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par Sylvain Golvet le 16 août 2011
Pourquoi les biopics de musiciens s’intéresse-t-il autant aux paumés, aux junkies, aux inadaptés sociaux ? Pourquoi ne pas consacrer de films sur les vies tranquilles de compositeurs considérés comme géniaux comme Burt Bacharach ou la paire Leiber & Stoller ? Même les biopics plus expérimentaux tel l’excellent I’m Not There ou le raté Last Days préfèrent se concentrer sur la partie légendaire et fantasmée de leur sujet. En gros pourquoi le cinéma se prête plus à Lennon qu’à McCartney ?
Il va de soi que réaliser le biopic d’un artiste est forcément une tâche ardue, d’autant plus quand il s’agit d’un musicien qui s’est illustré par son art. Il faut alors faire de l’art à partir de d’un autre art, ce qui nécessite des aménagements et des concessions, voire des trahisons. Et puis toute la difficulté est de montrer en quoi tel génie en est un sans virer au didactisme soporifique. Or toute histoire cinématographique doit faire passer son message via un personnage en conflit et se raconter en actions. [1] Quoi de moins cinématographique alors que la composition musicale ? Dès lors, on s’arrêtera plus facilement sur la légende du personnage, sa personnalité, ses clichés aussi. Au revoir les biopics sur des musiciens consciencieux et travailleurs, bonjour les artistes borderline.
Autre problème du biopic : le parcours imposé de la vie de l’artiste empêche les marges de manœuvres. Dès lors, il faut un point de vue, un angle d’attaque sur le sujet. Quand Clint Eastwood s’attaque au légendaire Charlie « Yardbird » Parker, il s’attache délibérément à un personnage sur la brèche, à la vie heurtée mais au génie indéniable.
Car les traumas, les dérives, Charlie Parker les accumule : il est noir dans l’Amérique bien avant l’émancipation de la communauté, il est accro à l’héroïne, il est malade, il est volage et il est peu fiable. Chacun de ces aspects est mis en conflit avec un personnage : La négritude vécue autrement par son ami Dizzie Gillepsie / La drogue via son trompettiste Red Rodney / Sa fidélité envers sa femme Chan. Pourtant ces antagonistes sont aussi l’occasion de montrer le revers de chacun de ces aspects : Il est fidèle en amitié / Il est une source d’inspiration / Il aime sa femme et ses enfants. Et chacun a le droit à une scène avec le Bird : Dizzie et un très joli dialogue sur une plage / Un affrontement à propos de la drogue avec Red Rodney / La très belle scène d’adieu du couple au téléphone.
On a reproché à Eastwood de privilégier la part sombre de son personnage. Ce qui déjà est partiellement faux. On voit régulièrement le Bird prendre du bon temps, notamment quand il joue ou quand il part en tournée avec ses amis, et même quand il est sous influence. Mais tout le propos d’Eastwood est de confronter la lumière de sa musique à la douleur physique et spirituelle qu’elle lui coûte. Là où son surnom évoque une musique dirigée vers le ciel (jusque sur l’affiche du film elle-même), le vol de cette cymbale que l’on voit de multiples fois, descend inexorablement vers le sol (voir plus loin).
Et Eastwood embrasse totalement la noirceur du personnage. Loin de l’habituelle trame Débuts > Gloire > Chute > Rédemption, le film semble suivre l’inéluctable ligne droite vers la mort de son protagoniste. Il y a tout de même certains traumas, comme cette image de cymbale qui tombe, souvenir d’une première expérience live catastrophique et symbole de sa peur de l’échec. Ou même cette visite à la morgue où on lui montre le corps d’un junkie en lui prédisant le même parcours. Ou tout simplement la mort de sa fille. Autant de faits qui forment un faisceau d’explications, mais surtout pas la clé de la personnalité de Charlie Parker. Quand le médecin demande à Chan Parker si elle préfère un mari ou un musicien, celle-ci a la meilleure réponse : « On ne peut pas séparer les deux ! ».
Malgré la sophistication du scénario fait de flashbacks imbriqués les uns dans les autres, flashbacks, Eastwood est un cinéaste à la mise en scène classique et narrative. As usual, chaque scène sert un propos particulier et fait avancer l’intrigue, tandis que la caméra suit élégamment les personnages, avec un travelling pour renforcer telle ou telle émotion. Le tout emballé par une classe certaine dans la liaison des scènes entre elles comme Charlie Parker liait les notes avec son jeu. L’image, elle, est aussi liée au sujet : elle est sombre, avec beaucoup de scènes nocturnes, de clairs-obscurs et de contre-jours.
Le film laisse tout de même une place à la musique. C’est sur scène que Charlie Parker trouve enfin sa place. Dès qu’il s’empare de son saxophone, il cesse d’être le junkie titubant pour devenir le centre magnétique de la salle. Forest Whitaker s’en sort très bien dans ce rôle périlleux. Il est fascinant sans tomber dans l’excès.
Les puristes du jazz furent mécontents envers Eastwood pour avoir touché à la musique du maître, plutôt injustement d’ailleurs. Car plutôt que de réenregistrer toute la bande originale et remédier aux défauts des enregistrements mono de l’époque, il décide de traiter les bandes et réussi à garder les solos originaux de Parker, qu’il entoure d’un nouveau groupe. Eastwood avait-il anticipé les critiques à venir ? On le peut le croire quand lors d’une scène où Parker et sa femme entendent à l’autoradio une chanson dont Gabby Hayes a camouflé son solo de saxophone par un chanteur. Alors que Chan Parker trouve ça horrible et irrespectueux, Bird écoute attentivement la chanson, touché par le résultat final et sa signification.
Une performance d’acteur, un personnage sur la brèche, une dichotomie vie privée / vie publique : Bird est bien sûr devenue une référence évidente pour les biopics venus plus tard, de Ray à Walk The Line pour ne citer que les plus fidèles. Ils ne seront sûrement pas les derniers.
[1] Comme l’enseigne si bien Alexander Mackendrick dans son ouvrage La Pratique du Cinéma.
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