louer les brillants arrangements que Rowland a imaginés pour les compositions brutes mais mates du guitariste. Dès I Think Of You, les lignes de guitare un brin flamenco font ressortir la mélodie, tout comme les percussions et les violons mettent en lumière la beauté d’un titre magique tel que Sandrevan Lullaby-Lifestyles. Sur To Whom It May Concern, c’est le piano qui apporte sa touche indispensable. Que dire enfin de la section de cordes resplendissantes de Cause, le point d’orgue de Coming From Reality ? Dans la plus pure tradition britannique de la pop orchestrale (Beatles, Stones, Pretty Things, Jethro Tull, en ont tâté), les arrangements ponctuent chaque fin de phrase en virgule ou point final ; pareils à une nuée d’oiseaux, les violons suspendent leur vol, s’engouffrent dans un courant aérien pour s’élever, puis redescendent, planent et disparaissent. Ça n’a pas pris une ride depuis trente-huit ans. C’est fabuleux.

A l’écoute de l’album, l’échec commercial de Sixto Rodriguez paraît incompréhensible, même si l’homme a souvent refusé de jouer le jeu du marketing et de la promo, davantage intéressé par la politique locale de sa ville - Rodriguez a postulé pour diverses élections, conseiller municipal, maire, sénateur. Indéniablement, le compositeur montre ici qu’il possède un don pour tourner les airs et les rimes, que ce soit encore sur le très rock Heikki’s Suburbia Bus Tour ou Silver Words ?, ainsi qu’avec deux bonustracks excellentes : Can’t Get Away et ses allures de Donovan (la flûte sans doute, mais aussi la mélodie), et Street Boy. Cette dernière a tous les atouts d’un véritable tube (apprentis rockers, jetez-vous dessus et reprenez-la, vous cartonnerez), tempo tranquille, paroles intelligentes (équivalent hippie du "laisse pas traîner ton fils si tu veux pas qu’il glisse" ènetéhémien) [1], mélodie accrocheuse, solo acoustique à pleurer. Car c’est le dernier et non moins important enseignement de Coming From Reality : partout, la guitare folk de Rodriguez susurre à celui qui tend l’oreille des mots d’amour. Sans vouloir succomber au cliché beauf qui voudrait qu’une guitare c’est comme une femme etc., force est de reconnaître qu’entre cet instrument et nous, c’est le coup de foudre assuré. « Hum, bonsoir... Vous habitez chez vos parents ? »



[1You go home but you can’t stay / Because something’s always pulling you away / Your fast hellos and quick goodbyes / You’re just a street boy / With the streetlights in your eyes / You better get yourself together / Look for something better

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Tracklisting :
 
1. Climb Up on My Music (4’43")
2. A Most Disgusting Song (4’43")
3. I Think of You (3’19")
4. Heikki’s Suburbia Bus Tour (3’15")
5. Silver Words (1’58")
6. Sandrevan Lullaby (6’31")
7. To Whom It May Concern (3’15")
8. It Started Out So Nice (3’46")
9. Halfway Up the Stairs (2’17")
10. Cause (5’27")
 
Bonus tracks :
 
11. Can’t Get Away (3’57")
12. Street Boy (3’47")
13. I’ll Slip Away (2’53")
 
Durée totale :’"

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