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par Céline Bé le 16 février 2010
Paru en 1996 (JKP)
Dans quel pays non anglo-saxon un huitième de la population possède-t-il au moins un album d’un groupe punk national ? Les Allemands die Toten Hosen font preuve d’une popularité et d’une longévité d’autant plus spectaculaires qu’ils chantent quasi exclusivement en langue locale. Une bonne raison de jeter un coup d’œil outre-Rhin.
18 titres pour comprendre les Hosen, leur popularité, leur longévité, ce qu’ils étaient et ce qu’ils sont devenus : en 1996, Opium Fürs Volk ("De l’opium pour le peuple") fait des punks de Düsseldorf le premier groupe indépendant allemand à arriver en tête des ventes dans leur pays. Ceux que Spex qualifiait de « trop sauvages pour les masses » dix ans plus tôt vendent alors un million d’exemplaires de leur nouvel opus. Mais le succès populaire est contrebalancé par un revirement des critiques : les Hosen sont vertement accusés d’avoir cédé aux logiques commerciales. Il faut dire qu’ils ont effectivement perdu en fraîcheur ce qu’ils ont gagné en efficacité. Au niveau musical d’abord, un trop grand nombre de titres d’Opium Fürs Volk est construit selon un schéma musical type : un refrain puissamment scandé par tous les membres du groupe et des couplets plus fins et plus doux chantés par le seul leader Campino (Paradies, Lügen, Nichts Bleibt Für Die Ewigkeit, Der Froschkönig…). En ce qui concerne les textes, la rebelle-attitude affichée sonne, cette fois, trop simpliste : désolés, mais ça ne nous impressionne pas plus que ça que les Toten Hosen aient « déjà fumé de l’herbe » et même « assez souvent » et savent « ce qu’est la coke » (Und Wir Leben). Et ne parlons pas d’XTC qui pompe au Velvet le principe d’Heroin sans grande subtilité.
Ne boudons pas notre plaisir pour autant : certes les Hosen nous déçoivent en tant que punks, mais reste toujours le plaisir de se laisser porter par les chœurs de voix hurlantes, les mélodies et les histoires, les refrains chocs qui sont autant de slogans : « Je ne veux pas aller au paradis / si le chemin pour y entrer est aussi difficile ! » (Paradies). Et puis les Hosen sont toujours sympathiques, surtout parce qu’ils se moquent du bon goût comme de leur première décoloration. Et comme ils ironisent eux-mêmes à la fois sur leur engagement d’antan et sur leur nouvelle tendance politiquement correcte, on leur pardonne presque leur revirement : « Nous, on ne finira pas comme ça / c’est c’qu’on s’était dit à l’époque . […] On était toujours contre et jamais pour […] On voulait changer le monde / donc on a commencé par se précipiter chez le coiffeur / parce que quelqu’un nous avait dit un jour / que l’apparence était importante » (Viva La Revolution). Pourtant, on a quand même parfois du mal à croire au second degré. Le tube Zehn Kleine Jägermeister a, par exemple, beau être précédé d’une interview enregistrée du leader Campino où celui-ci tourne en dérision leur réputation de faiseurs de chansons légères, ça reste un morceau bêtement populiste et musicalement déraisonnable : non, on ne peut pas honorablement faire de la comptine Ten Little Indians une chanson à boire en ska !
Plus sérieusement, Opium fürs Volk fait preuve d’un travail sur la cohérence assez inhabituel. Même si la bande à Campino n’a jamais voulu en parler comme d’un album concept, il y a clairement une unité de l’album autour de son titre. Il s’agit d’abord d’« opium » en ce que différentes addictions sont représentées, des plus répandues aux plus rares. Addictions à l’alcool (Zehn Kleine Jägermeister), au haschish, à la cocaïne, aux champignons hallucinogènes (Und Wir Leben), aux psychotropes (Die Fliege), aux amphétamines (XTC) . Une deuxième interprétation, marxisante, du titre renvoie aux divers aspects de la religion traités dans l’album sur des modes variés. Die Zehn Gebote est ainsi une réécriture des dix commandements, Paradies un refus du paradis comme but ultime, Nichts Bleibt Für Die Ewigkeit et le dub Ewig Währt Am Längsten s’opposent à la croyance en une âme éternelle et Vater Unser ouvre l’album sur une interprétation grégorienne traditionnelle du Notre Père. Pour finir, le titre peut aussi être interprété comme une réflexion autodérisoire : cet album n’est-il pas lui aussi de l’opium pour le peuple ? Les Hosen ironisent en tout cas sur le thème en affirmant que leur engagement politique et musical « n’était malheureusement lui aussi que de l’opium » (Viva La Revolution).
Avec cette triple cohérence et des chansons « à clef » comme Böser Wolf (derrière le « méchant loup » se cache en fait un pédophile), nos punks se prennent finalement pas mal au sérieux, et ça ne leur réussit pas. De quoi nous faire regretter l’amateurisme des débuts. Opium fürs Volk est finalement l’album limite, celui au-delà duquel on ne les suit plus. L’opus ferme la période ouverte dix ans plus tôt par Ein Kleines Bisschen Horrorschau, avec lequel les Hosen avaient percé. Et ce caractère limite se retrouve au cœur d’Opium Fürs Volk, partagé entre des titres de qualité, à l’ancienne (Paradies, Nichts Bleibt Für Die Ewigkeit, Bonnie & Clyde, Die Fliege) et des morceaux qui n’ont pas le niveau, annonciateurs de la suite (Und Wir Leben, Zehn Kleine Jägermeister, Mensch).
Au final, ceux qui avaient juré « de rester punk tant que Johnny Thunders vivrait » l’ont suivi de peu. Thunders est mort en 1991, les Hosen se sont trahis en 1995.
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