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par Emmanuel Chirache le 27 octobre 2011
De Lulu, nous savons déjà presque tout. Rarement un disque aura été autant crucifié avant même sa sortie, englobé dans une haine œcuméniste hallucinante. On aura ainsi lu, alors que seules avaient filtré quelques secondes de The View, un torrent de dégoût s’étaler sur Youtube et dans les forums dédiés à la collaboration tant honnie entre Metallica et Lou Reed, à tel point que même les fans les plus inconditionnels, prêts à défendre Load, Reload et St. Anger, trois album controversés, ont déclaré forfait. Comme on pouvait s’y attendre, un épisode de la "Chute d’Hitler" a également été consacré à cette association soi-disant contre-nature. La pochette non plus ne saurait trouver grâce aux yeux des fans, qui la jugent repoussante et auraient sans doute préféré un seyant cimetière semé de croix ou un cercueil scellé au fond d’une tombe. Dans ce flot de critiques, quelques esprits éclairés raniment l’épouvantail qui plane sur la tête des Four Horsemen depuis 1984 : ce sont bien entendu des vendus qui font du commercial ! Une accusation que les membres du groupe entendent tous les jours depuis vingt-cinq ans.
En général, les plus virulents envers l’album sont les metalleux, ceux qui aiment le Metallica thrasheur. Ceux-ci n’hésitent pas à dire combien Lulu les fait "gerber", terme qui revient presque partout. Ils reprochent au résultat d’être une sorte de jam brouillonne. Ils détestent Lou Reed et sa voix de canard enroué, adjurant Hetfield de refaire les voix à sa place. Ils sont parfois si incultes qu’ils vont jusqu’à pester contre le titre du disque ("quel nom à la con" lit-on sur un forum), alors que celui-ci n’est rien d’autre que la reprise du nom très célèbre de l’héroïne de la pièce de théâtre dont est tirée l’histoire. Écrite par Frank Wedekind sous le titre La Boîte de Pandore, elle sera adaptée à l’écran par Pabst dans le classique Loulou (1929), où le personnage est incarnée par la fascinante Louise Brooks. De là, naturellement, découleront aussi la fameuse publicité pour Cacharel et le mythique "Loulou ? oui, c’est moi".
Cependant, l’atmosphère feutrée qu’on associe à Loulou ne doit pas faire oublier qu’il s’agit avant tout d’une histoire aux relents délétères, pleine de vice et de trouble. C’est évidemment ce qui a séduit le chanteur de Venus In Furs. A l’origine pourtant, la collaboration avec Metallica devait prendre la forme de simples reprises d’anciens morceaux plus ou moins inédits de Lou par les musiciens. Puis, Reed se ravisa et proposa à Hetfield et sa bande le concept de Lulu : musique originale de Metallica et texte adapté de La Boîte de Pandore par Lou Reed. Lulu Reed et Mémé Tallica ensemble dans le même bateau. Plutôt la même galère, à en croire l’atroce réception critique de l’album. Ce n’est plus un risque artistique, ni une expérience humaine, c’est un suicide collectif.
Il reste néanmoins des poches de résistance, et en cherchant bien on trouve sur le net un bon nombre de personnes qui ont sereinement aimé Lulu. Les forums sur lesquels ils s’expriment prouvent qu’ils viennent moins du metal que d’autres horizons, indie, rock sixties, new wave... Alors sont-ce des déséquilibrés mentaux ? d’horribles snobs prêts à aimer la première curiosité venue ? Voilà qui mérite un ou deux mots. Peu importe tout d’abord de savoir si le texte de Lulu est génial ou grotesque, les adorateurs et contempteurs de l’artiste jugeront. La folie/poésie verbale de Reed est telle qu’elle clive irrémédiablement les auditeurs en deux camps séparé par un fossé d’incompréhension. Non, le problème est de savoir si le résultat est bel et bien "le pire disque de tous les temps" comme un blogueur fort équitable l’a écrit. Or, même si l’impartialité nous pousse à avouer l’étrangeté du projet, son aspect bancal et parfois horripilant, Lulu ne mérite pas les tombereaux d’insultes qui l’accablent.
Oui, la voix de Lou Reed n’a plus vingt ans. Son grain s’est salement abîmée et le ton est si monocorde qu’il en devient par instants exaspérant. Le gloubiboulga de spoken word du père Reed peut en effet tourner à la déclamation pédante ("Supreme violation, Supreme violation, Oh, ah, ah, ah Jack I beseech you"), mais au final autant s’en amuser. Ça ne manque d’ailleurs pas de sel d’entendre James Hetfield beugler dans The View "I’m the progress" puis "I am, I am, I AAAAAAAM", sorte de cogitum à la sauce Reed. Et quelle poilade quand Lou apostrophe le guitariste dans Pumping Blood : "Come on, James !" On n’est pas loin de l’infarctus dans la cabine d’enregistrement. On se moque, mais la musique, elle, n’est pas si mauvaise. Une fois passé le malaise qui suit la découverte d’une voix mal foutue parlant sur des riffs agressifs, l’écoute révèle quelques très bons moments. Si The View est trop longue, elle finit plutôt pas trop mal et ouvre bien sur Pumping Blood, qui trouve enfin le bon équilibre entre partenaires. L’excellente pause autour de 2’00 montre que l’association n’est pas si brouillonne et hasardeuse que ça. Les mots de Reed font surface avec davantage de relief, et tout au long du morceau, Hammett tient une note aiguë en bourdon, ce qui fonctionne très bien avec la montée en puissance du morceau.
En fait, ce qui guette l’album, c’est une forme de lassitude. A cause du phrasé du chanteur surtout, mais aussi par la faute de riffs paresseux, tels que ceux de Iced Honey ou Brandenburg Gate. La plupart des mélodies sont d’ailleurs volontairement cycliques, à l’image du répétitif Mistress Dread, bien que certaines chansons démontrent des qualités de structure non négligeables. Ainsi même la monotonie d’un Cheat On Me s’apprécie gentiment. Il faut bien concevoir qu’il s’agit d’un projet à vocation conceptuelle et pas d’un album classique de metal. Pour autant, deux ou trois titres vont bien au-delà du bœuf entre copains autour d’un thème marrant. C’est le cas de Frustration notamment, qui alterne les séquences avec brio, passant d’un riff furieux à des breaks nauséeux. Il y a aussi de bonnes choses sur Dragon (riff et solo plus que passables) et Junior Dad. On sent que les membres de Metallica se sont appliqués à traduire en musique la curieuse partition textuelle rédigée par Lou Reed. Ils ont mis du leur et l’exercice aura certainement été profitable pour la suite. Réponse définitive avec leur prochain authentique album.
Lou, lui, s’est d’abord investi dans l’écriture. Mais ses cordes vocales ont payé les décennies d’excès, ce qui explique peut-être l’absence de chant. Les deux parties, en tout cas, ont eu l’audace de travailler ensemble et d’aller jusqu’au bout. Fidèle à son habitude, Metallica a souhaité sortir de l’ornière metal, au risque de décevoir ses ouailles. Un fan lucide le remarque sur Youtube et déclare aux mécontents : "If you wanna hear the same shit album after album just hold tight for the next AC/DC release." On aura beau dire que ces stars du rock ont fanfaronné dans les médias en prétendant que Lulu est leur meilleur album, ce qui est une forme d’auto-défense relativement banale face aux attaques, elles ont malgré tout produit une musique sincère, capable d’émotions et de puissance. Rien qui puisse justifier les insultes du type : "the album sounds like a combination of constipation and diahhrea with a touch of herpes" (cf. Youtube). Les réactions virulentes des internautes donnent l’impression d’assister à la revanche de l’opinion publique sur le choix de l’artiste. Le jour viendra-t-il, où les groupes sonderont leurs fans afin de savoir quelle orientation le nouvel album doit prendre ? La curée anti-Lulu a pris des proportions telles que de fausses versions des chansons ont circulé sur le net, histoire de diffuser l’impression générale d’un disque minable et grotesque.
En définitive, Lulu dévoile bien mieux la personnalité de Metallica qu’un St. Anger ou un Reload. Il s’avère au fil du temps attachant, même si bourré de défauts qui de toutes façons parsèment déjà les dernières œuvres du groupe. Encenser Death Magnetic et cracher sur Lulu n’a aucun sens, tant ils forment les parties d’un tout ambivalent, fin de vie d’un groupe qui lorgne vers sa gloire passée mais se refuse à bégayer. Pour ça, Hetfield et Ulrich sont dignes de respect. La collaboration entre eux et Lou Reed restera dans l’histoire comme le premier disque à avoir subi un lynchage sur Internet, et c’est déjà pas mal. Voici dix autres bonnes raisons d’acheter le disque :
1. Pour faire chier les fans de Metallica, qui détestent ce gros con de Lou Reed.2. Pour faire chier les fans de Lou Reed, qui détestent ces gros cons de Metallica.3. Parce que merde, un plouc ricain comme Hetfield qui finit par réciter du théâtre allemand de la fin du XIXe, c’est beau.4. Parce que merde, Lou Reed qui crie "Come on, James !" comme s’ils avaient chassé toute leur vie ensemble, c’est beau.5. Parce que tout le monde déteste déjà l’album avant même de l’avoir écouté et que c’est donc une occasion à bon marché de ne pas être d’accord avec le monde entier.6. Parce que vous pourrez dire à vos amis : "Lulu ? oui, je l’ai."7. Parce qu’il vaudra un jour très cher, probablement autour de 500 euros sur ebay avec la mention "very rare experimental record from Metallica with some old guy singing weird lyrics".8. Parce que c’est toujours mieux qu’acheter St. Anger ou Metal Machine Music.9. Parce que ça vaut mieux qu’un disque de Slayer avec Iggy Pop.10. Parce que si vous ne savez pas pourquoi c’est un album génial, Lou Reed le sait.
Vos commentaires
# Le 27 octobre 2011 à 02:33, par Aurélien Noyer En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
Désolé, Manu, j’ai du mal à penser que quelques moments cocasses et une dizaine de minutes de musique correcte valent qu’on dépense 15€.
Et je trouve l’album d’autant plus raté que je ne considère pas que cette collaboration était inexorablement vouée à l’échec.
Et si on peut comprendre que Metallica (ou Lou Reed, d’ailleurs) ait envie de se renouveler après un pur album de fan-service (là, je parle de Metallica, bien sûr), ça ne change en rien l’avis que je me fais de l’album. Metallica et Lou Reed ont essayé un truc, ça a foiré. Ce n’est pas bien grave, ça ne mérite sans doute pas la bile qui a été déversée dessus, mais c’est tout de même foiré... surtout qu’on parle de Metallica et de Lou Reed, quand même, pas de 5 gamins qui viennent de découvrir les Fiery Furnaces et veulent faire de l’expérimental !
Et puis, au fait, tu l’as acheté, toi, l’album ? :-p
# Le 27 octobre 2011 à 09:25, par Emmanuel Chirache En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
J’ai essayé de prendre les choses avec un zest d’humour, je ne force personne à acheter l’album ! (qui n’est disponible que le 31 octobre).
Après, je maintiens qu’il y a plein de bons moments sur le disque, et à titre personnel je ne paierai pas non plus 15 euros pour The Hunter même si je le trouve sympa globalement, ni pour des tonnes de mauvais disques qui n’ont pas subi les assauts que Lulu a subis.
Je constate juste que les fans ont descendu en flammes une oeuvre avant même de l’avoir entendue, et ça me laisse perplexe.
# Le 27 octobre 2011 à 10:36, par Béatrice En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
Je pense pas grand chose de la musique en en elle-même, mais je peux pas m’empêcher de trouver ce concept comme un chef d’oeuvre d’humour absurde. Que ce soit intentionnel ou non, j’ai l’impression qu’il y a une bonne part de happening et clairement de provoc (maladroite peut-être) dans la façon dont le projet a été présenté, d’une certaine manière c’était aussi un gros fuck you ! destiné à provoqué un torrent de haine (de la part de Lou Reed c’est pas franchement étonnant). Par beaucoup d’aspects c’est juste la démarche habituelle de Lou Reed poussée à son paroxysme, rien de bien révolutionnaire dans le truc - sauf que Metallica joue le jeu, et ça c’est plus surprenant. Et comme souvent avec Lou Reed, j’arrive pas à décider si c’est un truc un peu à côté de la plaque parce que d’une grande sincérité et naïveté ("ouais on va faire ça ça va être trop trop trop bien et jmen fous de ce que les gens y pensent") ou un comble de cynisme ("tiens, on va faire ça, ça va être n’importe quoi, mais ça sera rigolo de regarder les abrutis qui n’y comprendront rien le décrier ou l’encenser")
Evidemment, j’attends avec impatience la réaction de Thibault.
# Le 27 octobre 2011 à 10:58, par Antoine Verley En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
Bah ma réaction à l’idée comme à l’album était peut-être démesurée, mais reste que je me suis grave fait chier, que c’était même pas drôle et que je le trouve indigne du groupe.
Après il m’a pas traumatisé, mais l’avantage c’est qu’il me permet d’apprécier Berlin ou St Anger à leur juste valeur.
# Le 27 octobre 2011 à 13:37, par Parano En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
# Le 4 novembre 2011 à 07:09, par HAmon En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
Excellent chronique, très précise, très étayée.
Voici la mienne :
Et bien finalement je me suis laissé séduire dès la première écoute de ce Lulu. Avant toute chose, je tiens à rappeler à ceux qui ne l’ont pas compris que ce n’est pas un nouvel album de Metallica, et qu’il ne faut donc pas le prendre comme tel. C’est une collaboration aux accents expérimentaux (mais pas tant que ça finalement lorsqu’on est habitué aux délires sonores de Mike Patton par exemple).
Les Mets n’ont rien à prouver et cet album est là pour le rappeler. Cette première écoute me donne envie d’y retourner et de m’imprégner de ces ambiances hypnotiques. Je comprends bien sûr ceux qui n’adhèrent pas. Il faut aimer le heavy, les ambiances mélancoliques et lancinantes pour apprécier, ce qui n’est pas au goût de tout le monde. A l’image de la sublime pochette, étrange et esthétique, attirante et effrayante à la fois (vous remarquerez le titre écrit au sang, clin d’oeil ou lien involontaire à la pochette du très controversé Load ?), le contenu est déroutant, et en particulier la voix de Lou Reed. Mais la puissance évocatrice des riffs de Metallica est là à chaque morceau et me fait taper du pied ou balancer la tête, invariablement, preuve que les titres font mouche. Quelques coups de coeur ? : La fin de Pumping Blood, qui prend aux tripes, la fin de Iced Honey, Little Dog, Dragon, Junior Dad… Pour chaque titre, il y a un temps de mise en place, puis le chant devient torturé, flippant et les riffs intenses. Il faudrait comprendre les paroles pour vraiment aller au bout des choses.
Le propre d’une oeuvre d’art est de diviser, c’est le cas de Lulu.
J’y retourne de ce pas !
# Le 7 novembre 2011 à 17:47, par Thibault En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
"C’est une collaboration aux accents expérimentaux (mais pas tant que ça finalement lorsqu’on est habitué aux délires sonores de Mike Patton par exemple). "
Han, je m’insurge d’une telle association :o
# Le 13 novembre 2011 à 22:12, par david G En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
# Le 3 décembre 2011 à 19:05, par marv En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
# Le 29 juin 2012 à 13:36, par collègue En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
juste pour égayer le propos :
http://rockart-titude.fr/index.php/chronik-cd/94-metallica-a-lou-reed
# Le 12 juillet 2017 à 21:33, par embize bruno En réponse à : 10 bonnes raisons d’acheter Lulu de Metallica et Lou Reed
Le Testament du Vieux Maitre, un album aussi étrange que fascinant, une leçon de contrepied (surtout de la part de Metallica) et puis..., et puis...sur ce disque il y a un morceau qui s’appelle "Junior Dad" d’une beauté déconcertante, morceau sublime et épuré tout en précision et en finesse et surtout les dix dernières minutes d’un morceau qui en dure vingt, ces dix dernières minutes sont d’une envolée lyrique étourdissante un vrai moment de musique pur, un rare moment de sérénité.
Merci à vous les Metalliqueux et à toi, Lou, le Vieux Maitre (pour toujours).
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