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mercredi 15 avril 2015
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par Yuri-G le 8 décembre 2009
paru le 2 novembre 2009 (RCA/Sony Music)
Phrazes For The Young ne suffira pas à assouvir cette salve d’interrogations - qui es-tu, Julian ? es-tu encore cet esthète noble et anxieux, qui a voulu redonner, fût une époque, leur nécessité aux guitares ? époque révolue ? serait-ce la raison de ton absence, ces dernières années ? mais aujourd’hui, qu’essaies-tu de prouver avec ton nouvel album ? qui es-tu… vraiment ? - lui qui débarque alors même que les Strokes stagnent dans une impasse. On essaie déjà d’oublier que chacun dans le groupe y est allé de son projet solo. On essaie d’oublier que leur cohésion s’effrite. Cette ribambelle de parutions assez inoffensives, et presque totalement contingentes, a fait fondre un peu plus chaque fois la perspective d’un nouvel album commun fort, important. En dépit de tout, quand le leader s’exprime, on lui prête une oreille très attentive. Et ce qu’on entend alors est pour le moins étrange.
On entend juste huit titres, mais ils sont longs et sinueux, illustrés par une superbe image de Casablancas en lord réfugié dans son bunker comme en 2001 ; huit titres et une armada de synthétiseurs. Comment, des synthétiseurs ? Oui, c’est bien ce qu’on entend. Des synthés, comme chez Ultravox ou Human League, doublés de boites à rythme moites et précipitées. Julian ne s’y serait pas mieux pris s’il avait voulu faire passer le message : « hey, tout le monde sait que j’adore Lou Reed et New York, mais j’aime aussi énormément la pop synthétique et les eighties ». L’intention est donc limpide : Casablancas plonge dans un univers auquel on ne l’aurait vraisemblablement jamais associé. Envolée l’élégance mordante de Is This It. L’album aspire en son entier vers des réminiscences clinquantes, qui ne vont pas vraiment puiser chez les meilleurs. C’est un déluge d’arrangements poseurs, dans laquelle la moindre composition suffoque sous l’assaut de synthés grotesques, artifices kitsch et autres guitares rutilantes. Oui, Phrazes For The Young possède des travers totalement actuels. On croirait qu’il cherche à assimiler l’époque, à tout prix. Lui aussi nous inflige le spectacle d’un artiste vautré dans ses passions régressives d’adolescence, trop criardes pour ne pas être coupables.
Telle est donc la réalité de l’album, inévitable. Mais une fois énoncée, annule-t-elle pour autant la joie de l’écoute ? Ah, elle n’en dit rien, en effet… Nous n’avons pas encore précisé, par exemple, que Phrazes For The Young s’ouvre sur deux, voire trois chansons fulgurantes. Trois petites comètes, trois addictions pop que l’on répète et répète. Car nous n’avions pas encore relevé sa qualité mélodique, le véritable don de Casablancas, plutôt inaltéré sous l’attirail synthétique douteux. Pour cela, il suffira de revenir à It’s Blitz ! (le dernier Yeah Yeah Yeahs), album partageant de façon troublante ce même goût de la frime. It’s Blitz ! était une horreur parce qu’il broyait ces artifices sans autre ressource. Il n’y avait rien, le vide. Mais Casablancas, lui, apporte quelque chose : ses mélodies, toujours d’une facilité tétanisante. Out Of The Blue et Left & Right In The Dark en sont évidemment les emblèmes. Elles seules dans l’album mêlent à ce point l’euphorie et la mélancolie, dans des tournures terribles, indissociables. Il y a une rectitude dans ces couplets qui mènent à des refrains, et ces refrains où pointe soigneusement une guitare solo (redoutable). Quelque chose de brillant et qui a de la valeur. Certes, 11th Dimension se situe un peu en retrait, mais son évocation de la dance glorieuse de New Order reste follement attrayante.
Soyons honnête, passé ce trio d’ouverture, Phrazes For The Young va s’égarer, oubliant l’ivresse pour organiser quelques détours malheureux. Pile au milieu, 4 Chords Of The Apocalypse et Ludlow St. : deux tentatives pour moderniser les accords immuables du rhythm’n’blues. Ringardes, elles n’aboutissent qu’à un déroulement d’effets plastoc, ici décuplés par l’ennui. Et deux titres plombés sur huit, c’est presque impardonnable. Malgré tout, Tourist clôt le bal sur une jolie nostalgie où des fragmentations de synthés planent avec, enfin, une allure poétique. Pas assez pour effacer la dangereuse conviction qui naît. Julian, serais-tu dominé par l’envie d’être (de redevenir) la nouvelle idole de la jeunesse ? Et une réponse se dessine... « oui, je suis un incorrigible dandy. Je cherche l’admiration. L’heure est au synthétique, je suis le mouvement. Mais en l’amplifiant jusqu’au ridicule. On ne pourra pas me reprocher de prendre cette mascarade au sérieux. Et puis, je sais toujours écrire des chansons. Des chansons à s’en relever la nuit ». Très bien. Cela expliquerait pourquoi Phrazes For The Young manque cruellement de naturel et d’élégance. Et aussi sa valeur : le trouble singulier qu’il suscite.
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