Focus
Crise de croissance

Crise de croissance

par Milner le 5 septembre 2006

Décrépi le mouvement rock ? Pas si décrépi que ça, le vieux rock’n’roll si l’on en croit les différents magazines musicaux de la Terre qui, depuis cinq ans, nous parle d’un énième retour du rock. Un rock frais (The Strokes), toxico (The Libertines) et dansant (Franz Ferdinand) qui enchante les jeunes et horripile les moins jeunes. Ah bon, et pour quelle raison ? Simplement parce que pour nos aînés, c’était plus simple avant, il n’y avait que deux sortes de musiques : la bonne et la mauvaise. Tout le monde s’y retrouvait, et cela ne coûtait pas trop cher.

Diminuer la taille du texte Augmenter la taille du texte Imprimer l'article Envoyer l'article par mail

Aujourd’hui, pardonnez-moi l’expression, mais c’est le bordel. Hormis les monstres éclos il y a un peu plus de dix ans, tous ces messieurs-dames se bousculent aux portillons, prônant l’influence untel, le courant untel, la géniale synthèse entre, déclarations bien évidemment relayées par les médias, les maisons de disque, les labels et tant d’autres. Les petits génies sont taxés de vulgaires plagiaires, les plagiaires sont géniaux, le groupe dissous donne naissance à deux groupes-fils qui engendrent une petite famille (Babyshambles ?), on croirait voir ressurgir la dynastie des Rougon-Macquart passée au synthétiseur. Quand on apprend le tragique décès d’un « pauvre type qui meurt » (lequel bien sûr était un type pauvre), on voit en moins de temps qu’il ne faut pour avaler son café que sa discographie vient de tripler en deux ans, les journalistes s’entre-tuent courtoisement, les critiques exultent à son sujet, en témoigne la récente disparition d’Elliott Smith.

Pourtant, je dépasse à peine mon quart de siècle et ne suis pas foncièrement réactionnaire mais sans vouloir jouer les anciens combattants, j’éprouve un « ras-le-bol » de plusieurs choses : en premier lieu, du terrorisme de certaines radio et télévisions qui veulent imposer leurs goûts à tout le monde : on ne parle et ne passe que du pop-rock, R & B, hip hop ... Les amateurs d’autres musiques passent maintenant pour des demeurés. Ensuite, de la légèreté de certaines critiques envers la musique rock. En effet, le rock semble bien mal défendu face à l’envahissement des ondes par le R & B (vous savez, ce Rhythm & Blues qui se considère héritier des agissements de Stevie Wonder alors qu’il n’est que l’imagination de certains producteurs qui prennent un pied pas croyable à dénaturer les structures rythmiques et mélodiques) : ce n’est pas en rabâchant toujours la même chose, en faisant du ségrégationnisme, en oubliant volontairement certains groupes tant appréciés des connaisseurs (Tahiti 80, Echo & The Bunnymen, Supergrass, ...), en descendant littéralement des groupes démodés que l’on portait aux nues hier (Pearl Jam, Suede, Oasis par exemple), en pondant des articles vaporeux que l’on arrivera à persuader les nouvelles générations déjà si conformistes (à 16 ans !) que le rock est leur musique et non celle de leurs grands-parents.

Il suffit de jeter un coup d’œil dans le rétroviseur. Il y a de cela une trentaine d’années, le rock exprimait encore une révolte. Au-delà des fringues et des crinières qui choquaient et provoquaient la vieille génération médusée, c’était une époque bénie où le rock ne se contentait pas de penser dans la musique mais aussi dans les mots. Des idées y étaient véhiculées maladroitement parfois, mais elles étaient là. Le rock exprimait alors quelque chose de nouveau, le besoin d’affirmer qu’on était là et qu’il fallait faire avec. Maintenant, que reste-t-il ? Salement récupéré, le rock est par la même devenu inoffensif. Le fun de Franz Ferdinand est bien sympa, Radiohead accumule les perles et on se demande où vont s’arrêter les membres de Blur après Think Tank, mais il n’y a plus de propos digne de ce nom et c’est regrettable car cela confine le rock dans une musique musicienne, sans expression verbale digne de ce nom. Réduit à un produit de masse, sans relief, banalisé. Tout ceci manque de motivations. Pour reprendre une célèbre maxime de Bob Dylan, vous me direz que les temps changent et que le bon peuple étudiant ne s’intéresse plus ou très peu aux problèmes mondiaux. Du coup, on fait dans le gigantisme et dans le tiers-mondiste : Live 8, Solidays, Rock Against Bush. Vraiment sympathique mais trop peu original ou innovant pour ne pas les trouver fades et sans convictions. Finalement, en prenant le temps de la réflexion, la seule musique véhiculant un message de révolte, c’est le reggae. Et oui, bien au-dessus du mouvement punk. Mais, il en est où le reggae aujourd’hui ? Il tourne en rond, sclérosé dans sa formule, son rituel, ses us et coutumes. Entre temps, le peuple occidental s’est désolidarisé de la musique que prêchait Marley le prophète, ne se sentant plus trop concerné car, il faut dire que c’est un combat propre au peuple jamaïcain et un peu déphasé en Europe. Tant pis, la révolte est mort, vive le rock ! Le reggae est retourné vivre dans les marges, ces endroits où le rock se travaillait également avant sa pseudo-résurrection avec le nouveau millénaire.

Car, si le mouvement rock est désormais un quinquagénaire en bonne santé, avouons qu’il n’y a plus grand monde pour nous raconter tous ces groupes fabuleux, ces courants musicaux qui firent frémir les tympans lors de la première écoute, ces chansons impérissables, ces comportements de rebelles, les cheveux en bataille et les vêtement dépareillés. Ou alors, on tente d’imposer à la face du monde les artistes que l’on veut bien faire passer pour les seuls à vénérer absolument. Pour un Elvis Presley, The Beatles, Bob Dylan, David Bowie, The Sex Pistols, Dire Straits, Oasis, Franz Ferdinand, combien de Eddie Cochran, The Kinks, Tim Buckley, Steve Hillage, Buzzcocks, The Jesus And Mary Chain, Ocean Colour Scene et Hot Hot Heat ? Depuis longtemps, on le sait, c’est l’époque du consensus mou, la généralisation d’une certaine passivité et d’un laisser-aller parce qu’ « il faut vivre avec son temps ». Personne ne semble s’offusquer, par exemple, du son punk-funk qui emplit allégrement les spots de publicité et les longueurs d’ondes radiophoniques via les parvenus The Rakes et Razorlight. Ces mêmes gens savent-ils qu’il y a à peine une trentaine d’années, le mariage de ces deux styles étaient pour ainsi dire improbable ? Et que lorsqu’un groupe comme Gang Of Four a osé la chose, on se mit à les prendre pour des timbrés ? Surtout, il ne s’agit pas de nous faire croire que ça a explosé avec l’entrée dans le troisième millénaire, on pourrait le croire trop facilement.

Les modes se font et se défont, arrivent puis repartent de plus en plus rapidement ; la musique n’est qu’un éternel recommencement. Faut pas croire que ça somnole pour autant ; non, ça déménage sournoisement. Mais, ça a également l’inconvénient de reléguer le rôle de Franz Ferdinand dans la musique populaire à celui du cuisinier de Churchill dans sa carrière politique. Comme le disait si bien Kim Fowley : « Ils font tous ça, tous les grands rockers. Les lois sur les copyrights ne protègent que les mélodies, pas les accords, alors ... Tiens, Get Off Of My Cloud , c’est exactement Louie Louie à l’envers ». L’auditeur retombe ainsi plus ou moins sur les mêmes emprunts analogues, les mêmes chansons ou les mêmes airs de danse, et certains groupes enregistrent des disques, sinon médiocres, du moins simplement inutiles, pouvant faire penser à un feux d’artifice miteux pour un 14 juillet sous la pluie. Et au prix économique où sont les disques, ça se discute. Le rock a, au fil des ans, délaissé son côté macho pour assumer son homosexualité sans jamais renier sa féminité. Se sent-il prêt aujourd’hui à céder à une nouvelle tentation : celle de retourner à l’originalité et à la créativité ? Après tout, le rock ne devrait avoir qu’une seule hantise : que l’auditeur pique du nez pendant les morceaux.



Répondre à cet article

modération a priori

Attention, votre message n'apparaîtra qu'après avoir été relu et approuvé.

Qui êtes-vous ?
Ajoutez votre commentaire ici
  • Ce formulaire accepte les raccourcis SPIP [->url] {{gras}} {italique} <quote> <code> et le code HTML <q> <del> <ins>. Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

Suivre les commentaires : RSS 2.0 | Atom