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par Parano le 30 octobre 2007
publié en juin 2007 (Camion Blanc) ; 592 pages.
Il paraît qu’il existe deux conceptions du temps. L’une cyclique, chez divers indigènes même pas connectés au Wifi, l’autre linéaire, chez nous. Curieusement (ou très naturellement, selon que l’on considère la guitare électrique comme le prolongement de l’esprit des lumières, ou comme un symbole totémique moderne), le rock’n’roll semble dépendre du temps cyclique. Ainsi, après avoir rendu un hommage un peu trop appuyé au 60’s, puis au 70’s, voici que l’homo décibelus se plonge avec délice sur les tristes et ténébreuses années 80. Comment expliquer, sinon, l’idée saugrenue de s’intéresser au pire groupe de rock ayant jamais existé, géniteur honteux de milliers de bâtards aux quatre coins du globe, étendard puéril de la dépravation éthylique et opiacée, j’ai nommé le terrible Mötley Crüe. Quatuor apocalyptique dont le principal crime, outre un mauvais goût olympien, est d’avoir incarné, pendant une décennie, la beauferie clinquante, friquée, et arrogante des yuppies permanentés.
Publiée en 2001, cette biographie de Neil Strauss n’avait pas encore été traduite en français. C’est vrai qu’ici, nous avons déjà Angot, pour les partouzes, Begbeider pour la coke et Houellebecq pour tout le reste. Quoi qu’il en soit, Camion Blanc (« l’éditeur qui véhicule le rock ») a réparé cette injustice. Le lecteur peut enfin oublier les coups de poing de Bertrand Cantat, pour s’intéresser à ceux de Tommy Lee, qui, coïncidence, ne cognait pas que sa batterie.
La quatrième de couv’ est alléchante : « The Dirt renvoie toutes les autres biographies dans la catégorie de littérature pour nonnes ». En couverture, la tronche peu avenante de Tommy Lee (où est passée la photo du groupe, présente sur l’édition originale ?) sonne comme un avertissement. The Dirt n’est ni une confession, ni un hommage. Tout au long des 592 pages, Mötley Crüe vous regarde droit dans les yeux, et témoigne d’une réalité qu’on a peine à imaginer : entre orgies, débauche, et pluie de dollars, le groupe a vécu son ascension le nez dans la dope et la bite à l’air, avant de s’écraser au sol. La mort, l’addiction, la prison, et la déchéance n’ont pas épargné les stars d’hier, brusquement abandonnées par le public et l’industrie du disque. De façon très astucieuse, Neil Strauss s’efface derrière le groupe, et laisse la parole à Nikki Sixx, Mick Mars, Tommy Lee et Vince Neil, ainsi qu’à ceux qui ont côtoyé le grand cirque rock’n’roll. Les anecdotes ne manquent pas : déguisement nazis, invocation d’esprits, overdose dans une benne à ordure, tournantes dans le jacuzzi, accidents mortels, coups dans la gueule et coups bas, rien (ou presque) n’est occulté.
Mais l’essentiel est ailleurs. On est heureux d’apprendre qu’une groupie peut enfoncer un combiné téléphonique dans le vagin de sa copine, avant d’appeler ses parents. On se réjouit de savoir qu’Ozzy Osbourne a léché la pisse de Nikki Sixx avant de sniffer une ligne de… fourmis. Pourtant, ce qu’on retiendra de The Dirt, c’est le rêve éveillé de quatre gamins, paumés, totalement inconscients, et fracassés par le succès, aussi sûrement qu’une vie passée à l’usine. Au final, The Dirt n’est ni outrageant, ni scandaleux. Pas même amusant. Il est tout simplement émouvant. Peu à peu, au gré des pages, des joies furtives, des comas prolongés, et des cris de douleur, le pire groupe de rock des 80’s devient incroyablement attachant. Biographie sans fard d’un groupe outrageusement maquillé, The Dirt redonne un semblant d’humanité aux icônes décadentes du rock, et met à nu le visage hideux du star system. À distribuer d’urgence dans les coulisses de la Star Ac’.
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