Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Emmanuel Chirache, Sylvain Golvet, Thibault le 11 avril 2012
Le passage de The Inspector Cluzo à la Cigale le 7 avril 2012 est un évènement important pour le groupe. Fixé et surveillé depuis longtemps, le rendez vous est une soirée spéciale où le tandem profite de sa relative nouvelle notoriété pour témoigner de sa générosité. Ainsi, de nombreux invités et amis du duo sont présents, des musiciens supplémentaires sont de la partie pour un deuxième set « duo + FB’s » [1], sans compter plusieurs intermèdes pour un planning bien rempli.
Accueilli par un apéritif schweppes/armagnac très agréable, on aperçoit les deux musiciens Laurent et Mathieu se promener au milieu des spectateurs venus les voir jouer. Le ton de la soirée est donné, pratiquement aucun concert, hélas, ne commence par une dégustation à l’œil d’alcool en compagnie des musiciens ! Ensuite vient le moment auquel sacrifie tout bon groupe français qui réussit à avoir une jolie tournée : le placement des potes qui peinent à tenir leurs instruments dans le bon sens en première partie. Les excellents grenoblois de Rien infligent Centenaire à leur public, les Inspector Cluzo proposent des « consanguins pédophiles », selon les mots du management : Boulenvrac, sorte de sous-Bérurier Noir comme on en trouve cinq dans n’importe quel patelin, qu’on s’était déjà farcis dans un douloureux set électrique lors du passage des Cluzo à la Maroquinerie l’an passé.
Cette fois-ci, appliquant le principe « les plaisanteries les plus courtes sont les meilleures », le groupe joue moins longtemps, et en acoustique, mais on a toujours droit au lancer de saucisses dégueulasses dans la foule, au « chanteur » qui se verse de la bière sur le crâne et aux morceaux débiles. Débonnaire et acquis à la cause de la soirée, le public de la Cigale se montre bienveillant et rigole aux conneries de la bande, mais ça n’empêche pas la délégation Inside Rock de regretter la présence d’un groupe qui ressemble à quelque chose. Pour la petite histoire, Boulenvrac a ramassé les déchets en partant (PQ, saucisses et vieille guitare cassée en deux), ce qui est la grosse honte pour des punks. Manquerait plus qu’ils fassent du tri sélectif.
On passe aux choses sérieuses avec un premier set assuré par les Cluzo en duo, introduit par une ballade soul qui démarre tranquillement. Laurent pousse sa voix de plus en plus haut, tient les notes toujours plus longtemps et au moment où ça commence à devenir ’achement impressionnant, arrête tout et lâche « ça, c’était juste pour faire chier Ben l’Oncle Soul ». True dat. Zou, passage en son saturé et quelques riffs pour s’échauffer avant un premier lancer de cymbale catapulté par-dessus la batterie, « pour montrer qu’on joue pas sur bande ». L’ambiance est au jam et au plaisir de jouer avec une version remaniée d’Empathy Blues, mais le groupe n’oublie pas de proposer des morceaux accrocheurs pour alterner les humeurs et chauffer le public. Le refrain de French Bastards, qui est un peu le Sweet Home Alabama du groupe, est entonné par la salle, du moins par les premiers rangs où nous nous faisons du trampoline sur la trappe de la fosse qui se plie et se soulève sous les bonds du public.
Puis le batteur nous gratifie de son habituel cours de danse. Habillé à la manière de Monsieur Boulier, l’expert comptable du journal de Spirou dans Gaston Lagaffe, Mathieu shake du booty debout sur la grosse caisse tandis que Laurent donne ses instructions en jouant un funk lounge lascif. On enchaine sur l’excellent Two Days, qui est un peu un concentré de la musique des Inspector Cluzo. Pour ceux qui ne savent pas à quoi elle ressemble, le groupe se définit lui-même « entre Curtis Mayfield et AC/DC ». Du groove, un chant qui couvre plusieurs registres (quasi spoken word par moments, mélodies aigus à la Prince ou encore coups de sang gueulards), un jeu de guitare tout en riffs nerveux et souvent bluesy, avec un super son grâce à une Gibson SG et une demie caisse type ES335 avec un poil de wah-wah et une disto très bien dosée. Ici, la simplicité n’est pas une excuse pour verser dans la facilité et enchainer les powerchods en doubles croches pendant des plombes. Les plans sont variés et généreux, Laurent comble l’absence de basse en rajoutant beaucoup de notes graves avec le pouce, les rythmes de batterie sont simples mais précis et bien alternés. Les Cluzo parlent volontiers d’artisanat et c’est vraiment le terme qui correspond le mieux à leur musique, humble et très bien exécutée.
Après cette mise en jambe, petite « entracte landaise ». Re armagnac-schweppes et garbure préparée par Régis Sonne, ancien capitaine du Stade Montois et du Stade Toulousain. Pour ceux qui ne connaissent pas la garbure, il s’agit d’une soupe du sud-ouest. On prend les légumes qu’on trouve, la viande qu’on trouve, les autres trucs qu’on trouve, on laisse mijoter tout ça dans une marmite pendant 34 ans, mais si on peut laisser plus longtemps, c’est mieux. On soulève de temps en temps pour rajouter des trucs et on sert chaud. C’est goutu et ça tient au corps. Viennent ensuite les Chemises Froissées, rugbymen de je ne sais plus quel club mais c’est pas contre eux et musiciens à leurs heures perdues, qui profitent du créneau offert par les Cluzo pour jouer un medley parodique qui maltraite Francis Lalanne, Jumpin’ Jack Flash et God Save the Queen version Sex Pistols, entre autres choses. Malgré le fait que les deux guitaristes soient gaucher, l’affaire tient plutôt debout et se suit sans déplaisir, notamment grâce à un bonus trompette. Là-dessus, les choses commencent à déraper avec l’arrivée d’une énorme vache lubrique aux yeux exorbités et à la langue pendante, Buzoka, la mascotte du Stade Montois, partenaire du groupe. La bestiole vient faire un solo d’air guitare avec guitare, mais Inside Rock dénonce la supercherie : l’animal ne jouait pas vraiment ! C’est Laurent qui jouait, et voici la preuve !
Fin des intermèdes et début du second set avec le renfort des musiciens qui accompagnent les Cluzo en studio : Phil le Rouzic au saxophone ténor, Benoit Molina à la trompette, Stephan Kraemer au clavier et un percussionniste dont j’ai oublié le nom mais c’est pas contre lui. Leur présence donne un coup de fouet au concert : très propre, la formation donne l’impression d’être au pic d’une tournée parfaitement rôdée alors qu’il s’agit d’une des seules dates avec le backing band. Les musiciens sont tous en fringues de comptables et costards, ce qui donne à l’ensemble un gros côté Blues Brothers : duo vedette et déconneur à l’avant poste, cuivres, claviers (qui est parfois utilisé comme une basse déguisée… hmm…) et percussions en retrait, mais pas mis à l’écart pour autant. Chaque instrumentiste a droit à plusieurs solos et le percussionniste fait même péter le solo de cowbell, ce qui ravit Duffman, notre docteur cowbell maison qui projette d’écrire un morceau exclusivement à la cowbell et au xylophone.
Comme d’habitude, le groupe place un petit smooth-funk rigolo, enrichi d’un solo de saxophone dégoulinant sur lequel la vache lubrique commence un faux striptease terrifiant. Vient ensuite la danse des fans. Une première fille s’exécute, puis c’est la vache lubrique, qui vient d’achever striptease, rappelons-le, qui se lance dans une valse avec une fillette de 8-9 ans. Là, on se dit qu’on a atteint le point de non-retour et que tout peut arriver. On ne croyait pas si bien dire, car le dernier danseur est un grand malade qui ondule du bassin, du torse et du croupion, fait la danse du ventre les yeux aguicheurs et finit en caleçon debout sur la grosse caisse à remuer ses petites fesses devant la Cigale. Sobre. Comme ça. A 21h30. Vraiment, voir un têtard imberbe finir en moule burnes, c’est assez surréaliste et autrement plus fendard que de voir Iggy Pop cracher ses poumons en tentant de faire le chien à 60 ans. S’il reste encore des couillons qui pensent que les Stooges sont un grand groupe de scène, on leur conseille de prendre un ticket pour les Cluzo afin de se remettre les idées à l’endroit. Pendant ce temps là, la vache lubrique se tape une série de slams. La routine.
Le groupe repart pour un passage en duo : Laurent démonte la petite batterie de Mathieu tout en jouant (trois cymbales et un seul tom en plus de charley, grosse caisse et caisse claire ! Et le résultat n’est pas du Meg White, loin de là), on entend le riff de Voodoo Child (Slight Return) pour la blague, les deux improvisent et s’amusent comme des fous pour finir avec seulement la grosse caisse et la caisse claire, le reste ayant été balancé par-dessus bord. Du coup, il faut remonter la batterie, l’occasion pour Laurent de faire « un discours bien con et chiant sur le cannabis et le FN, comme Sinsemilia ». Le chanteur rappelle la démarche d’indépendance totale qui est celle du groupe : tout est fait maison, pas de vente dans les grandes enseignes, que de l’autoproduction et autopromotion. Une démarche qui commence à être remarquée et pourrait inspirer d’autres groupes : l’idée de vendre l’album avec la place de concert pour cinq euros de plus est simple, il suffisait d’y penser, mais c’est vraiment quelque chose à exploiter.
Le concert se termine avec un rappel au complet sur l’excellent titre Téléfoot, dernier single du groupe, étiré et enrichi de solos jouissifs. « Adichatz à tous », rideau. Rien à redire, c’était remarquable. Le groupe a d’ailleurs exprimé son émotion et remercié le public dès le lendemain sur Facebook, parlant de ce concert comme l’un de leurs cinq meilleurs souvenirs de tournée. Pour vingt cinq euros, autrement dit un quignon de pain au regard des tarifs pratiqués par les salles de concert parisiennes, on a eu droit à un double set, de l’humour, des invités, de la bouffe et un CD-BD. En effet, le groupe a conçu un très bel objet pour son troisième album, The Two Mousquetaires. Coréalisées avec leur ami dessinateur taïwanais Chris Chaos, à qui on doit déjà les illustrations de l’album The French Bastards et le clip d’animation de la chanson homonyme, les planches illustrent les paroles de chaque chanson.
(Ce clip ne passe pas à la télévision française car on y voit le groupe foutre le bazar à l’Elysée et Sarkozy poursuivi par un requin, soit dit en passant)
Chansons qui consistent principalement à distribuer des bourre-pifs bien sentis aux groupes de « shitty english pop music » ou « electro rock play back », au Printemps de Bourges (surnommé le « Eric Woerth Festival » par les Cluzo), aux journalistes de Rolling Stone, du NME ou de Radio Nova, aux bobos qui mangent du « KFC bio » (concept génial) et aux cyniques de tous acabits tant qu’à faire. Et après la déclaration d’amour à Lilian Thuram du précédent album, le duo ressuscite Curtis Mayfield pour répandre le partage, la fraternité et le groove sur terre. C’est beau comme la révélation de Jack & Elwood dans The Blues Brothers.
Jusqu’ici uniquement en noir et blanc, le dessin de Chris Chaos est désormais en couleurs. Le trait simple et expressif témoigne d’une patte reconnaissable, les teintes et le découpage de chaque planche sont soignés. Les histoires bien foutues rappellent l’esprit d’Astérix puisqu’à l’exception de la planche consacrée à la reprise de Curtis Mayfield, chacune s’achève en baston et dans la très distinguée I Want to MMM The Wife of the French President, l’armagnac sert littéralement de potion magique. Pour cinq euros de plus sur le prix de la place de concert, franchement, c’est cadeau.
La musique est dans la lignée des précédents disques et procure parfois le sentiment de redite avec des chansons moins inspirées comme Wild & Free, Fuck Free Hugs ou Put Your Hands Up, resucée de la chanson titre du premier album The Inspector Cluzo. Ceci dit, ça reste du bon niveau et l’album contient son lot de morceaux très recommandables : une magnifique reprise de Move on Up de Curtis Mayfield, l’excellent Why A Vulgar French Band Cannot Play Shitty English Pop Music ? (ce titre !) avec son superbe riff à la slide, ou encore Téléfoot, single dont le clip a été réalisé avec le Stade Montois et dans lequel on peut voir la fameuse vache lubrique.
A l’instar du premier album de RATM, les notes nous informent que tout a été joué live et qu’aucun ordinateur n’a été utilisé dans la conception et l’enregistrement de la musique. Les morceaux sont avant tout taillés pour la scène où ils prennent souvent une dimension inattendue, preuve en est ce concert à la Cigale qui donne envie d’avoir un DVD live à l’avenir. On espère que cette soirée pour laquelle ils n’ont pas regardé à la dépense va s’avérer rentable car « seulement » 600 spectateurs ont fait le déplacement. C’est le prix à payer de l’indépendance et de la fuck you attitude du groupe : pas d’affiches dans le métro, peu de plateaux télés (un passage à l’Album de la Semaine en France, et rien d’autre), peu de grands festivals français (pourtant ça ferait du bien à Rock en Seine de proposer une affiche qui soit pas une redite de 2005 ou une revue de têtes à claques)... Seuls le journal Sud Ouest, les radios Ouï FM, le Mouv’ et quelques webzines sont là pour soutenir un groupe qui mérite bien mieux. Qu’on se le dise, il y a de la très bonne musique en France, il suffit d’aller la chercher !
Plus de photos sur ce lien.
[1] (nom tiré du surnom australien de la formation, The French Bastards, et clin d’œil à James Brown)
Vos commentaires
# Le 16 avril 2012 à 14:43, par Thibault En réponse à : The Inspector Cluzo à la Cigale
Je mets ici un extrait d’un mail du groupe qui précise la recette de la Garbure que j’ai définie n’importe comment, honte à moi.
Ils précisent aussi que « Kraemer n’envoie pas de basse ».
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |