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mercredi 15 avril 2015
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par Béatrice le 8 mai 2007
paru le 30 avril 2007 (Island)
Tadam. Faux motards et vrais rebelles de tous cuirs, réjouissez-vous ; un peu en avance sur son métronome, qui avait voulu jusqu’à présent que le trio sorte, avec une précision d’horloger, un album tous les mois d’août des années impaires, Black Rebel Motorcycle Club récidive, et ce pour la troisième fois. Toujours aussi noir, de la tête aux pieds et des nappes de guitare aux photos du livret, cela va sans dire et on n’en attendait guère moins d’eux. Et, reposés par une cure de songwriting dépouillé de ses atours électriques et renouant avec ses racines (américaines, désertiques, desséchées), rejoints par leur batteur déserteur, les rebelles en cuir noir ont, comme annoncé, renoué cette fois avec les jacks de leurs instruments, ranimé les amplis, et se sont replongés avec bonheur dans des nuées de distorsions et de rythmes vaporisés. C’est qu’ils tiennent à ce qu’on comprenne bien que leur hurlement à la lune était plus un détour qu’un virage, et que, s’ils ont bien glané quelques enseignements de leur errance le long des sentiers poussiéreux et battus par les vents, ce n’était que pour mieux s’en retourner arpenter les larges voies pour engins motorisés - et tenter de doubler quelques concurrents dans la volée...
Les motards sont de retour sur les quatre voies du rock’n’roll après avoir parcouru les chemins de traverse, et quand bien même on n’aurait pas voulu les croire, ils ne nous laissent pas le choix, démarrant en trombe sur l’impulsion d’un riff distordu et aiguisé. Took Out A Loan vient confirmer que, non contents de n’avoir égaré ni leur carte routière ni leur carburant, les trois californiens savent toujours aussi bien ouvrir leurs opus, et assènent un uppercut à l’auditeur avant de le caser, à moitié sonné, dans le side-car pour l’entraîner à leur suite, bon gré mal gré. Ca va vite et fort, mais droit, sans s’égarer et sans fioritures, et ça continue de plus belle sur Berlin, où Hayes prend ses airs de routard à l’œil sombre et verse dans le déhanchement vocal suggestif (voire carrément explicite, à force d’être suggestif), et où Levon Been vient s’écorcher la gorge en renfort du refrain en "Suicide’s easy, what happened to the revolution ?" - oui, les membres de BRMC sont toujours aussi doués dans l’art du slogan facile-mais-efficace-et-en-plus-ça-sonne-bien, ce qu’ils confirment en martelant des "I won’t waste it, I won’t waste it, I won’t waste my love on a nation" on ne peut plus d’actualité (pour nous peut-être plus encore que pour eux, d’ailleurs...) tout le long de Weapon Of Choice. A ce stade, on n’a guère plus de doutes quant à leurs intentions : fini les apitoiements solitaires et les lamentations teintées de mysticisme, l’heure est à la confrontation. Pas une confrontation méchante ni violente, pas franchement brutale non plus, mais un face à face franc, direct, accrocheur bien que sans concession, à la "suis moi si tu le veux, mais pose pas de questions". Ils n’ont peut-être jamais aussi bien porté leur nom, en fait, à moins qu’ils ne se soient efforcés de lui ressembler : ça se la joue solitaire farouche, au regard noir et à l’humeur sombre, rebelle à toutes les causes qui hurle son désenchantement plus qu’il ne le médite, roublard embarqué sur de grandes voies droites sans trop savoir où il va arriver, mais déterminé à y arriver, l’autoradio à plein volume pour couvrir le vrombissement du moteur qui carbure lui aussi à plein volume. En prime, ça offre même les chansons qui vrombissent hors des baffles : il suffit d’un Not What You Wanted (presque trop "pop" pour du BRMC, si si, au point d’évoquer des Strokes sous amphétamines), et on s’y croirait presque, en train de regarder le paysage se défiler en grandes raies colorées à travers les vitres couvertes de poussières d’une veille bécane qui en a vu d’autres et s’en est remise, tant bien que mal.
Bref, le Black Rebel Motorcycle Club, version 2007, nous pond un disque de rock décomplexé, fier et arrogant, franc et brut, rapide et fusant de toutes parts, envoyant ses tourments et ses angoisses tourbillonner dans la poussière qu’il soulève en passant à toute trombe, pour les effacer et les brouiller dans des horizons de riffs aiguisés et de choeurs qui tantôt s’écorchent en éructations rauques, tantôt s’enrobent en volutes mélodiques. Et tout ça, c’est rondement mené, sacrément efficace, et indéniablement réussi dans le rentre-dedans enjôleur ; mais le BRMC tortueux et torturé, celui qui s’abîme dans des courants mélancoliques et s’égare dans des brouillards d’une noirceur de suie, se serait-il définitivement perdu en chemin ? Aurait-il été abandonné sur le bas-côté par trois musiciens pressés et peu disposé à s’attarder en plaintes vaines ? Toujours est-il qu’il se fait très discret, apparemment dominé par les pulsions de ses artisans ; à peine son fantôme se montre-t-il à travers les vitres le temps d’un Windows qui commence bien, mais fini par s’emmêler un peu dans ses propres spirales tordues, ou projette-t-il une ombre inquiétante sur 666 Conducer, dont le ton vaguement incantatoire a vite fait de fasciner. L’ombre en question survole la seconde partie du disque, imprègne les mélodies clair-obscures d’All You Do Is Talk (écho plus abouti et moins dépouillé à l’Open Invitation de Howl), avant de se poser sur les trois dernières chansons, où elle est bienvenue, car, il faut le reconnaître, sans cela, on aurait été tenté d’oublier que BRMC est capable de faire un peu plus profond et complexe que des uppercut rocks, si réussis soient-ils.
Killing The Light, envolée onirique nappée de voies désincarnées qui s’échappent vers des hauteurs éthérées insoupçonnées chez le trio et de guitares fantomatiques, aussi sombre et nébuleuse que son titre ne l’exige, s’étire ainsi en "Look what you’ve started... We’re all broken-hearted..." aussi envoûtants que sibyllins. Une fois qu’il nous a plongé dans cette sorte de torpeur nocturne et mystérieuse, le trio lâche les loups - et les choses sérieuses commencent, pour de vrai, même si elle se sont faites attendre. American X n’invente pas grand chose, mais cela n’en fait pas moins un morceau de bravoure, qui pendant près de 10 minutes concentre, distille et étire jusqu’à ses plus extrêmes limites l’essentiel de ce qui fait que BRMC est BRMC, et pas autre chose : superbe farouche, basse hypnotique, guitares sinueuses, paroles sombres teintées de mysticisme désillusionné se mêlent et se fondent en un magma mouvant et captivant, lourd et animé, vivant par lui-même et semblant dépasser très largement ceux qui en sont à l’origine et qui sont, là, plongés dans une transe fiévreuse. American X arrive à graver sur un sillon une fin de concert de BRMC en n’en perdant pas une once d’intensité, ce qui n’était pas gagné, et la place très loin au-dessus du reste de l’album... quoique celle qui la succède pourrait bien lui tenir tête, avec ses douze pistes de guitare superposées en échos voilés et entretissés qui, tout en commençant en douceur, gonflent l’air de rien en ampleur et en intensité pour clôturer l’affaire dans un camaïeu de noir et de désespoir ("Am I the only lonely one of you ?...." en cri du cœur...).
Tout ça prouve que BRMC maîtrise l’art de la conclusion tout autant que celui de l’introduction, ce qui est déjà beaucoup. Surtout qu’entre les deux, c’est pas mal non plus. Peut-être pas assez "pas mal" pour faire d’un quatrième album une réussite incontestable et magistrale, quand bien même cela aurait probablement suffit au bonheur et à l’honneur d’un premier ou d’un deuxième album ; peut être pas assez "pas mal" pour qu’on dise que ça y est, le groupe a brisé ses réflexes, déconstruit ses habitudes, éliminé ses tics, et pondu son album, le vrai le grand le beau... Mais suffisamment "pas mal" pour faire de ce Baby 81 un bon album, très bon même, voire plus par moments, et qui aura, qui plus est, certainement moults atours à dévoiler s’il se trouve lâché sur une scène.
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