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par Oh ! Deborah le 18 mai 2010
paru en 1981 (Rough Trade)
Un culte grandissant entoure Television Personalities et leurs chansons touchantes de réalisme. Et à l’heure où on écrit ces lignes, à l’heure où le groupe MGMT, symbole de la hype et bientôt du glamour, consacre une chanson à Daniel Treacy dans leur nouvel album, on est rassuré qu’il existe un être, quelque part, qui demeure intacte (quoi qu’avec quelques problèmes de santé), qui erre encore sur son bout de chemin modeste, sans bien comprendre dans quel monde il vit.
Formés à Londres par Ed Ball (guitariste, bassiste) et Daniel Treacy (guitariste, chanteur) en 1977, les Television Personalities (en référence aux personnalités de la télévision anglaise, dépeintes de façon ironique par Treacy), enregistrent pour quelques dollars plusieurs singles et un EP, Where’s Bill Grundy Now ? (en référence au présentateur anglais), dans lequel le morceau Part-Times Punks (une critique qui fustige certains "punks à mi-temps"), sera valorisé par John Peel et conduira le groupe à un contrat avec Rough Trade. En 1981, TVP’s publient And Don’t the Kids Just Love It, un premier album garage totalement intimiste et déconnecté du monde musical d’alors. Marqué par les mods et la pop-culture anglaise des années 60, l’album est chanté par une voix sans âge et écorchée, orchestré par un groupe aux précisions approximatives, doublé d’une production quasi-absente. Et pourtant…
Certains mystères sont difficilement élucidables, mais à l’écoute attentive de ces chansons chancelantes de 3 minutes, une incroyable vague à l’âme s’érige et se libère, une envergure aussi vulnérable que passionnée, provenant sans aucun doute de ces mélodies enfantines, dépouillées et superbement inspirées. Et de cette façon si fêlée de les chanter. Alors que la première moitié de l’album est enjouée, la seconde est davantage feutrée et liée au monde de l’enfance regretté. And Don’t The Kids Just Love it est le trésor de Dan Treacy, sa boîte aux mille souvenirs abîmés par le temps. Légèrement psychédéliques, les quatorze chansons contiennent un charme quasi-égal et toujours bancal. Dans presque chacune d’elles, apparaissent quelques secondes d’une mélodie à part, des îlots aux torpeurs pénétrantes, des ponts aux lisières dorées. Cette facilité à créer une ambiance aussi étroite que profonde est incarnée dans The Crying Room et ses vagues de piano-jouet incroyablement fragiles, ou encore dans Diary of A Young Man, interlude en demi-teinte, formée à partir de quelques notes lunaires qui s’abandonnent et qui durent au coeur d’une mélancolie vacillante.
Londonien dans l’âme, Dan Treacy est admirateur des Jam, des Kinks et des Who. Passionné par la culture anglaise contemporaine, il utilise pour la pochette de ce premier album une photo de Twiggy et Patrick McNee de la série Chapeau Melon et Bottes de Cuir. Il y a dans cet album beaucoup de références à des œuvres anglaises très populaires comme autant de chansons pop imparables : This Angry Silence, titre d’un film anglais de Guy Green en 1960 ; The Glittering Prizes, téléfilm anglais adapté d’un roman de Frederick Raphael en 1976 ; Look Back in Anger, film anglais adapté d’une pièce de John Osborne en 1959 ; Diary of a Young Man, série de Ken Loach en 1964 ; A Picture of Dorian Grey, roman d’Oscar Wilde en 1891 ; World of Pauline Lewis chanson dans laquelle est évoquée Mary Quant, couturière sixties qui inventa la mini-jupe, ou encore l’excellente Geoffrey Ingram, chanson relatant l’histoire de ce personnage (également personnage du film A Taste of Honey, adapté d’une pièce de Shelagh Delaney en 1961) qui part voir les Jam au Marquee Club (célèbre bar de Londres où se produisirent pour la première fois les Rolling Stones et un tas de grands groupes anglais).
Geoffrey Ingram étant une petite épopée pop et tubesque, rien d’étonnant qu’elle soit chantée avec l’accent le plus exagérément londonien qui soit. Ainsi And Don’t the Kids just Love It est un des albums les plus anglais jamais fait, aussi bien à travers des textes tout en finesse (partout il est question d’haricots blancs à la sauce tomate, de noms de rues londoniennes, de grands parcs, de thé et de pluie) qu’à travers la musique (quelques empreintes psychés du premier Pink Floyd et pas mal de mélodies punk à la Jam avec une pincée de Clash). Sans omettre I Know Where Syd Barrett Lives, qui malgré le fait qu’elle soit la plus lente et anecdotique de l’album, constituera le single culte des TVP’s tandis qu’elle renvoie expressément à l’univers des albums solo de Syd. En 1980, ce titre a d’ailleurs permis aux TVP’s de faire la première partie de David Gilmour qui les expédia après quelques dates vu que Dan eut la bonne idée de révéler la véritable adresse du premier chanteur de Pink Floyd devant la foule…
Pièce majeure de pop indé, And Don’t the Kids Just Love It est le plus nostalgique de la discographie du groupe et une des oeuvres les plus authentiques et innocentes jamais réalisées, avec The Painted Word. Elle influencera le courant lo-fi ainsi que la vague néo-pop de la fin les années 80 et particulièrement les groupes issus du précieux label Creation comme The Pastels, Felt, The Jesus and Mary Chain ou Teenage Fanclub. Treacy va d’ailleurs créer son label, Whaam ! Records, qui publiera quelques singles des Pastels. Le fondateur de Creation, Alan McGee dira dans un article du Guardian en 2009 que c’est en écoutant la musique de Dan Treacy qu’il voulut créer son label (avec la participation d’Ed Ball, alors guitariste des TVP’s) ajoutant que « ce grand songwriter n’a pas été reconnu pour sa contribution à la musique. »
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