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mercredi 15 avril 2015
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par Efgé le 8 avril 2008
Paru en 1995 en version originale aux éditions Penguin Books. Disponible en VF aux éditions 10/18.
Quel chroniqueur musical pourrait affirmer que son premier métier rêvé n’était pas disquaire à Londres ? Deuxième en fait, si l’on veut être honnête - le premier étant disquaire à New York. Hé bien, mesdames et messieurs, vous en aviez rêvé, Rob Fleming, personnage central du roman de Nick Hornby, l’a fait. Mais on ne peut pas dire que ça le transporte vers des sommets d’extase, Rob. Non, lui serait plutôt du genre à remâcher son malheur comme un vieux chewing-gum à longueur de pages. Faut dire qu’en guise de paradis du collectionneur de disques, sa boutique est une espèce de gargote coincée au fond d’une rue sale, où les clients occasionnels se comptent à peine sur les doigts d’une main.
Et puis, Rob va mal. Parce qu’il est seul, Rob. A 36 ans, il vient juste de se faire plaquer par Laura, une avocate de la City. Et on peut dire qu’il l’a mauvaise ; le seul moyen qu’il ait trouvé pour tenter de retrouver un brin de contenance, c’est de nous dresser la liste de ses cinq ruptures les plus douloureuses. Ouf, la dernière en date n’était pas si terrible en comparaison, l’honneur est sauf. Tu vois Laura, même pas mal, nananèèè-reuh ! C’est que Rob est un grand gamin qui, passé l’âge du Christ, n’a toujours pas fini sa puberté. Toujours fasciné et tétanisé par le mystère que sont… les filles (ceux qui se reconnaissent, levez le doigt), il tente de percer cette énigme séculaire avec le seul outil qu’il connaisse et qu’il maîtrise : la pop music. Forcément, lui dont le plus grand fantasme est de se retrouver en photo au dos d’une pochette d’album de chanteuse folk. C’est ainsi que son univers, son « cocon » bien douillet seulement perturbé par quelques clients envahissants, sa « cour de récré », où son passe-temps favori consiste à dresser des Top 5 sur des sujets aussi abracadabrantesques les uns que les autres avec Dick et Barry, deux freaks aux styles tout à fait opposés… ne lui convient pas si mal que ça.
Seulement, avec son angoisse existentielle, sa maladresse chronique et son inadaptation foncière à la vie réelle et non pas imaginaire (ceux qui se reconnaissent, toujours là ?), Rob n’est pas que le héros d’un bouquin foutrement bien écrit, aux répliques imparables et drôlissimes, mais qu’on pourrait reposer sitôt la dernière page lue pour retourner vaquer à ses occupations. Non, ce bouquin, sous une apparence potache, pourrait bien en dire beaucoup plus qu’il n’en a l’air sur la vie, la vraie vie. Notre vie. Avec cette question existentielle : les fans compulsifs de rock, pop, soul, etc. sont-ils des personnes comme les autres, et peuvent-ils mener des existences normales ? Peut-être qu’en fait, c’est « la faute à » la pop music si, à l’âge adulte, nos parents nous considèrent toujours comme des adolescents incapables (« Comment rendre la façon dont les gens nés avant 1940 prononcent le mot ‘pop’ ? Ca fait plus de vingt ans que je tends l’oreille quand mes parents crachent ce monosyllabe explosif, la tête en avant, avec une expression idiote, puisque les fans de pop sont des idiots »).
Peut-être est-ce anormal, si l’une des premières choses que nous faisons en période de stress émotionnel, c’est d’essayer d’inventer un nouveau mode de classement de nos disques ? Ou si, parfois, on tombe amoureux de deux personnes en même temps ? (« La musique sentimentale a le don de vous ramener en arrière tout en vous poussant en avant, de sorte qu’on ressent à la fois de la nostalgie et de l’espoir »). Peut-être est-ce à cause de ces disques, déclencheurs de maelstroms intimes à la première écoute adolescente, que les événements de nos vies ne semblent être que des pâles copies de nos émotions de teenagers : « Ce qui vient de se passer aurait très bien pu arriver quand j’avais 16, ou 20, ou 25 ans. […] On est parvenus à l’adolescence, on s’est arrêtés net ; on a tracé la carte à ce moment-là, et les frontières n’ont pas bougé d’un poil depuis ». Peut-être que, comme le dit Rob, « si on place la musique (comme les livres, probablement, les films, les pièces de théâtre, et tout ce qui nous fait ressentir) au centre de l’existence, alors on n’a pas les moyens de réussir sa vie amoureuse, de la voir comme un produit fini […]. Peut-être qu’il nous faut être soit malheureux, soit violemment heureux, et de tels états sont difficiles à obtenir au sein d’une relation stable, solide ».
Peut-être est-ce la faute de la musique. Ou peut-être est-ce simplement la nôtre – Rob, et l’auteur, se gardent bien de trancher. En tout cas, le constat est dur : « Je suis là, dans ce petit appart minable, tout seul, et j’ai 36 ans, j’ai un commerce minuscule qui périclite, et mes amis ne semblent pas des amis du tout, seulement des gens dont je n’ai pas perdu le numéro de téléphone ». Alors, la musique, un refuge nécessaire pour apaiser ses souffrances contre la violence du monde extérieur, ou, comme le suggère Rob, la cause même de ces souffrances : « Quelle fut la cause, et quel l’effet ? La musique, ou le malheur ? Est-ce que je me suis mis à écouter de la musique parce que j’étais malheureux ? Où étais-je malheureux parce que j’écoutais de la musique ? ». A chacun sa réponse. Rob ne s’en sort pas si mal, rassurez-vous, et on peut même dire qu’une fois la dernière page tournée, sa vie d’adulte commence. Mais reste une angoissante question, la plus cruciale de toutes : c’est quoi, le Top 5 de vos disques préférés ?
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