Voilà un livre qui n’a absolument rien à voir avec la musique mais dont la lecture semble pourtant indispensable !

Pays de malheur ! est déjà un ouvrage original d’un point de vue formel. Il s’agit d’une conversation par e-mail entre un sociologue/ prof de fac et un jeune « beur » né dans une cité et, à l’époque de la discussion, emploi-jeune dans une bibliothèque municipale.

On voit à travers cette conversation (qui n’en est pas vraiment une puisque c’est le jeune Younes qui écrit le plus et raconte son histoire, Stéphane Beaud l’aidant à structurer sa pensée et lui donnant des pistes de sujets méritant une analyse) se dessiner le portrait d’un être à la foi profond, sincère, amer et lucide. Younes revient sur son enfance, sa famille, son parcours scolaire et universitaire chaotique (même si, contrairement à la majorité de ses amis de quartier, il a réussi à décrocher son bac littéraire), sa relation avec sa femme et son enfant et analyse à chaque fois avec justesse les conséquences du « déterminisme social » qui touche les jeunes de banlieues issus de l’immigration. Son analyse laisse souvent place à un ressentiment très fort vis-à-vis d’une classe politique méprisante et d’une population de gauche comme de droite qui refuse de s’intéresser au problème de l’intégration des populations d’origines étrangères.

Mais ce dialogue multimédia montre aussi l’importance du travail d’introspection réalisé par Younes qui prend conscience de la dualité de sa personnalité. Il se retrouve en effet coincé entre un désir de comprendre la société qui le détermine à un certain type de vie et ce sentiment de nostalgie vis-à-vis des périodes difficiles de sa vie ( défonce, solitude, absence d’espoirs...) où il n’avait finalement pas besoin de réfléchir. Cette dualité se traduit par son retour hebdomadaire dans son quartier de jeunesse où il retrouve ses anciens amis avec qui il « affole » [1] alors qu’il comprend très bien qu’il n’a finalement plus grand chose à partager avec eux car leur différence de parcours lui semble trop importante pour qu’ils se comprennent réellement.

Loin des clichés sur l’immigration, ce livre questionne à travers la voix de Younes tous les thèmes du débat sur l’intégration en France - déterministe géographique du logement, communautarisme familial et religieux, intégration et réussite scolaire, racisme au quotidien, machisme, problème des papiers, vision de la politique et de l’engagement marquée par la désillusion... - et rappelle l’aveuglement obstiné et les préjugés de la majeure partie de la population.

En parallèle, on retrouve le thème récurrent de l’ouverture à la lecture et à la culture qui a joué un rôle essentiel dans la démarche de Younes de chercher une autre issue et ainsi de tenter de se construire une autre vie.
On comprend alors très bien ce sentiment de haine que peuvent ressentir certains de ces jeunes démunis économiquement et culturellement (Younes fera le constat que s’il y a pire que le manque d’argent pour trouver ses marques dans la société, c’est bien l’absence de repaire culturel pour réussir à comprendre un environnement codé et ainsi trouver une certaine stabilité, absence de repaire qui peut expliquer le rôle rassurant qu’offre la religion pour une partie d’entre eux.) à qui on offre comme unique modèle celui de la consommation, inaccessible pour la plupart d’entre eux.

Ce livre est également intéressant pour comprendre l’intérêt de la sociologie, seule science à tenter de comprendre le fonctionnement de groupes et ainsi s’intéresser à l’être humain dans son rapport aux autres et non en tant qu’individu nombriliste.

Un livre marginal donc, loin de l’idée du « quand on veut, on peut » incarné par l’idéologie libérale, et qui marque le lecteur et l’amène à se remettre en question.