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par Psychedd le 12 septembre 2005
Sorti le 27 juin 1966 / Produit par Tom Wilson / Enregistré aux Sunset-Highland Studios entre le 9 et le 12 mars 1966 / Design de la pochette : Jack Anesh
En 1966, les USA sont le théâtre d’un bouleversement de sa jeunesse qui s’explose les neurones au LSD et qui se libère au son d’une musique qui dérange les parents.
La contre-culture a déjà des codes identifiables et un vocabulaire qui lui est propre. Les jeunes sont des Freaks, des dingues.
Le 27 juin, Les Mothers, devenus Mothers Of Invention, pour des raisons de bienséance, semblent vouloir balancer le manifeste ultime de cette génération. Cette pochette psychédélique et rien que ce titre qui annonce la suite : Freak Out !
La minute vocabulaire, être Freak Out, c’est quoi ? En général, quand on est Freaked Out, c’est qu’on a disjoncté suite a une prise d’hallucinogènes. Dans le livret du CD, c’est Zappa lui même qui explique sa vision des choses : être Freak Out, c’est exprimer des sentiments créatifs forts, que cela passe par un habillement excentrique, la pratique de la danse et de la musique, on peut l’être de manière individuelle ou collective . En gros, il nous enjoint à tous « disjoncter » et à créer un grand changement dans la manière d’appréhender le monde qui nous entoure. Sans drogues... Car Zappa est un homme qui abuse du tabac et du café, mais qui jamais, Ô grand jamais, n’a touché à la drogue. Une attitude complètement en marge à l’époque et qui a failli lui coûter sa place au sein de son groupe, les autres musiciens trouvant son attitude trop saine à côté de la plaque.
Et pourtant, Zappa est le compositeur, l’arrangeur, le leader, le directeur musical des Mothers. Plus qu’un simple auteur de pop-music, il est un compositeur au sens le plus noble du terme. Un garçon peut-être un peu dérangé qui voue une passion à Varèse, Stravinsky et au doo-wop. Et qui manie un humour tellement acerbe qu’il faudrait consacrer un article entier pour parler de ses textes. Sans lui, le groupe n’existerait même pas et n’aurait aucune raison d’exister.
C’est en 1965 que les Mothers sont repérés par Tom Wilson, directeur de promotion chez MGM, lors d’un concert au Whisky-A-Go-Go. Il leur propose presque tout de suite un contrat pour enregistrer un disque, ainsi qu’une avance de 2500 dollars, persuadé d’avoir trouvé le groupe de blues le plus bizarrement habillé de Californie.
Zappa raconte dans son autobiographie [1] comment Wilson a découvert véritablement le style des Mothers :
« Tom Wilson était venu à L.A. pour les sessions. Il était dans la cabine quand nous avons commencé à enregistrer le premier morceau "Any Way the Wind Blows". Il tapait du pied et secouait le tête (à la façon des producteurs dans les films). Le deuxième morceau s’intitulait " Who Are the Brain Police ? "... J’ai vu Tom, derrière la vitre de la cabine, se précipiter sur le téléphone pour appeler son boss - et probablement lui dire : " Bon euh... ce n’est pas exactement un groupe de blues blanc... C’est plutôt un genre de... " ».
N’empêche que le groupe va enregistrer un double album, chose inédite à l’époque, surtout pour un premier disque.
Il faut dire que c’est un sacré bordel musical où les styles se rencontrent et où les instruments peu utilisés dans la pop-music prennent une place importante. Kazoo et xylophone à volonté !
Hungry Freaks, Daddy ouvre l’album en grande pompe, ça fait remuer son corps et son cortex cérébral. Parce que Zappa aime bien critiquer l’American Way of Life et qu’il le décortique si bien qu’il finira par tenter une carrière politique dans les années 80 pour contrer la bêtise et l’hypocrisie ambiante.
Dans Freak Out !, tout le panel des sentiments humains passe à la moulinette. Zappa a, semble-t-il, été marqué par un divorce et s’en inspire pour bon nombre de chansons. Chansons d’amour si l’on veut, sauf qu’à défaut de déclamer ses sentiments sous les étoiles, il fait plutôt preuve de cruauté, ainsi Go Cry on Somebody Else’s Shoulder (rien que le titre !) qui est un pastiche parfait du style doo-wop pour crooner.
L’autre chose admirable, c’est que Zappa ne se prend pas au sérieux quand il parle dans ses chansons. Wowie Zowie est un hymne à la stupidité, le « moyen d’attirer l’auditeur de 12 ans » dans le camp des Mothers. Même que « Little Richard dit qu’il l’aime bien » (citations tirées du livret du CD).
Il fait des concessions à un style commercial (à sa sauce) avec des morceaux comme Motherly Love et plus encore Any Way the Wind Blows.
Sur un plan purement personnel, la chanson qui remporte la palme est You’re Probably Wondering Why I’m Here (« Vous vous demandez probablement ce que je fous ici »). Hymne au kazoo qui vous fait passer pour une dingue si vous avez le malheur de fredonner le refrain, le foutage de gueule définitif des mœurs des jeunes américains propres sur eux, filles en jupe et queue de cheval, garçons en blouson de l’équipe de foot (apparemment propres alors qu’ils font des trous dans les canapés on ne sait comment !).
Dans un registre plus terre à terre et forcément moins fun, Trouble Every Day est une chronique sociale de ce qui se passe dans les ghettos et comment tout ça est montré au travers de la télé (déjà un gros paquet de merde en 1966...). On imagine la tête des auditeurs quand ils ont entendus à la fin de la chanson « I’m not black, but sometimes I wish I could say I’m not white » (« je ne suis pas noir, mais parfois j’aimerai dire que je ne suis pas blanc »). Des propos plutôt audacieux pour l’époque...
La vraie audace arrive véritablement après. Voici le moment du disque où les influences de la musique concrète font réellement leur apparition. Il ne faut pas oublier que Zappa finira par diriger un orchestre de musique contemporaine à la fin de sa vie.
Ca commence par Help, I’m A Rock, gentiment dédicacée à Elvis Presley, ça s’enchaîne avec It Can’t Happen Here, qui n’a absolument « aucun potentiel commercial » et qui voit l’apparition du personnage de Suzy Creamcheese caricature d’une groupie type (celle qui ne comprend pas tout, mais qui trouve que « ça le fait vachement bien, tu vois ? »).
Puis arrive la pièce de résistance en deux tableaux : The Return Of The Son Of Monster Magnet. Pour ce morceau, il existe deux anecdotes.
La première concerne l’enregistrement : au milieu des sessions, Zappa demande à Tom Wilson s’il peut louer pour 500 dollars (ce qui est énorme) de percussions, dans le but de faire une séance d’un style particulier, qui commencerait le vendredi soir à minuit... La séance en question débute par une rafle de freaks dans les rues de Los Angeles, menés ensuite aux studios et utilisés pour taper sur les 500 dollars de matériel. Si l’on veut donner la vraie définition de Freak Out, il faut écouter ces 12min16 pour saisir le désordre mental et matériel que cela implique.
La deuxième anecdote concerne une personne proche qui n’écoute que de la daube en boîte : l’écoute du morceau lui a été fatale et la réaction fut une crise de nerfs, accompagnée de larmes de douleur et de supplications pour qu’on achève cette souffrance intolérable (véridique). Ce qui est tout de même malheureux et vexant quand on considère que c’est l’album le plus facile d’accès du moustachu.
Vous l’aurez donc compris, on n’écoute pas Zappa sans une préparation psychologique préalable et si l’on n’a pas l’habitude de l’absurdité comme maître mot. Faîtes ce test très amusant chez vous : mettez Freak Out ! en soirée et comptez les départs prématurés de vos amis.
Et si par hasard vous n’y arrivez vraiment pas avec ce disque, n’oubliez pas qu’il vous reste presque 80 albums du monsieur pour en découvrir un peu plus.
[1] Zappa par Zappa, éd. l’Archipel
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