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par Frédéric Rieunier le 26 août 2008
Paru le 27 juillet 1984 (Megaforce/Elektra)
Avec son premier album, Kill’em All, Metallica avait frappé vite et fort. Pour son second opus, le quartet n’a pas cherché à reproduire la même formule. Non pas que Ride the Lightning manque de chansons rentre-dedans ou de riffs enragés. Mais il témoigne d’une attention accrue de la part du groupe à la qualité de la production et de la volonté de composer des morceaux sur un tempo parfois moins véloce que celui auquel il avait habitué ses fans. Et, surtout, il reflète l’ambition d’une formation qui ne veut pas se contenter de sortir un second disque en forme d’écho au premier. Pour Joel McIver, auteur d’une biographie du groupe [1], « cet album a hissé le thrash à un niveau de qualité comparable à celui de groupes de metal confirmés comme Iron Maiden ».
Les premières secondes de l’album suffisent à s’en convaincre. Fight Fire With Fire débute sur de délicates notes de guitare acoustique qui n’auraient pas détonné dans les appartements versaillais de Louis XIV. Mais dès que ces mesures s’achèvent, l’explosion sonore qui s’ensuit confirme à l’auditeur qu’il ne s’est pas trompé de disque. La voix de James Hetfield n’est pourtant plus la même. Alors qu’il hurlait systématiquement ses textes sur Kill’em All, le chanteur les interprète avec une rage plus contenue, mais certainement pas moins efficace.
Côté composition, la pochette crédite pour la dernière fois Dave Mustaine. Le guitariste - qui allait fonder Megadeth peu après - s’était fait virer par ses corelégionnaires et remplacer par Kirk Hammett, quelques mois avant la sortie de Kill’em All, en raison de son comportement imprévisible lorsqu’il se trouvait sous l’emprise d’un état alcoolique. Une condition physique que connaissaient bien les membres de Metallica (et qui leur valut le surnom de "Alcoholica", qu’ils portèrent d’ailleurs avec fierté), mais qui poussait Dave Mustaine à se montrer particulièrement irritant. Comme il le montra lors d’un concert dans un club où il subtilisa une pleine caisse de la meilleure bière de l’établissement, tout en cherchant à le cacher malgré la présence de nombreuses canettes vides dans sa loge.
Ce vice n’a pas empêché le guitariste de faire montre d’une technique impeccable et de contribuer à la composition de certains des meilleurs titres de Metallica. En l’occurrence Ride the Lighting - qui évoque les dernières heures d’un innocent dans le couloir de la mort - et The Call of Ktulu. Cet instrumental qui conclut l’album constitue certainement l’un des titres les plus intéressants du combo. La version jouée sur le live S&M lui valut d’ailleurs le Grammy Award de la meilleure performance rock instrumentale en 2001, preuve que le jury de cette cérémonie n’est pas toujours sourd. Inspiré par l’oeuvre de Howard Phillips Lovecraft, ce titre fait référence à la nouvelle éponyme signée par l’écrivain. Ô stupeur : les membres de Metallica savent lire !
Ils savent d’ailleurs même transposer en musique le climat sinistre qui domine l’oeuvre de départ... Le texte évoque des mythes anciens dans lesquels règne Cthulhu [2], fabuleux et gigantesque monstre humanoïde ailé à tête de pieuvre, qui inspirerait les rêves des humains. Le morceau, quant à lui, débute par une introduction à la guitare acoustique (oui, encore), qui semble d’abord mélancolique, avant de prendre une tournure franchement inquiétante. Basé sur une montée chromatique, il fait savamment monter la sauce à mesure que s’égrainent les secondes, jusqu’à un infernal solo de guitare et un final apocalyptique sur lequel se clôt l’album.
Ceux que la présence de cette référence littéraire aura étonnés risquent de hausser une nouvelle fois les sourcils en apprenant qu’elle n’est pas la seule. Les accords plaqués de For Whom the Bell Tolls résonnent comme un écho au roman d’Ernest Hemingway qui les a inspirés (Pour qui sonne le glas). Et la titanesque Creeping Death découle de la légende biblique des dix plaies d’Egypte, châtiments infligés par Dieu à la terre des pharaons, selon la tradition judéo-chrétienne. Lars Ulrich, James Hetfield, Kirk Hammett et Cliff Burton étaient-ils sur la voie de la reconversion : premiers de la classe catégorie metal ?
Le sérieux dont ils ont fait preuve durant l’enregistrement peut en tout cas le laisser croire. Pour cette session, les four horsemen avaient décidé de s’en remettre à la patrie de leur membre fondateur et batteur Lars Ulrich. Direction : le Danemark. Malgré les ventes honorables de leur premier album (environ 17 000 exemplaires en un an), la formation ne roulait pas sur l’or. Heureusement pour elle, une des pièces du studio d’enregistrement était inoccupée et leur permettait d’y dormir gratuitement... le jour. Dirigés par le producteur Flemming Rasmussen, les quatre musiciens ont passé leurs nuits à travailler sur Ride the Lightning. Comme le Danois l’explique dans l’ouvrage de Joel McIver, l’ambiance n’était pas à la débandade. Evoquant ses collègues de travail, il explique : « Tous les autres sortaient en boîte. Pas moi. Je déteste ça. La majorité des gens du studio pensaient que la musique de Metallica était la pire merde qu’ils aient jamais entendue mais moi, je l’adorais. » Cette répulsion envers le groupe trouve selon lui sa source dans le caractère trop novateur de sa musique. « Je suppose que pour l’époque, c’était vraiment trop radical et trop provocateur. A la radio, on n’entendait presque que de la pop : Duran Duran et toutes ces merdes à base de synthétiseurs. »
Ce professionnalisme a porté ses fruits. Non content d’être une réussite artistique, le disque a également été un succès commercial et a atteint la 100ème place des charts aux Etats-Unis et la 87ème en Grande-Bretagne. Un classement inattendu pour un album de thrash metal, au milieu des années 1980. Ce qui a permis au groupe de gagner en stature et de s’attirer l’intérêt du management de Def Leppard, Q-Prime [3]. Une équipe qui allait lui permettre d’explorer de nouveaux territoires où il serait question d’une nébuleuse, d’un messie lépreux et d’un mystérieux marionnettiste... Mais ceci est un autre album.
[1] Metallica - Que justice soit faite, de Joel McIver, Camion Blanc.
[2] Deux hypothèses peuvent expliquer la graphie détournée employée par Metallica. Selon la première, elle viserait à ne pas retranscrire tel quel le nom de la déité, car une telle évocation de la part d’un simple mortel signifierait l’appel de ce monstre. Plus prosaïque, la seconde voudrait que le groupe ait craint que ce nom soit protégé par le copyright.
[3] Hard Rock - Led Zeppelin, Deep Purple, Black Sabbath, AC/DC, Iron Maiden, Metallica... et les monstres du rock !, Christian Eudeline, Hors Collection.
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