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mercredi 15 avril 2015
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par Psychedd le 28 février 2006
paru le 26 juin 1967 (Verve)
Début 1967, constat quelque peu accablant : Freak Out ! est un bide commercial. Si bien que Zappa doit du fric à la maison de disque. Moyennement cool quand on a pleins d’idées et qu’on n’a pas les moyens de les enregistrer. Situation que le moustachu en chef déplore (si bien qu’il finira par créer son propre studio pour pallier à ce genre de désagréments) mais qui ne fait que marquer le début d’une série de procès avec toutes ses maisons de disque à venir. Il restera en effet 8 ans en procès avec MGM pour de sombres histoires de royalties (et on ne parle pas des autres !).
Mais quand on est lié par contrat, on se doit de l’honorer. On accepte de débloquer un petit crédit au groupe, histoire qu’il enregistre son deuxième album. Budget : 11.000 dollars. Une véritable misère. Et des délais d’enregistrement si courts que la question même de produire correctement le disque est vite élucidée. Va falloir y aller à fond la caisse les potes !
Serait-ce donc pour cela que le titre du disque est Absolutely Free ? Parce que oui, ça fait un peu live sur les bords et ça part totalement en sucette. Freak Out ! était déjà bizarre ? Vous n’avez rien entendu ! Une fois encore, quand il faut écrire un truc sur Zappa, la question fatidique revient : « Mais qu’est-ce que c’est ? ». Rock, pop, psyché, jazz ? Trop réducteur. Avec les influences qui fusent de partout, les morceaux qui s’enchaînent et des thèmes récurrents, ça ne sentirait pas un peu le concept ? Si on veut... Avec une première partie où les mots « prunes » et « légumes » qui reviennent assez souvent, le disque serait-il une ode à la jardinière ? Absurdité comme maître mot, toujours. Il ne faut définitivement pas chercher à percer des mystères qui n’existent certainement que dans notre esprit dérangé de chroniqueuse de disques. Zappa fait ce qu’il veut, comme il le veut. C’est beau, c’est rock, ça tient du génie...
Musique cérébrale, aux constructions complexes et paroles aux confins de l’imaginable. Si on a la chance de comprendre l’anglais, c’est le fou rire assuré. Ou la fuite déraisonnée. Il n’empêche, quelle chance d’être suivi par un groupe prêt à réaliser tous les délires possibles. Sans peur du ridicule.
Car dès le début, la surprise est de taille : le disque s’ouvre sur quelques mesures d’un Louie Louie (certainement le morceau le plus de fois repris de toutes les manières possibles par les Mothers), sous Prozac... Tout ça pour enchaîner sur la magistrale Plastic People qui parle avec « tendresse » de tous ces gens tellement propres, tellement maquillés, tellement à la mode, tellement faux et tellement plastiques donc. Parce que le groupe a été décrit par certains journalistes, comme une bande de puants, moches et sales. Et en plus, ils ne savent vraiment, mais alors vraiment pas s’habiller. Mais on le sait déjà, Zappa est hors des modes et hors des sentiers battus. Il n’aime pas les gens trop normaux, mais il n’aime pas non plus les attitudes des hippies, qui se ressemblent tous en voulant être différents. Dommage que les « plastic people » soient le lot commun de l’humanité.
Et même quand il veut faire quelque chose de presque normal, il n’y arrive pas : The Duke Of Prunes aurait pu être une chanson d’amour comme les autres. Mais non. C’est du grand n’importe quoi, parfaitement surréaliste (d’autant plus que Mister Z. n’aime pas les chansons d’amour). Il n’empêche qu’il doit bien l’apprécier puisque elle revient quelques minutes après qu’il ait invoqué certaines de ses influences dans Amnesia Vivace. Au choix : Le Sacre Du Printemps et L’Oiseau De Feu de Stravinsky (évocation que l’on retrouve également dans le titre de la chanson Invocation And Ritual Dance Of The Young Pumpkin), mélangés au grand hasard avec un autre morceau appelé Duke Of Earl). Bouillie sonore avant la bouillie de légumes de Call Any Vegetable.
Les légumes en question pouvant aussi être toute personne parfaitement inactive en société (dixit Zappa). Cette chanson aurait inspiré certaines pratiques à une fan un peu dérangée. Après tout, on nous demande bien d’être à l’écoute des légumes, d’être tendres et aimants. Libre à vous d’avoir une discussion avec la citrouille d’à côté, il paraît qu’elle pourrait bien répondre (j’ai essayé avec les poireaux de mon frigo, mais j’ai fini par les manger)...
L’avantage de posséder cet album en CD est de pouvoir découvrir deux morceaux originellement absent du LP : Big Leg Emma (jeu de mot avec "Leguma", mais ce mot existe-t-il seulement en anglais ?) et Why Don’tcha Do Me Right, pas vraiment essentiels, mais rigolos malgré tout...
Avec American Drinks, on assiste à une petite prouesse musicale, preuve supplémentaire que pour jouer avec Zappa, il faut être un excellent technicien : le morceau s’ouvre sur un rythme de cymbales alors que le chant est en total contretemps. Ont-ils réussi à le faire en live ? Parce que c’est sacrément difficile, rien que de l’écouter.
Dans la suite du disque, on entend moins de références au monde végétal, mais Stravinsky refait quelques apparitions et il est surprenant de voir le nombre d’extraits repris à d’autres artistes. Clins d’œil ou manque d’inspiration ?
Sachant que Zappa s’autoréférence également en faisant revenir Suzy Creamcheese, personnage créé pour le premier album, sur le rythme de Louie Louie (encore), dans Son Of Suzy Creamcheese. Il récupère également le thème des « plastic people » qui l’horripilent tant dans Brown Shoes Don’t Make It (Les chaussures marrons, ça le fait pas), caricature des fonctionnaires propres sur eux et qui ne peuvent définitivement pas comprendre les propos de cette bande de fous furieux.
Et puisqu’on vous dit que l’arme principale de Zappa est l’humour, vous ne serez certainement pas surpris d’apprendre que Terry Gilliam, Monty Python de son état, a participé au disque (il fait des voix avec sa copine dans America Drinks & Goes Home). On se disait bien que l’absurdité des comiques pourrait parfaitement être l’illustration visuelle des chansons de Franky...
Au final, on en ressort heureux avec l’envie de remettre le disque, histoire de vérifier qu’on a bien tout compris. Pour un disque enregistré à la va-vite, saluons sa densité et la qualité des compositions qu’il contient. Et essayons d’imaginer ce que ça aurait pu être si les moyens avaient été au rendez-vous.
Mais c’est là tout son charme : une fraîcheur et une spontanéité qui vont de paire avec la folie générale dans laquelle on se retrouve plongé.
Le meilleur disque des Mothers ? A vrai dire, tous leurs disques sont les meilleurs. Mais je dois maintenant vous laisser, j’ai un chou-fleur qui m’attend dans mon salon. La discussion s’annonce passionnante.
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