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par Thibault le 24 juin 2008
Paru en septembre 1969 (Capitol)
Lorsque l’on évoque la fin des années 60 on pense tout d’abord au rock psychédélique, au Summer of Love, à Woodstock et aux icônes de l’époque, Jimi Hendrix, Janis Joplin ou Jefferson Airplane. La fin des sixties est associée aux hippies et à leurs rêves puis à la désillusion qui suit, en même temps que la mort des mêmes icônes (Hendrix, Morrison, Joplin, tous morts à 27 ans au début des années 70). Pourtant, à la périphérie de ce mouvement qui prônait l’amour, la paix et le sexe libre on trouvait quelques marginaux, électrons libres gravitant à leur guise autour de ces événements. Parmi eux Neil Young ou Bob Dylan et la formation qui l’accompagnait en tournée, d’abord sous le nom The Hawks puis The Band. Marginaux, les musiciens de The Band le sont. Ils composent leur premier album Music From Big Pink (sorti en juillet 1968) dans la cave d’un bled en pleine cambrousse au nord de New York, jouant pendant 10 mois dans ce sous-sol avant de rejoindre les studios. A l’époque le Band brouille encore les pistes, la pochette de leur disque est une peinture signée Bob Dylan et à l’intérieur du disque le groupe pose au milieu de quatre générations de parents.
L’album est encore très empreint de l’influence de Bob Dylan, et pour cause celui-ci passait régulièrement dans leur cave, pour enregistrer avec eux ce qui deviendra The Basement Tapes, sorti seulement en 1975. Mais déjà le groupe attire l’attention de musiciens renommés, Eric Clapton de Cream et George Harrison des Beatles tombent sous le charme de leur musique terreuse, très éloignée des trips psychédéliques et longues improvisations (les jams sessions) alors en vogue.
En 1969 le Band tourne, participe à de nombreux concerts (dont Woodstock) et s’affiche comme un groupe à contre-courant des principales formations. Pas de solos de guitares à rallonges, ni de jams interminables, peu d’artifices (pédales de distorsion ou d’effets) mais une musique plutôt austère, qui puise dans le folk, la country et l’histoire américaine. Et leur deuxième album homonyme, enregistré la même année à Los Angeles, enfonce le clou. Le groupe s’est émancipé de l’influence de Bob Dylan et ici les thèmes abordés sont encore plus ancrés dans l’histoire et les légendes nord-américaines. L’album parle de la guerre de Sécession (The Night They Drove Old Dixie Down), des difficultés de la vie rurale (King Harvest (Has Surely Come)), on est loin du flower power de Jefferson Airplane ou du multiculturalisme de Sly & The Family Stone.
Et il y a cette pochette, boueuse, âpre, qui présente un groupe velu et au regard tourné vers le passé. La photo est prise par Elliot Landy, personnage ayant son importance dans l’histoire du rock vu qu’il fut le photographe officiel du festival de Woodstock et qu’il pris plusieurs fois en photo Hendrix, Jim Morrison ou Janis Joplin. (encore eux !)
Auparavant le Band brouillait toujours les pistes, désormais il ne se cache plus, tout en restant dans l’ombre. Comme quelqu’un que l’on n’aurait pas remarqué tout de suite, mais qui est bien là, légèrement à l’écart, mais présent et droit dans ses bottes. Mâchoires serrées, regards sombres, barbes et moustaches, teints blafards et manteaux de velours épais, voici le Band.
Au dos de la pochette le groupe pose dans une pièce rustique, entièrement en bois. Et s’affiche avec contrebasse, vieux piano droit, mandoline et accordéon dans ce qui ressemble à un débarras. Encore une fois on est loin des guitares multicolores et des nouvelles pédales wha-wha qui sont de plus en plus courantes.
Mais malgré leurs looks de mormons austères, les membres du Band baignent dans la contreculture (en tournant avec Dylan on ne peut pas y échapper) ; ils expérimentent diverses substances tout en se montrant plus discrets que les hippies en trip de LSD permanent.
Dans sa discothèque rock idéale Philippe Manœuvre fait l’habile rapprochement avec William Burroughs « Tel le vieux Bill Burroughs optant pour le costume trois pièces afin de ne pas attirer l’attention des Stups, les Band se vêtent de velours grosses côtes. » Cette pochette montre un groupe ambivalent, qui à première vue chante l’Amérique d’un autre temps, tout en consommant des drogues avec Dylan. Cette dualité séduit d’autant plus, en Angleterre dans un premier temps, puis aux USA, où le groupe est à l’origine (avec Creedence Clearwater Revival, Crosby Stills Nash & Young et Canned Heat notamment) du revival country rock du début des années 70. L’album est un gros succès critique et les ventes atteignent la neuvième place des charts américains. Dans la foulée arriveront les Allman Brothers Band et Lynyrd Skynyrd. Ce paradoxe devient même un poncif pour certains, ainsi dans le Rock & Folk de décembre 2007, Nicolas Ungemuth interviewait Phil May des Pretty Things :
« N.U. : le cliché récurrent consiste à dire qu’après les déluges sonores de Cream et Hendrix, tout le monde s’est mis à écouter le Band en se laissant pousser la barbe tout en jouant de la guitare acoustique…
P.M. : C’est un cliché, mais c’est assez exact. Nous adorions le Band. Mais pour moi, Parachute [album des Pretty Things] était plus une réflexion sur la fin de la fête, la fin des sixties et la vie urbaine. Tous mes amis musiciens partaient s’installer à la campagne et élever des moutons. »
Ainsi cette pochette contribue au succès du Band, qui s’affiche comme un groupe nostalgique, presque sévère (tout en gardant un fond plus subversif avec l’usage de drogues), et qui paradoxalement séduit de très nombreux musiciens, las ou déçus par les rêves hippies d’amour et de paix.
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