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par Psymanu le 3 avril 2007
paru en janvier 2007 (Discograph)
Si vous n’étiez pas reclu dans quelconque gouffre sans fond durant les semaines qui viennent de s’écouler, vous n’avez pu passer à côté de U-Turn (Lili). Martelé jusqu’à l’overdose, ce titre qui fut le thème d’un film formidable et Césarisé (Je Vais Bien, Ne T’En Fais Pas) vous sort peut-être déja par les trous de nez, et même les autres. Néanmoins, sachez qu’il ne s’agissait pas là d’une oeuvre isolée, mais bien d’une pièce maîtresse d’un puzzle répondant au doux nom de Artificial Animals Riding On Neverland.
Ce qui surprend, si l’on se donne un point de vue large sur cet album, c’est l’unité de son, l’unité de ton. D’où, une relative lassitude, qui a tendance à s’inviter vite fait, pour peu que l’on ait autre chose à faire qu’à se plomber la tête avec toute cette déprime qui nous est balancée sans vergogne au travers des enceintes. C’est un éceuil courant, que n’évitent que rarement les disques de pop un peu électronique. Une voix fatiguée, neurasthénique, sur un mode plaintif, des beats cardiaques un peu costauds ou bien la luminosité de quelques accords de guitare acoustique, pour donner l’étincelle de vie, et tout autour des synthés, des samples, voilà pour résumer AaRON. C’est plutôt beau, ça n’est pas le problème. Encore que, dans le genre, il faut avoir le cran et le potentiel pour tenir la dragée haute à des groupes du calibre de Air, ou bien assumer avec discrétion sa position en retrait, creuser sa propre brêche, tant bien que mal. en d’autres termes, viser très haut ou bien se taire et bosser, simplement. On se dit que c’est ici la seconde option qui est privilégiée, en lorgnant du côté de la chanson, avec des textes soignés et une voix puissante, plus que vers l’établissement de climats. Parce que cet Artificial... est un disque sérieux, très produit, très léché. Et qui, hormis peut-être sur le premier titre, Endless Story, un peu lourdingue et aux sonorités un peu désuettes, évite les fautes de goût. Du coup, difficile de détester catégoriquement ce disque, auquel on ne peut finalement pas reprocher grand chose sur la forme.
Du côté de la chanson, disions-nous. C’est que AaRON semble miser pas mal sur l’organe de Simon Buret, savoureusement papier de verre, sifflant sur les consonnes, parfois difficilement intelligible, mais c’est l’accent français, il parait que ça nous donne du charme. Ah oui, c’est qu’il faut préciser : toutes les chansons sont en langue de Shakespeare. Sauf une, Le Tunnel D’Or, et encore, même là on dirait qu’il persiste quelque chose d’étranger, à l’indéfinissable provenance, peut-être est-ce cette diction, comme dents serrées par la tension d’une émotion tenue bien fort au fond de la bouche. Mais, sauf le respect de leur auteur, ce maquillage des mots par l’articulation permet de ne point laisser trop à découvert un texte qui aurait peut-être alors montré quelques faiblesses. Et puis cela permet un maintient de la cohérence, puisque l’on peut presque ne pas se rendre compte du changement de langue, puisque le chanteur parvient à les faire sonner d’une façon étonnamment similaire, alors que l’on a généralement tendance à considérer anglais et français comme situées dans deux sphères différentes, deux outils incompatibles dans leur utilisation.
Hormis le fameux U-Turn, quelque autres titres tirent leur épingle du jeu. O-Song, par exemple, trépidant, en tension nerveuse contenue, on peut penser au Radiohead d’Idioteque, et ça n’est pas la pire référence, n’est-ce pas. Il faut entendre Mister K., également, extrait de la BO sus-mentionnée, étranglé, voix totalement imparfaite et qui part en vrille, comme au sortir de longues heures à hurler son désespoir, et tout le morceau est traversé par cette teinte d’usure, ça se termine curieusement, comme si ça n’était qu’un jet, un truc pas terminé, un instant fugace d’inspiration capté à la va-vite, style "bonne idée, on le garde et on y reviendra, mais plus tard parce que là je n’en peux plus". Il y a Angel Dust, aussi, qu’on verrai bien interprétés par des Depêche Mode soudain minimalistes et réservés. War Flag, martial, grave mais moins mélancolique que les autres morceaux, laisse penser que la musique d’AaRON s’accomoderait fort bien de l’électricité argneuse d’une guitare, en attendant il s’agit du titre le plus rock, presque sans y toucher. Mais la vraie bonne idée du disque, c’est cette reprise du Strange Fruit popularisée par Billie Holliday, soul autant qu’il est possible de l’être, juste accompagnée d’un piano, il n’en faut pas plus, magnifique.
Artificial Animals Riding On Neverland est le disque des jours de pluie assis à regarder ruisseler l’ennui sur les carreaux de la fenêtre, on peut lui reprocher une certaine monotonie, mais il parvient pile à l’objectif qu’il se fixe, emmener très loin dans le très bas, dans des abîmes de mélancolie.
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