Dernière publication :
mercredi 15 avril 2015
par mot-clé
par index
par Le Daim le 27 février 2007
paru le 5 mars 2007 (Le Chinois)
L’éjaculation ne pouvant attendre, on passera rapidement sur l’obligatoire préliminaire biographique. Pravda : couple infernal formé en 2003, sorte de The Kills frenchy, comprenant Sue à la basse et au chant et Mac à la guitare. Animés par "une haine commune des guitares acoustiques", ils décident de mélanger électro, heavy-metal et punk dans un esprit vintage, le tout enrobant des textes sans prise de tête. Premier larguage : Tu Es À L’Ouest, électrochoc cradingue et sexy diffusé sur certaines ondes (OUI FM en tête) et via un premier EP. Ensuite, l’album, simplement intitulé À L’Ouest... Un disque rafraîchissant, à la fois chic et destroy, heureusement en marge de l’insupportable hype construite de toutes pièces qui accompagne actuellement la juvénile scène pseudo-punk parisienne.
Accroc depuis longtemps à l’imagerie cyberpunk et à la fetish-culture, je ne pouvais que l’aimer, cet album. A l’évidence Pravda est fait pour la scène, le charisme du duo étant à la mesure de l’énergie rock déployée. C’est dans la chaleur des corps et des lumières artificielles de petites salles souterraines à l’atmosphère bien moite qu’il convient de subir cette musique, comme on subirait une décharge de pistolet-taser ou la morsure d’un fouet. Pourtant on ne perd rien à écouter ces 14 titres à l’ambiance variée dans sa bagnole voire dans son lit, tard le soir. Car la musique de Pravda sait aussi frapper à la porte de l’imaginaire. Elle dépeint un univers nocturne et urbain ; rues sales, béton gris, éclairage au néon, autoroutes froides et tentaculaires ; des personnages déviants vêtus de cuir, lunettes miroirs en guise de masque, célébrant leur propre décadence dans la chaleur de clubs singuliers.
Le son de l’album est sans pitié. L’énorme basse de Sue (une antique Burns, instrument encore plus primaire que les Rickenbacker d’époque) éructe des lignes rugueuses et chacune de ses notes fait l’effet d’un coup de poing dans le bide. La guitare de Mac crache des riffs métalliques simples mais redoutables alourdis par la chaleur des lampes : un son qu’on avait plus vraiment entendu dans ce genre de production depuis les années 80. J’en viens naturellement à évoquer l’omniprésence du synthétiseur à oscillation, qui apporte toute son originalité au son de Pravda. Le groupe use voire abuse de cette machine quasi-préhistorique. Tantôt elle produit d’efficaces mélodies relevant le niveau des compositions (cf. le riff electro de Tu Es À L’Ouest) tantôt elle semble en proie à des crises de délire psychotique (cf. l’instrumental Soyuz, morceau tout droit échappé de la grande époque du Kraütrock, ou de l’imagination d’un Jean-Michel Jarre cocaïné, et la longue impro de J’ai Besoin D’Air planante à souhait). La boîte à rythmes, qui ne pouvait ici qu’avantageusement remplacer une batterie acoustique, assène des boucles minimalistes en phase avec la simplicité des parties de basse de Sue. Dans ce contexte, il n’était pas nécessaire de faire preuve de subtilité au mixage ; le résultat est forcément lo-fi, et c’est tant mieux.
Si Pravda puise abondament dans le réservoir electro old-school, son travail lorgne aussi clairement du côté du punk. Les Pistols en tête, notamment sur des morceaux comme What Did You Expect ? ou F+++ing World. Il faut dire que Sue fait très bien à la fois Sid Vicious et Johnny Rotten. Intégrant à plusieurs de ses compos de fédérateurs et décomplexés "hey, hey, hey !", la chanteuse s’assure l’approbation d’un public monté sur Doc Martens (le meilleur). Le garage-rock est aussi à l’honneur avec par exemple une énième ressucée du riff de Louie Louie sur 1,2,3,4 Rock !, pure incitation au pogo. Dans le même esprit, la durée des morceaux n’excèdant que rarement 3 minutes, on s’ennuie fort peu... Parlons enfin des textes : disons-le clairement, il n’est pas ici question de grande littérature, mais pour le coup on en a rien à foutre. Tantôt en français, tantôt en anglais bien mâtiné d’accent parigot, la prose de Sue dérape entre le débile assumé (Je Suis French, Do Not Touch, 1,2,3,4 Rock !), éminement drôlatique, l’ultra-sexy (Tu Es À L’Ouest, Body Addict) et le légèrement revendicatif (J’ai Besoin D’Air ou People Unite, hymne à destination de tous les losers que nous sommes). À noter : une reprise de Miss Kittin, Franck Sinatra, qui m’a bien fait rigoler ("You know Franck Sinatra ? ...He’s DEAD ! He’s DEAD !"... Tu m’étonnes ...).
À L’Ouest est un album bordélique comme on les aime, mais bien plus intelligent qu’il n’y paraît. Pravda sait allier à merveille l’énergie, le son et l’attitude du punk à des arrangements efficaces laissant la part belle à une electro très organique. Derrière la simplicité de cette musique et des textes se dissimule une vraie puissance d’évocation qu’on retrouve dans l’univers graphique du duo. Pravda a donc plus d’un tour dans son sac, espérons que ces nombreux atouts permetteront à Sue et Mac d’avancer loin sur les tortueux chemins de l’industrie musicale...
Répondre à cet article
Suivre les commentaires : |