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Greatest Hits

Greatest Hits

Diana Ross & The Supremes

par Yuri-G le 21 décembre 2010

Paru le 29 août 1967 (Motown)

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Pour commencer, Detroit. Motor City, comme on l’appelle. À la fin des années 50, les chaînes de montage automobile continuent de prospérer. Elles incarnent la ville, identité de l’industrialisation. Dans les rues, l’air a une infime saveur métallique. En hiver, la neige ramollie se teinte de fumée noire. Dans le quartier ouvrier, se dressent d’imposantes tours de brique rouge : et c’est là que grandissent Diane Ross, Florence Ballard et Mary Wilson. Toutes trois ont 16 ans. Leurs voix admirables reprennent Ray Charles ou les Drifters, tant et si bien qu’elles décrochent une audition chez une maison de disque locale, Motown Records. Ainsi commence une ascension foudroyante, de celle sur lesquelles aime à reposer la mythologie américaine. L’histoire d’un trio féminin qui - expression consacrée - "rivalisa en popularité avec les Beatles".

En rappelant ce qu’étaient les Supremes, des conquérantes au succès voisin des Fab Four, on s’étonne qu’elles ne soient pas en retour aussi solidement présentes dans le patrimoine de la pop. La raison en est toute simple : elles n’ont jamais interprété autre chose que des chansons légères et sentimentales. Ce qui n’aide pas à la sanctification. Les Beatles ont su s’en écarter, mais Diana Ross et ses compagnes garderont aux lèvres la même rengaine, jusqu’au sommet de leur gloire. Sur les 20 titres de ce Greatest Hits, 20 occurrences de "love, heart, you, baby". En réalité, bien plus.

Cela ne nous pose aucun problème. The Supremes et leurs chansons de midinettes n’ouvriront pas d’abîme métaphysique. On les écoute encore et encore pour leur romantisme, leur tendresse et leur innocence. Et surtout parce que leurs mélodies sont exaltantes, formidablement écrites. De telles chansons d’amour populaires n’existent plus aujourd’hui. Aujourd’hui, celles-ci se foutent de l’ambition musicale. Elles font pleurer Barbie et encaissent le chèque. Pourtant, il ne faut pas s’y tromper, elles partent de la même intention que les Supremes hier. Toucher le plus grand nombre en privilégiant des textes simples. Auxquels s’ajoutent maintenant pianos, trémolos, pleurnicheries. À l’époque, on préférait miser sur un sens du groove stupéfiant. Notamment chez Motown Records.

Car bien sûr, il est impossible d’évoquer le son des Supremes sans se référer à l’histoire de la Motown : label incarnant, au début des sixties, une période faste de la soul music. Sa renommée est encore balbutiante, lorsque les trois jeunes filles, à force d’insistance, y signent un contrat avec Berry Gordy. Ce jour-là, Gordy, installé derrière son modeste bureau métallique, n’a pas plus que d’habitude l’intuition d’être à un tournant décisif. Il a fondé Motown Records quelques années plus tôt, et son but avoué a toujours été de remporter un large succès. Tout a été organisé de façon à ce que chaque titre sortant des locaux de sa maison de disque puisse être un hit potentiel (d’ailleurs, à l’entrée du quartier général, on peut admirer l’inscription "Hitsville U.S.A."). Gordy excelle dans une délégation mûrement réfléchie, clef de sa réussite. Il s’est ainsi entouré d’un pôle d’auteurs-compositeurs talentueux, le trio Holland-Dozier-Holland, Smokey Robinson, qui ont en charge presque à eux seuls de "fabriquer" la totalité des morceaux - écriture, production. De même, le label a ses musiciens de studio attitrés, The Funk Brothers, dont on entend le jeu remarquable sur chaque enregistrement. Les chansons passent aussi l’épreuve d’une réunion durant laquelle Gordy et ses acolytes soupèsent leurs moindre détails, les remaniant à l’occasion pour augmenter les chances d’obtenir un n°1 dans les charts. Au sein de l’impitoyable mécanique, les artistes se bornent à chanter et soigner leur mise (bien que quelque Marvin Gaye, quelque Stevie Wonder parviennent à prendre en main leurs propres compositions). Mais The Supremes ne font pas exception. Elles interprètent, point.

Ce processus de fabrication a plus d’un mérite. En concentrant les effectifs, il permet à la fois de limiter les coûts et de façonner un son reconnaissable de disque en disque. La Motown est alors une usine qui fonctionne à plein régime, dont le produit final est un morceau de soul parfaite, destinée à tous. Évidemment, cette marche quasi-industrielle vers le succès peut faire frémir, amorce d’un méprisable arrivisme qui, aujourd’hui, a conduit à négliger la musique au profit de la facilité, du vide. Mais non, c’est bien autre chose qui règne à Motown Records. Une ignorance du nivellement par le bas. Gordy ne broie pas les talents, ceux-ci sont dans une perpétuelle émulation. Loin de se laisser assécher, ils redoublent d’effort pour atteindre la mélodie qui fera mouche, l’arrangement qui restera éternel. Le cliquetis de chaînes qui tombe dans Nowhere To Run, fondamental morceau de Martha & The Vandellas… La flûte irréelle de Reach Out I’ll Be There des Four Tops. Et beaucoup d’autres. Commerciales dans l’âme, ces chansons sont malgré tout d’une qualité tenace, même si elles n’éviteront pas toujours l’écueil de la formule.

De fait, lorsque les Supremes deviennent la formation la plus glorieuse de Motown, les critiques ne manquent pas de fustiger cet aspect mercantile. On dit notamment de leur son ultra-arrangé qu’il a été "blanchi" pour toucher un vaste public (à savoir, en mettant en avant les tonalités pop, la musique des Blancs). Ce n’est pas faux. Mais à présent le jugement se révèle caduque, pour ne pas dire arriéré. La musique des Supremes, par extension de la Motown, est d’une grande importance dans l’histoire de la soul, pour cette intention précise de toucher un public autre que celui auquel elle est supposément destinée. Leur premier hit, Where Did Our Love Go en 1963, se classe n°1 dans les charts rhythm and blues, mais surtout n°1 dans les charts pop, d’ordinaire monopolisés par les artistes blancs. Début d’une longue lignée de singles qui triomphent auprès de tous les publics, là où, quinze ans plus tôt, le R&B était encore victime de la ségrégation, catégorisé dans les classements "race music". Depuis, Ray Charles, Sam Cooke avaient fait leur chemin, décloisonné les mentalités, et la Motown apparaît en point culminant, un couronnement transgressant les frontières musique blanche/musique noire. Si les Supremes ont été coupables pour certains de sonner trop blanc, le même Ray Charles n’était-il pas également accusé d’avoir vendu son âme, en transposant le gospel, ce chant sacré, dans des chansons populaires ? Pour le résultat que l’on sait…

Greatest Hits émerge donc en 1967 [1]. Une compilation au rang de classique ? Cette apparente facilité s’explique par le fait que les précédents albums studios des Supremes étaient conçus comme des rampes de lancement pour des singles incroyables, et jouaient parfois sur le remplissage avec des titres moins pertinents. Ici, Motown ne garde que l’essentiel.

Les passions adolescentes sont portées par une soul où la sophistication le dispute à la vigueur. Base d’accords tressautants, qui vous possèdent. Pareils au sang qui bat les tempes, le clavier, la guitare, la basse pulsent des thèmes diaboliques. Dans Where Did Our Love Go, on entend des talons claquer au sol. Le piano rebondit sur un thème assez primaire, les chœurs sussurent "baby, baby". Diana Ross élance sa voix de cristal. Where Did Our Love Go, amourette à la tonalité candide, fait surgir au creux des arrangements une marche vers la sensualité. Le registre des Supremes tient en entier dans cet élan : rythme fracassant contre mélodie concise et désuète. Rien de mieux pour embraser la jeunesse des sixties, qui s’abandonne au groove tout en laissant ses rêves affleurer sur des romances. La formule magique est déclinée sur 20 titres. Et chacun ira de sa préférence. Pierre sera fasciné par Baby Love. Il se rappelle l’avoir beaucoup entendu dans une publicité, mais ça n’a pas entamé son charme. En l’écoutant, il a l’impression d’être ramené à une pureté qu’il pensait avoir oublié. Paul, lui, va fondre devant Nothing But Heartaches. Surtout pour les chœurs qui crient « I can’t break away » comme s’ils se trouvaient dans le lointain. Il ne comprend pas vraiment pourquoi il se sent désarmé quand ils apparaissent, mais il l’est. Enfin, Jacques reviendra toujours à I Hear A Symphony et aussi à You Can’t Hurry Love. La première est géniale avec son crescendo d’émotion, ses cordes pleines de drame, et ce refrain qui sonne comme une promesse universelle, « I hear a symphony ». Quant à la seconde, il se trémousse dessus comme un diable. Un tempo vif, où le temps semble suspendu.

À travers cette ribambelle de refrains vivifiants, les Supremes font partie des grands groupes consolateurs. Elles n’ont pas porté l’idéal d’une génération (comme a pu le faire Sam Cooke avec A Change Is Gonna Come), mais elles l’ont accompagné au cœur des instants les plus éphémères. Un souffle de frivolité, parce qu’il fallait bien continuer à danser, surtout dans l’atmosphère âcre de Detroit.



[1L’album a fait l’objet d’une réédition en 2005. Intitulée Gold, la compilation comprend, en plus de la tracklist originale, un deuxième CD consacré aux titres parus après 1967, lorsque Florence Ballard quitte les Supremes.

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Tracklisting :
 
1. When The Lovelight Starts Shining Through His Eyes (2’38")
2. Where Did Our Love Go (2’32")
3. Ask Any Girl (2’43")
4. Baby Love (2’35")
5. Run, Run, Run (2’19")
6. Stop ! In The Name Of Love (2’51")
7. Back In My Arms Again (2’51")
8. Come See About Me (2’36")
9. Nothing But Heartaches (2’56")
10. Everything Is Good About You (3’04")
11. I Hear A Symphony (2’39")
12. Love Is Here And Now You’re Gone (2’46")
13. My World Is Empty Without You (2’32")
14. Whisper You Love Me Boy (2’40")
15. The Happening (2’49")
16. You Keep Me Hangin’ On (2’40")
17. You Can’t Hurry Love (2’45")
18. Standing At The Crossroads Of Love (2’28")
19. Love Is Like An Itching In My Heart (2’56")
20. There’s No Stopping Us Now (2’55")
 
Durée totale : 49’35"