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par Emmanuel Chirache le 29 mars 2010
A paraître le 3 mai 2010 (Discograph)
C’est bizarre, quand on m’a remis ce disque entre les mains, j’ai tout de suite eu un bon pressentiment. Pas que la pochette soit splendide, non, même si le packaging présente un aspect intéressant. Difficile de savoir d’où venait cette impression : est-ce que, inconsciemment, je souhaitais juste très fort que ce disque ne s’avérât pas une énième daube française distribuée par les labels comme les échantillons de shampooing dans la rue ? C’est donc la peur au ventre que je mettais l’album dans l’ordinateur, et avec lui toute ma volonté de ne pas désespérer pour toujours du rock français. Mon ordinateur aussi devait frémir, lui qui a subi et enduré dizaines et dizaines de CD pathétiques, d’ersatz mal embouchés en pâles copies, de ratages complets en catastrophes intersidérales. Voilà ce que c’était le rock français, pour mon ordinateur (Célestin de son prénom). Bien sûr, confessons ici qu’il nous arrive de nous demander : « Est-ce que je n’aime pas ce groupe parce que je sais qu’ils sont français et que par conséquent ils ne m’apparaissent pas crédibles ? ou bien mon appréciation n’est-elle fondée que sur la musique ? Est-ce que si Phoenix était un groupe de Detroit je les jugerais différemment ? » Un peu comme quand vous assistez à une scène d’action dans Taxi, et que vous mesurez l’étendue qui la sépare d’une même scène chez John McTiernan. Et quand la télévision hexagonale plagie les feuilletons policiers américains, pourquoi est-ce que ça ne fonctionne jamais ? La France de l’apéro serait-elle réduite au mauvais pastiche ?
On pourrait craindre qu’il ne s’agit que de préjugés, pourtant l’évidence s’impose dès que le talent s’en mêle : Si la plupart des groupes français semblent nuls, c’est tout simplement parce qu’ils sont nuls. Les Inspector Cluzo, eux, sont un putain de bon groupe et ça saute aux yeux. Dès les premières secondes de l’instrumental TIC Theme, le riff le plus funky qu’on ait entendu depuis les Red Hot Chili Peppers assaille nos portugaises ensablées. Des gros cuivres puissants à la Earth Wind & Fire (façon générique de Téléfoot) et un clavinet viennent vite soutenir une guitare monstrueuse, à laquelle répond une batterie agressive. Boum ! l’entrée en matière des Inspector Cluzo fait boum. Le morceau suivant, French Bastards, reste sur cette lignée funk mais ajoute un refrain choral qui se reprend à tue-tête et qui sent déjà l’hymne à plein nez. Presque trop facile, ça. Heureusement, les Inspector Cluzo ont plus d’une corde à leur gratte et le Empathy Blues qui suit vient nous mettre une gifle définitive que Lino Ventura en personne n’aurait pas reniée. Au menu : entrée à la guitare acoustique un brin zeppelinienne, amuse-gueule en forme d’harmonica bluesy, plat principal composé d’un riff électrique démoniaque accompagné de son double refrain avec cuivres puis nappes de voix plus hautes. Au chant, sur les couplets ça vrille les tympans, ça jacte, ça éructe. Soudain, le morceau se permet un bridge qui revient sur l’acoustique, l’harmonica et les claviers de l’intro. Mon dieu, voilà qui est grand. Terrifiant de génie, de force et d’efficacité. C’est bien simple, depuis une semaine je n’écoute plus que Empathy Blues en boucle.
A peine a-t-on le temps de devenir "fan de Inspector Cluzo" sur facebook que le quatrième morceau retentit et nous dégoute. C’est encore aussi bien. Cette fois-ci, Terminator Is Black In His Back lorgne du côté du binaire à la AC/DC. Gros riff gras plus efficace qu’une liste de gauche un soir d’élection régionale, refrain crétin jouissif et idéal à scander en secouant la tête, falsettos à la Mick Jagger. Il y a même un final sympa. Pfff. Quatre chansons, quatre bombes, trois styles différents, des guitares acérées, des cuivres, du clavier, une batterie impressionnante, pas de basse (le site du groupe s’appelle fuckthebassplayer.com). Un duo, quoi. Oui, ces Landais sont un duo, qui appelle la comparaison avec les Black Keys ou Tenacious D. Brûlez vos disques de Phoenix dans la joie et l’allégresse mes amis, offrez vos Stuck In The Sound à un jeune sourd-muet. Ne regardez plus vos CD de Noir Désir avec nostalgie et amertume, n’attendez pas la reformation de Téléphone. Les Inspector Cluzo sont arrivés, vous n’aurez plus besoin de tout ça. Histoire d’enfoncer le clou, l’amusant Fuck Michael Jackson varie encore une fois la recette. Exercice obligé sur un titre pareil, le falsetto du chanteur nous promène à travers les sentiers de la musique noire, évoquant bien entendu Michael Jackson, mais surtout son mentor Stevie Wonder. Allez hop, on continue sans faiblir, Trader Forever envoie lui aussi du petit bois : toujours ce son de guitare hallucinant, ces riffs saignants, ces hurlements délectables qui donnent envie de se défouler comme jamais. En réalité, les chansons des Inspector Cluzo sont faites pour péter des câbles. Bouger dans tous les sens, mimer la guitare et la batterie, crier les paroles en yaourt.
Remarquablement autoproduit, le disque est une pure incarnation de l’éthique Do It Yourself : le chanteur/guitariste Malcom Lacrouts et le batteur/percussionniste Phil Jourdain réalisent tout eux-mêmes, avec l’aide d’un producteur, Stephan Kramer, et de quelques musiciens supplémentaires. A l’intérieur de la pochette, les paroles des morceaux sont écrites sur des fiches cartonnées, dont les excellentes illustrations ont été dessinées par un artiste taiwanais. Sans appartenir à la grande littérature rock, les textes se lisent avec un sourire complice. Qu’il s’agisse d’évoquer Terminator, de rendre un hommage ironique à Michael Jackson ou de lacérer du trader à gros riffs dans la cheutron, les Inspector Cluzo trouvent les mots pour nous séduire. Sur le super groovy Zombies DJ’s Killers, Lacrouts et Jourdain s’en prennent aux disc-jockeys dans des termes salvateurs : « DJ’s run computers... pretend spinning records... », ajoutant « It’s time to cut out their haircuts ». En guise de conclusion, la chanson se clôture sur un délectable "Fuck hype music !!!", écho plus actuel du "Disco sucks" d’antan. Pas de doute possible, ces deux Français prouvent donc en 2010 que la recette pour graver du bon rock n’a pas changé : faire du neuf avec du vieux. Oublier la "tendance", jouer la musique qu’on aimerait soi-même écouter.
On pourrait énumérer ainsi le reste du disque, depuis le fantastique Zombies DJ’s Killers jusqu’à l’excellent The Old Men en passant par He’s Not The Man, qui renoue avec la soul la plus enfiévrée. Seuls Giving His Opininion Is Not A Job, This Is A Right ressemble à du mauvais White Stripes et In Love With Lilian Thuram paraît un peu vain. Le reste impose d’ores et déjà une patte unique, fraîche et énergique. Un concentré d’influences incroyablement diverses, du rock le plus classique au hard rock le plus moderne, du blues au stoner, de la soul au funk (j’oubliais : il y a même du Soundgarden sur The French Bastards !). Pourtant, aucun sentiment désagréable de redite ou de déjà-vu ne vient corrompre l’écoute, au contraire. Voici l’album idéal pour ouvrir les années 2010 en grandes pompes. Grandes pompes dans le cul, cela va de soi.
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# Le 26 mars 2012 à 11:48, par Le Sourd qui n’est pas muet En réponse à : The French Bastards
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