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par Aurélien Noyer, Thibault le 12 janvier 2010
Tout avait pourtant bien commencé... En ce joyeux début des années 2000, les promesses pleuvaient de partout. Josh Homme invitait Dave Grohl pour ressusciter une certaine vision du rock, lourd, massif mais malin comme un fennec et tordu comme un couloir du Rancho de la Luna... et on pouvait head-banger sur A Song For The Dead sans avoir peur de passer pour un fan de Limp Bizkit. Les Strokes nous rappelaient que l’adjectif "urbain" ne s’accompagnait pas forcément de "Métal" et qu’on pouvait avoir l’air déchiré ET cool... à condition d’avoir à la main autre chose qu’un pack de Koenigbier de chez Leader Price et autre chose aux pieds qu’une paire de Vans. Les Libertines, quant à eux, débarquaient en urgence sous le double patronage du Clash et des Smiths et on pouvait enfin écouter du rock briton sans penser immédiatement à la tronche de Liam beuglant Imaaaaddddjjjjjiiiiinèèèèèèèchuuuuuun.
Alors ouais... on y a cru. Forcément. On voulait y croire... Mais MGMT, putain. On avait pas signé pour ça. C’est quoi, tout ces fluo-kids qui s’éclatent sur des claviers moches à vous donner envie de vous crever les tympans... Même Casablancas s’y met. Y aurait-il quelque chose de pourri au royaume des années 2000 ? C’est quoi, ces miasmes eighties qui polluent la moitié de la production de cette fin de décennie ? Quelque chose a merdé en route... Forcément. Quelque chose a merdé.
Il n’y a qu’à voir à quoi ressemblent les quelques survivants de cette glorieuse époque. Des Libertines séparés en Dirty Pretty Things (« qui ça ? ») et en Babyshambles/Doherty solo/quelque-chose-impliquant-de-la-dope. Des Strokes de hiatus en albums dispensables (Room On Fire et First Impressions Of Earth) s’ébrouant dans des projets solos dont tout le monde se fout un peu. Des BRMC qui, après deux albums quasi-identiques, se sont cherchés à travers le néo-folk-autour-du-feu-de-camp de Howl, le classic-rock néo-putassier de Baby 81 et le néo-bruitisme de The Cause of 333 sans trouver grand chose. Des Hives dont la recette est devenue tellement éculée qu’elle n’amuse même plus Jean-Vic Chapus. Des Interpol dont il parait qu’ils vont faire un album orchestral (avec une reprise de Kiss Symphony : Alive IV [1] à la clé ?). De Jackie White qui euh... semble perdu en plein brainstorming permanent et multiplie les projets ("projet" étant un euphémisme pour « je bâcle un album et je ramasse la thune »). Ne reste que Josh Homme, qui présente un bilan excellent, presque jospinien, et vient même de s’offrir le luxe d’inviter Papy Jones et Papa Grohl pour d’inavouables sessions en plein désert.
Partant de ce constat on peut se demander pourquoi à l’origine nous est venu l’idée saugrenue de considérer tout cela comme un mouvement, ce fameux "nouveau rock des années 2000".
Pour comprendre un peu mieux ce qui a mené à un tel état de fait, il faut revenir à la fin des années 90, à cette époque honnie où le rock était soi-disant mort, où le néo-metal et l’electro triomphait. La clé du phénomène des années 2000 réside dans le paradoxe de la fin des années 1990, lorsqu’on proclamait la mort du rock alors que les Red Hot Chili Peppers remplissaient les stades, alors que le néo-metal faisait pogoter les kids, alors qu’Offspring faisait un carton absolu avec Americana, alors que les vétérans de la britpop (Oasis, Blur, Pulp) étaient sur le déclin mais prouvaient qu’ils avaient encore quelques cartouches, alors que Radiohead incarnait le nouveau Pink Floyd et pouvait tout se permettre après le succès public et critique de OK Computer. En fait, le réel problème du rock en cette fin des années 90, c’était qu’il n’y avait plus de "vagues", aucun de ces courants musicaux qui donnent des rêves humides aux critiques parce qu’ils leur font ressentir l’impression d’être au cœur d’un truc vraiment important. Entre cette obsession du "mouvement" et le snobisme pas forcément mérité envers le néo-metal et le punk californien, on comprend la posture qui consistait à déclarer, l’air cérémonieux, le décès du rock... à tel point que même la rock-critic, alliée fidèle de l’industrie musicale, commençait à ronchonner et à protester. Or n’importe quel élève en première ES vous le dira... lorsque vous êtes arrivé à obtenir les meilleures parts de marché pour un produit, ce dont vous avez le plus besoin, c’est d’un nouveau produit qui prendra la relève.
Malheureusement, pas de nouveau "Seattle Sound" ou de nouvelle britpop prêts à être découverts. Mais comme à chaque époque, existait une collection de groupes plus ou moins confidentiels, fascinés par les légendes du passés, ne rêvant que d’une chose : marcher dans les traces de héros nommés Televison, The Velvet Underground, Joy Division, The Clash ou The Smiths. Et peu importe que Last Nite, Time For Heroes, Whatever Happened to my Rock ’N’ Roll ou Obstacle 1 n’aient quasiment rien en commun. Contrairement aux précédents mouvements qui obéissaient à une certaine unité de lieu ou de style, celui-là se résumera au plus petit dénominateur commun, une fascination sans borne pour un passé révolu. Dès lors, le mot est lâché : revival.
En d’autres termes, on serait tenté de dire que Tonton Manoeuvre nous a fait l’inventaire de l’arrière boutique ; car la grande famille du rock à Wayfarer est autant constitué de vampires que les maisons de disques et du sang neuf dans le paysage musical fait vendre autant de disques que de magazines. Alors haro sur les mastodontes fatigués des annnées 90, place à la nouvelle vague... à grands coups de critiques dithyrambiques, de formules bien senties et de comparaisons élogieuses... en bref, de quoi faire croire aux kids qu’ils tiennent leur année 67 ou 77 ou 91 rien qu’à eux. Comme dirait Lester Bangs : « je ne veux pas céder aux théories si populaires et si faciles ces temps ci, du genre cycles de 10 ans Frank Sinatra - Elvis Presley - The Beatles - A qui le tour c’est le moment ? » Ajoutez les Pistols et Nirvana et vous obtenez le terreau idéal pour une génération avide de sa propre new big thing. Mais pour bien vendre le truc, il fallait une image de marque ; l’idée était d’unifier, d’une manière ou d’une autre, des groupes qui n’avaient rien à voir entre eux. Il fallait donc trouver le dénominateur commun ad hoc : la C-O-N-V-E-R-S-E. Autant portée par les Ramones, Elvis durant son service militaire, Kurt Cobain ou Julian Casablancas, ladite chaussure est le stimulus qui déclenche chez le fan lambda un sentiment d’admiration pour qui la porte. Ainsi, par ce truchement la Converse transcende les époques et les styles en un parfait symbole syncrétique d’authenticité rock. Dès lors peu importe que vous vous inspiriez du punk, du garage ou du psychédélisme, la Converse vous assure vos entrées dans le club très sélect’ des "néo-rockeurs". Vous ne nous croyez pas ? Pourtant Rock & Folk y a consacré tout un article.
C’est là toute la logique qui va dès lors prédominer. Même si les groupes mis en avant sont d’authentiques fans des gloires du passé, à tel point qu’on leur reprochera parfois cette sincérité dans l’admiration qui les pousse à trop imiter leurs idoles au détriment d’une plus grande créativité, l’image prendra le pas sur la musique et dans une sorte d’ironie toute post-moderne, ces groupes deviendront médiatiquement les égaux de leur modèles. Eux qui n’en demandaient sans doute pas tant se retrouvent élevés au rang de héros par le seul fait qu’ils portent les mêmes fringues ou utilisent les mêmes instruments (qui a dit Telecaster ?) que les Clash, les Stones, Lou Reed ou Joy Division. Jusque là, me direz-vous, il n’y a pas vraiment de problème. Les emballements médiatiques dans le rock, on en a connu et on en connaîtra encore. Mais ici, ça vire au ridicule... Qui écoute encore The Automatic, The Music (sans déc’ ?!), The Embrooks (album du mois de R&F, si si !!), The Rakes, We Are Scientists, El Presidente et cie ? Et à la rigueur, si les années 2000 n’étaient que les années de la hype, tout irait bien car le processus de sélection tourne à plein régime et on peut toujours espérer que Dieu reconnaisse les siens.
Par contre, le réel problème apparait très vite lorsque arrivent des groupes qui ont très bien compris le système et savent parfaitement jouer avec les codes référentiels nécessaires pour être instantanément crédible. Un effet particulièrement pervers de l’omniprésence des références au passé est une fragmentation permanente du rock, des distinctions à la limite de l’enculage de mouche sur l’appartenance d’un groupe à telle ou telle micro-chapelle. Et, si cet éclatement ne favorise pas les mélanges des genres et donc la créativité, il profite grandement aux marketeux et aux publicitaires de tout poil. Désormais pour cibler un public, il n’y a plus besoin de parler de musique, il suffit de faire claquer deux ou trois noms dans le dossier de presse. Ils seront repris allègrement dans chaque article sur votre groupe, vous assurant la sympathie (ou du moins la curiosité) des fans des références en question. En somme, vous avez un parfait plan marketing pour créer de toutes pièces une "scène". Si vous ne comprenez pas, adressez-vous à Peter et Steven, ils se feront une joie de vous expliquer.
Cette stratégie, les kids vont eux-mêmes se l’approprier en moins de temps qu’il ne faut pour créer une page MySpace. Prenez la page d’un groupe de potes quelconque (quelconque, dans tous les sens du terme), vous aurez un petit player audio avec trois ou quatre chansons et surtout une immense liste de références, dont la moitié ne se retrouve pas dans la musique du groupe. L’important est de se vendre et, pour cela, d’appartenir à une communauté, fut-elle parfaitement artificielle. Lenny Kaye, membre du Patti Smith Group et compilateur original des célèbres Nuggets, a déclaré « MySpace, c’est les Nuggets puissance mille ». Non seulement il y a du vrai dans cette phrase (c’est intrinsèquement l’ultime collection de futurs titres oubliés) mais elle pointe surtout un élément essentiel : le fameux retour du rock n’est en fait qu’une illusion créée par une myriade de groupes peu connus. À force d’avoir glorifié les perdants magnifiques, les héros inconnus et les saints oubliés, le rock des années 2000 est devenu une musique incapable de produire un groupe qui puisse remplir un stade. Même Muse, ultime rejeton des années 1990, y parvient alors que les Arctic Monkeys doivent se contenter d’un Zénith. On peut arguer du retour d’une certaine qualité musicale (encore que cela porte à discussion), mais sans véritable reconnaissance publique, comment peut-on vraiment parler de réel retour du rock ? Ce n’est pas parce qu’Iggy Pop va venir remuer sa queue chez Denisot que tout le monde va se mettre à écouter Fun House. En revanche, le nombre de fans des Stooges sur Facebook va tripler...
Et on pouvait trouver risible la philosophie de Rob, le héros de High Fidelity selon qui l’important n’est pas ce que vous êtes mais ce que vous écoutez. Mais que dire de celle où l’important n’est même plus ce que vous écoutez, mais ce que vous citez ? À partir du moment où le name-dropping prend le pas sur la musique, il y a naturellement un aplanissement des valeurs. Après tout, un nom en vaut bien un autre. C’est la base du post-modernisme dans le rock... mais là où le post-moderniste compétent va chercher à dialectiser le choc des références pour en extraire quelque chose, sinon de neuf, au moins de pertinent, le post-moderniste rock agite des noms comme des hochets et cela se ressent dans la musique : il n’est jamais question d’évoquer les influences autrement que pour elles-mêmes. La citation se suffit à elle-même sans la moindre recherche d’un par-delà musical. Ils ont beau citer Television, les Stooges, le Velvet, les Clash, s’en revendiquer les descendants et jouer les fiers-à-bras, la musique de Razorlight, des Kooks ou des Babyshambles traduit tout de même un désenchantement entretenu par leur propre vacuité. N’essayant même pas de dépasser leurs influences, ils sont incapables de produire une musique qui puisse leur donner cette ambition. Et s’il faut chercher une origine dans l’avènement de MGMT, elle se trouve là.
Face à un revival rock bandouillant péniblement, les kids vont se tourner naturellement vers la régression complètement décomplexée et complaisante de l’électro-rock. Si les Ting-Tings, Vampire Weekend ou Pony Pony Run Run ne sont pas moins désabusés que le Brian Jonestown Massacre face à leur aptitude à égaler leurs ainés, ils ont pris le parti de s’en foutre et de se fixer pour seul objectif de faire danser sur un beat cheap et racoleur. Mais dans un cas comme dans l’autre, le manque d’ambition se traduit immanquablement par une médiocrité artistique qu’une accumulation de cautions (le fameux "second degré", ou comment justifier le maniement de gimmicks crétins en prétendant que c’est de l’ironie... Bien sûr.) ne parvient plus à masquer. Et comme la formule se révèle bien plus commercialement viable, tout le monde s’y met, The Gossip, Yeah Yeah Yeahs et même Julian Casablancas abandonnant leurs velléités d’authenticité garage au profit de vulgaires synthés pouet-pouet.
Et pendant ce temps, du côté de l’underground, il y a... il y a... Peu importe, en fait... Le propre de l’underground, c’est de regrouper tout ce qui n’est pas culturellement pertinent à un moment donné, tout ce qui ne rentre pas dans le moule des tendances, tout ce qui a quitté la marge pour se retrouver carrément en dehors de la feuille, bref tout ce dont cet article ne traite pas. Et le fait que de temps à autre, des parties de l’underground remontent à la surface et rejoignent les courants dominants ne change rien au problème. Ainsi ce n’est pas parce que les Melvins sont en activité depuis 1982 qu’on peut dire que le grunge est né à ce moment-là. Aussi que dans les tréfonds de l’underground, il soit sorti un chef-d’œuvre tiré à 5 000 exemplaires chaque mois/semaine/jour, ce n’est pas ça qui aura rendu les années 2000 meilleures. Ça peut aider à supporter les extases médiatiques foireuses, mais ça ne représente rien à l’échelle d’une décennie.
Mainstream éhontément putassier et underground intrinsèquement insignifiant, que reste-t-il alors du rock début 2010 ? A vrai dire, pas grand-chose en termes musicaux... ne persiste que l’image, seule et triomphante, la représentation oblitérant l’acte. Comme le dit Debord, « dans le spectacle, une partie du monde se représente devant le monde, et lui est supérieure. » Le rock n’est plus qu’un accessoire de prêt-à-porter et le duo de Justice aurait bien tort de se priver d’en user à l’envi, avec leur mur de Marshall sur scène et leur reprise purement formelle de Master Of Puppets. Leur manager a beau déclarer cyniquement « maintenant, c’est complètement différent : bien sûr que la musique est en avant, mais le groupe également. La pochette de Justice, il n’y a pas le nom du groupe, pas le nom de l’album, il y a une putain de croix. On a joué avec des codes heavy metal. Xavier et Gaspard dans la rue, ce sont des rock stars », le succès montre qu’il a raison. Tout le monde veut être rock, mais plus personne ne veut ni en écouter ni en jouer. Et comme tout peut arriver, le mot de la fin reviendra à un gamin du courrier des lecteurs de Rock&Folk, beaucoup plus lucide qu’il ne le croit, « être rock en 2008, c’est être gaulé comme une crevette et avoir des boutons d’acné, tout en essayant de sauver les apparences avec un cuir sur les épaules. »
[1] l’album symphonique de Kiss
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