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mercredi 15 avril 2015
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par Our Kid le 3 janvier 2006
paru le 5 septembre 1967 (Capitol / EMI)
L’Histoire regorge de trésors, de merveilles, de constructions monumentales destinées à surpasser les limites de la création et ce, pour des raisons souvent métaphysiques - les pyramides d’Egypte et les observatoires astronomiques du Néolithique sont toujours là pour en témoigner. Mais l’Histoire comporte également son lot d’annonces tonitruantes, de sommet de génie annoncé et de conceptions destinées à révolutionner les acquis en place qui, malheureusement, se transforment souvent en monuments de déceptions, en réalisations affublées du qualificatif de « aurait pu être merveilleux si... » et là, on pense immédiatement au Temple d’Artémis à Ephèse, à la théorie des cordes censée expliquer le fonctionnement de l’Univers et à l’album Smile de l’artiste musical Brian Wilson.
Ah ! Smile ! Combien de commentaires ont été exprimés à son sujet ? Combien de déceptions ont été formulées quant à l’impact qu’aurait dû posséder cette œuvre ? Pendant plus de trente ans, la légende n’a cessée de se renforcer et les historiens de la musique populaire y trouvèrent un terreau fertile pour caser leurs différentes théories.
Retour en arrière en 1966. En cette fin d’année, The Beach Boys, le groupe formé autour de Brian Wilson, de ses deux frères cadets, de leur cousin et de leur voisin d’enfance, sont les empereurs de la musique pop : il n’y en a que pour eux, l’album Pet Sounds a sacré Brian Wilson génie de la mélodie et à ouvert la voie au travail de studio pour la réalisation des albums. The Beach Boys sont LA référence musicale pour les arrangements, les harmonies vocales ; le groupe met en place son propre label, Brother Records, les ventes de disques sont colossales partout dans le monde et les tournées sont accueillies avec une frénésie...beatlemaniaque.
Oui ! Même les Beatles sont sévèrement secoués : après avoir écouté Rubber Soul des quatre de Liverpool, Brian est subjugué et entreprend d’écrire Pet Sounds pour le résultat que l’on connaît. Les Anglais remettent de la viande dans le broyeur et sortent Revolver en août. Bien qu’impressionné, l’aîné des Wilson rajoute à la surenchère en finalisant le single Good Vibrations, grandiose symphonie et succès planétaire qui amènera les Fab Four à hisser le drapeau blanc (du moins, pendant quelques mois). En octobre, les Beach Boys ont triomphé des Beatles et la victoire a même lieu en Angleterre où le sondage de fin d’année pour désigner ses artistes préférés, organisé par l’hebdomadaire musical britannique NME, sacre les Californiens devant...les Anglais.
Grisé par ce succès, Brian est inarrêtable et sa création est désormais sans limites. Il entrevoit dès lors la conception de sa grande œuvre qui mêlerait des sons d’eau, serait remplie d’humour (il était convaincu des vertus curatives du rire) et utiliserait le studio comme un instrument. Brian déclarait alors : « Notre prochain album sera meilleur que Pet Sounds » et les nouvelles en provenance du studio étaient prometteuses. La force créatrice des Beach Boys s’était adjointe les services du talentueux parolier Van Dyke Parks tandis qu’il pondait les mélodies. Il fut même un temps envisagé de paraître Smile (intitulé à l’origine Dumb Angel) pour décembre !
La presse rock se massait autour du studio pour apercevoir ce qui s’y passait. La chaine de télévision CBS tourna même un documentaire sur Smile. Les pochettes du disque étaient prêtes, la publicité lancée mais c’est à ce moment-là que Brian comprit qu’il ne pourrait tenir cette date car Smile était différent de tous les autres albums. Au retour de leur impressionnante tournée britannique, les Beach Boys (sans Brian qui ne tourne plus depuis fin 1964 mais qui compose tous les morceaux) découvrent leur leader au travail qui tente de leur expliquer Smile. C’est le tournant qui va précipiter la fin du projet. Mike Love est le plus récalcitrant à ce projet et juge les paroles de Parks stupides et inintelligibles. Il s’inquiète aussi des conséquences de la drogue sur l’état de santé de Brian... Se sentant de trop, Parks prend physiquement ses distances avec son collaborateur, ce qui entraîne une perte de confiance de la part de ce dernier, à laquelle s’ajoute les tensions occasionnées autour d’un litige judiciaire dans lequel les garçons de la plage sont impliqués. Le temps passe et Smile tarde à voir le jour. En mai 1967, subitement, Brian décide d’abandonner le projet et de faire disparaître une bonne partie des enregistrements, sans que l’on sache clairement pourquoi.
Cependant, n’ayant pas sorti d’album depuis presqu’un an, les musiciens se ressaisissent et c’est le cerveau en bouillie que Brian et ses frères bricolent Smiley Smile, sur les cendres encore fumantes de Smile. Pour la première fois, sur la pochette du disque ne figurent pas les membres du groupe (on a le droit à la place à un tableau évoquant plus le Douanier Rousseau que les Beach Boys...) et contrairement à ce que clamait Brian, l’heure est plutôt à la discrétion, à la sobriété voire le minimalisme : le morceau Vegetables comporte une rythmique produite à partir des sons obtenus alors que les frangins Wilson et Paul McCartney en personne (et oui !) croquaient dans des légumes... et Whistle In est construite autour d’un sifflement.
Bien sûr, le résultat n’a rien à voir avec ce qu’aurait dû être Smile, les morceaux sont hétérogènes, tantôt enregistrés simplement, tantôt regorgeant de trouvailles de studio et sentant bon les heures d’enregistrement, comme Good Vibrations inclus ici et le non moins phénoménal Heroes And Villains, seul single extrait du projet avorté (bien que remanié lui aussi) et succès dans les charts britanniques. Consolation, les voix des Beach Boys sont tout simplement somptueuses, on ne retrouvera plus jamais vraiment la même perfection et la même richesse des harmonies. Certes, on retrouve le côté humoristique de la musique, cher à Brian, comme les éclats de rire qui ouvrent Little Pad ou encore l’accélération du rythme au moment où les cinq se joignent pour les harmonies de She’s Goin’ Bald, créant un délire sous gaz hilarant. Certaines compositions résultent du collage de plusieurs sections mais le résultat est plutôt réussi même si on est loin des ambitions commerciales de Smile. Dès lors et étrangement, en six mois, le groupe passe du statut de référence incontournable à celui de paria de huitième zone et se voit contraint d’annuler sa présence au festival pop de Monterey. Les Beatles ont déjà sorti Sgt.Pepper’s Lonely Hearts Club Band tandis que les disques des Californiens ne se vendent plus, confirmant que ces derniers ne sont plus à la mode. Commence alors une deuxième carrière pour le groupe.
Finalement, il faudrait être fou pour ne pas croire qu’il existe une malédiction Smile.
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