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par Emmanuel Chirache le 1er mai 2007
Paru en mai 1983 (Megaforce/PolyGram)
Je me souviens de cet ami et voisin de classe comme si c’était hier : il avait en permanence l’haleine fétide des matins poussifs mêlée à celle des fins de journée passée sans boire ni manger. Et pourtant, je ne le remercierai jamais assez de m’avoir, un jour au collège, confié la K7 de Kill’em All de Metallica. C’était peu après le succès colossal de l’album noir, j’avais environ 12 ans et j’allais bientôt appartenir pour toujours à la meute de fans du plus grand groupe de metal du monde.
"Tuez-les tous !" dit Metallica, "Dieu reconnaîtra les siens" aurait volontiers ajouté Simon de Montfort, auteur apocryphe de cette fameuse phrase lancée lors du massacre des Cathares à Béziers. Parmi les groupes de metal, Dieu a bel et bien reconnu les siens : Metallica règne en maître dans le domaine dès son premier album.
Mais avant d’en venir à ma conversion quasi religieuse à la musique d’un grand Viking à moustaches, d’un petit tennisman danois, d’un élève de Satriani devenu métrosexuel et d’un bassiste hippie surdoué, un peu d’histoire s’impose. En effet, la sortie du premier album de Metallica marque la fin d’une ère mouvementée qui accoucha finalement de la formation qui allait mener le groupe vers les sommets. À l’origine, Metallica naît vers 1981 des ambitions conjuguées du batteur Lars Ulrich et du chanteur/guitariste James Hetfield. Emigré danois à Los Angeles, Ulrich s’impose alors comme un expert local de la New Wave Of British Heavy Metal (Iron Maiden, Motörhead, Diamond Head, Venom...), un courant dont il assure la promotion auprès de ses petits camarades et qui aura une immense influence sur la musique du quatuor. Rejoint ensuite par le guitariste soliste Dave Mustaine et le bassiste Ron McGovney, Metallica accumule les compositions, au point de diffuser en 1982 une démo intitulée No Life ’Til Leather qui contient une partie des morceaux présents sur Kill’em All et joue un rôle déterminant dans la notoriété grandissante du groupe.
Tout n’est pas rose cependant, puisque les relations entre les différents musiciens commencent à engendrer des tensions, qui cèdent peu à peu la place aux engueulades et aux frustrations. À peine âgés de 19 ans, Hetfield et Ulrich font d’ores et déjà preuve d’un pragmatisme étonnant face à ces embûches. Ainsi, lassés des excès alcoolisés de Mustaine [1], ils décident après moults péripéties de le remplacer par le guitariste d’Exodus, j’ai nommé Kirk Hammett. Le sympathique McGovney fait quant à lui les frais du génie de Cliff Burton. Personnage unique en son genre et bassiste exceptionnel, nous y reviendrons plus tard, Burton impressionne tant Hetfield et Ulrich lors d’un gig avec son groupe Trauma qu’ils font des pieds et des mains pour le débaucher, avec le succès qu’on sait.
Une fois l’équipe au complet, le premier vinyle de Metallica voit finalement le jour en 1983, soit presque dix ans avant qu’il n’arrive en ma possession. Jeune adolescent alors épris du rock de papa, Stones, Who et Kinks en bandoulière, j’allais découvrir avec ce disque un continent entier, celui de Metallica, quatre mauvais garçons autrement plus méchants que Jagger et ses sbires, comme en témoigne la photo à l’intérieur de la pochette de Kill’em All. Aujourd’hui bien sûr, je vois sur ce cliché des visages poupons, imberbes malgré la longue chevelure et soutenus par un regard méchant aussi crédible que le programme politique de José Bové. Mais pour un gamin, voilà qui frise avec la subversion la plus totale ! Super, ils sont moches et pas sympas. Sans oublier ce titre, "tuez-les tous", d’une méchanceté particulièrement méchante, illustrée par un marteau ensanglantée... c’est quand même autre chose que Weezer ou Blur. Pour l’anecdote, il faut préciser que l’album s’appelait initialement Metal Up Your Ass, titre censuré par le label, qui accepta en revanche cet appel au meurtre de masse proposé par Cliff Burton. En réalité, le message était destiné aux censeurs des maisons de disques, lesquels n’ont pas cillé et se sont réconfortés de constater l’absence de grossièretés.
Musicalement, le choc ne fut pas moins rude pour mes oreilles, éduquées au son sixties par tradition familiale et à la soupe FM par la force des choses. Malgré une production quelque peu datée et les cris de pucelle de Hetfield amplifiés par l’écho [2], les compositions s’imposent par leur puissance, leur vitesse (ce n’est pas un hasard si on parle de "speed metal") et leur intensité nerveuse. À la première écoute se dégagent vite du lot les futurs hymnes thrash metal du groupe : The Four Horsemen, accessoirement le surnom du groupe, une merveille composée par Mustaine et autrefois appelée The Mechanix. Whiplash, sans doute la chanson la plus simple de Metallica avec son frottement frénétique des graves, dont les paroles sont une ode à la fusion entre les membres du groupe et ses fans en même temps qu’un plan de carrière : « We’ll never stop, we’ll never quit ’cause we’re Metallica » dit le texte, qui n’est pas démenti depuis vingt-cinq ans. Enfin Seek And Destroy, morceau de bravoure qui provoque la frénésie en concert, donnant souvent lieu à d’interminables prolongements, et se termine par deux riffs hallucinants pour lesquels bien des groupes échangeraient volontiers tout leur répertoire.
Au-delà de ces trois incontournables, il faut reconnaître qu’on trouve peu de déchets dans ce disque de prime jeunesse. Premier morceau jamais écrit par le groupe, Hit The Lights réussit à être bien plus que respectable, tandis que Jump In The Fire et Phantom Lord s’écoutent avec plaisir, chacune contenant son petit riff bien tressé. Plus fort encore, le très bon Motorbreath invente en avance la mélodie du Nougayork de Nougaro (authentique, faites la comparaison) ! On franchit un nouveau palier dans la qualité avec No Remorse, chanson anti-guerre menée à vive allure, puis surtout avec Metal Militia, un morceau hélas confidentiel malgré l’un des meilleurs riffs du thrash metal et un incroyable break à la basse juste après le solo, aussi court que jouissif. Preuve de l’impact du disque sur la scène de l’époque, Anthrax s’inspirera énormément de Metal Militia pour Deathrider, qui figure sur son premier opus Fistful Of Metal.
Enfin, cerise sur le gateau, Anesthesia (Pulling Teeth) vient ajouter une touche de folie et de virtuosité à l’ensemble. Comme l’annonce le musicien avant la prise de son, il s’agit d’un solo de basse. Pourtant, tout auditeur distrait jurerait ses grands dieux entendre de la guitare tant la distorsion et les effets wah-wah de Cliff Burton s’en approchent. Une "patte" et un style exceptionnel qui posent le personnage. De l’avis de tous ses proches, Cliff Burton était un type charmant, empreint d’un charisme naturel qui irradiait. Il suffit d’observer les extraits de concert de la vidéo Cliff’em All pour comprendre ce qu’ont pu ressentir James Hetfield et Lars Ulrich lorsqu’ils l’ont vu jouer pour la première fois. Sans médiator, ce néo-hippie se lance dans des solos insensés et part dans des headbangings furieux, au lieu de se contenter de rejouer la ligne de guitare comme tout bassiste de son temps. Être de son temps, Cliff Burton s’en fout d’ailleurs royalement. Il porte par exemple des pantalons pattes d’Eph’ en plein milieu des années 80, quand les modes punk et new wave sont passées par là, qui font du jean slim leur maître étalon. Et s’il aime le metal, le garçon apprécie également le classique, au point de glisser ici ou là du Bach dans du Metallica. À certains égards, Cliff Burton peut même être considéré comme le meilleur musicien du groupe et son leader, jusqu’au tragique accident de car qui lui coûta la vie.
Au sein d’un des courants rock les plus prompts à se ringardiser, je veux parler du heavy-metal des années 80, Metallica tire presque seul son épingle du jeu. Dès Kill’em All, le caractère centrifuge de la musique du groupe, cette force qui tend à l’éloigner du noyau metal pour aller vers plus de subtilité, plus de profondeur et d’universalité, cette propension à convertir un à un ses auditeurs quels que soient leurs goûts, prennent forme. Un processus qui se développera cahin-caha au fil des albums, pour aboutir aujourd’hui à la vision singulière d’enfants de dix ans portant un T-shirt floqué Metallica. Parce qu’ils n’ont jamais voulu rester fidèles à l’orthodoxie thrash metal, les Four Horsemen se sont créés une destinée et un parcours artistique hors du commun, explorant des territoires que leurs concurrents n’ont jamais foulé. Dans cette optique, Kill’em All retentit comme le coup de pistolet qui inaugure la course effrénée du groupe. Parti plus fort et avant tous les autres, Metallica ne sera jamais rattrapé. Rien ne sert de partir à point, il faut courir plus vite.
[1] Renvoyé, le guitariste s’en ira fonder le groupe Megadeth, autre fleuron du heavy-metal. Malgré le succès de son nouvel équipage, il tira de cet échec une grande amertume qu’il étalera dans la presse avant de faire amende honorable et de dévoiler ses regrets aux membres de Metallica dans le documentaire Some Kind Of Monster.
[2] Encore que Hetfield ne succombe pas trop à cette malheureuse tradition de l’époque, qui veut qu’un chanteur hurle comme une harpie qu’on égorge. Si possible avec de l’écho, histoire qu’on comprenne bien notre souffrance. Cf. Iron Maiden, Judas Priest, Anthrax, etc.
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